Les Tombées de la Nuit se font fort de plonger chaque été le public dans un univers décalé où l’art est détourné. Objectif : favoriser l’essor des imaginations. Dans cet esprit, la compagnie Opéra Pagaï a de nouveau été conviée, les 10, 11 et 12 juin, à faire découvrir aux Rennais un théâtre cinématographié urbain et en devenir…

Comme tous les ans, le festival des Tombées de la Nuit investit le territoire métropolitain et notamment les rues rennaises. L’artiste et le public sont incités à se libérer des rôles conventionnels assignés par la coutume. Dans cette veine plaisamment anticonformiste, un étonnant Cinérama s’est invité dans le centre-ville de Rennes en ce début de mois juin avec Opéra Pagaï.

opéra pagaï
18h. Place de la Mairie de Rennes. Sous un ciel ensoleillé, les spectateurs qui ont été nombreux à répondre présents à l’appel de l’Opéra Pagaï sont installés autour de tables de quatre personnes. Autour d’un verre de jus de fruit, ils découvrent le fonctionnement de casques audio qu’il s’agit de partager avec son voisin. C’est ainsi qu’on fait connaissance, on discute, on se questionne sur ce qui va suivre. De fait, le public est toute attente : aucune information n’a filtré sur le contenu du spectacle à venir. Même le lieu du rendez-vous reste inconnu.

18h30, des voix s’échappent des écouteurs. Soudainement, les spectateurs sont plongés dans la conversation animé de deux personnes. C’est Fred et Betty, deux scénaristes de cinéma. Les spectateurs tournent la tête et les aperçoit au loin : ils sont assis à la terrasse d’un bistrot. Cette situation originale est invisible pour tous ceux qui sont dénués d’écouteurs. Aïe, mauvaise nouvelle : Betty et Fred sont en manque d’inspiration ! Que faire ? En direct, ils décident d’imaginer un scénario. Une histoire en live auquel les spectateurs sont conviés. Quelle en est la matière ?

En déambulant dans les rues, tout le monde s’est déjà pris à reconstituer la vie de tel ou tel passant. On se fait un film. Mais de là à en faire un film ? C’est pourtant là le pari que les deux scénaristes-réalisateurs se lancent. Avec les ingrédients qu’ils ont sous la main, ils vont inventer des vies aux passants, se faire et nous faire des films. Entre humour et mélodrame, voilà un spectacle qui promet d’être réussi s’il tient ses ambitions : fraîcheur de la spontanéité, richesse de l’imagination et pertinence des reconstitutions psychologiques.

C’est parti : Fred et Betty observent les gens qui passent et improvisent leur script. De simples passants deviennent l’espace d’un instant les personnages principaux d’une fiction narrative. « Je vois bien celui-là dans le rôle principal », « ok, mais, dans ce cas-là, disons qu’il est Italien ». cinérama tombée de la nuitL’histoire se crée ainsi au fil de l’eau sans logique. Un manque de cohérence regrettable ? Non, car le comique des situations entraîne agréablement le spectateur dans ce scénario sans queue ni tête. Les deux compères confrontent leurs idées ; et quand ils sont en désaccord, ils changent de texte – comme ça leur chante !

Au fil des déplacements et des vies urbaines, une véritable fiction cinématographique prend forme sous les yeux et dans les oreilles des spectateurs. L’espace public se métamorphise en un étrange plateau de tournage qui résonne de dialogues et de possibles scénaristiques. L’intrigue mélange peu à peu véritable comédien, commentaire en off, spectateur, flâneur et figurant involontaire, sans que l’on parvienne à définir le rôle de chacun dans le générique final.

Al Pacino ou Lelouch, les références cinématographiques ne manquent pas. Et comme dans un vrai film, il y a une bande-son : surprenante rencontre de Truffaut et Tarantino. Les mouvements de caméra et les bruitages y sont intégrés. L’ensemble fonctionne bien. En pratique, il y a huit acteurs pour huit histoires farfelues. Mario le chaudronnier en proie à des difficultés financières, Tony le serveur bientôt en retraite, Jeanne la banquière non conventionnelle – il y en a pour tous les âges et tous les goûts… Chaque spectateur se retrouve et se reconnaît un peu à travers chaque personnage fictif.

« Partir de gens simples, ordinaires », c’était la volonté de Cyril Jaubert, le metteur en scène de Cinérama. Il admet toutefois que les acteurs, « c’est avant tout une mise en abîme de nous-mêmes. Par exemple, celui qui joue le rôle de Mario a été chaudronnier à ses 15 ans. Les rôles collent à la peau des personnages. » Des personnages qui n’en finissent jamais de surprendre. Et dès qu’un passant arrive à hauteur des scénaristes, on se demande si lui aussi sera de la partie. Est-il complice de toute cette supercherie ou simple figurant ? Une histoire qui nous perd, mais à laquelle on s’accroche.

Une création d’Opéra Pagaï / Conception, écriture et mise en scène : Cyril Jaubert / Collaboration à l’écriture : Chantal Ermenault, Sébastien Génebès et Delphine Gleize / Régisseur son : Benoît Chesnel / Coordination générale et diffusion : Ingrid Hamain / Administration et production : Sylvie Lalaude et Philippe Ruffini / Costumes : Sophie Cathelot / Avec : Valérie Ancel, Christophe Andral, Emmanuel Droin, Raphaël Droin, Chantal Ermenault, Alice Fahrenkrug, Sébastien Génebès et Lionel Ienco

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Anastasia Laguerra
Anastasia Laguerra est étudiante en journalisme à Lille et stagiaire conventionnée à Unidivers.

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