C’est le 17 février 1673 que Jean-Baptiste Poquelin, autrement dit Molière, avec l’élégance qui convient à un grand acteur, tirait son ultime révérence. Il poussait la délicatesse jusqu’à rendre l’âme alors qu’il était en pleine représentation, la quatrième pour être exact, de son Malade imaginaire. C’était une des nombreuses occasions, et il s’en est peu privé, d’étriller le corps médical de son siècle ; lequel, par ses ridicules et ses outrances, le méritait très largement. Dès le 6 août 1666, Molière donne à Paris au Théâtre du Palais Royal la comédie intitulée le Médecin malgré lui qui demeure l’une de ses plus célèbres farces.

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

Le médecin malgré lui reste-t-il d’actualité ? Pas sous tous ses aspects, bien sûr, car le droit d’un mari à donner à sa femme quelques coups de bâtons est – fort heureusement – vigoureusement remis en question. Pour autant, l’épouse battue saura, avec une adresse toute féminine, lui rendre, intérêts compris, la monnaie de sa pièce…

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

Cette production de l’Opéra de Rennes démontre qu’en utilisant des talents locaux et les équipes de permanents de l’opéra, il est possible de réaliser un spectacle de qualité facilement transposable dans des salles plus petites avec un budget réfléchi.

Premier élément, le décor du médecin malgré lui. C’est avec un peu de réserve que nous avons vu le rideau s’ouvrir sur un austère cube, noir comme le tableau d’un instituteur d’antan. La première impression, pas forcément favorable, va évoluer au cours du spectacle; l’idée d’utiliser cette surface pour y dessiner à la craie toutes sortes de décors changeants et épurés donne à la mise en scène de Vincent Tavernier une note naïve et souriante, tout à fait en accord avec l’ambiance de la pièce. Les costumes d’Erick Plaza-Cochet sont dans le ton et contribuent avec sagesse à l’homogénéité de l’ensemble, même remarque pour les éclairages toujours subtils et équilibrés de Carlos Perez.

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

Restent bien entendu les parties théâtrales et vocales. Menée tambour battant par un Marc Scoffoni débordant d’énergie, la troupe des chanteurs satisfaits. Mais revenons à notre bouillonnant Corse trentenaire ! Non content de bien chanter, il nous invite à constater qu’il est tout à fait à sa place comme comédien. Joyeux et facétieux, il retrouve un public qui le connaît et l’apprécie. Jamais à la peine quand il s’agit d’amuser les autres, il plante un Sganarelle aussi convaincant que divertissant. Belle présence également pour Ahlima Mhamdi dans le rôle de Martine qui incarne avec talent l’épouse maltraitée, laquelle avec cynisme tire de son mari une vengeance plutôt cruelle.

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière Gounod Opéra de Rennes

Ce ne fut pas non plus le moindre des plaisirs que de retrouver Jean-Vincent Blot dans un rôle qui met en valeur ses qualités vocales et théâtrales qui ont étincelé dans sa truculente interprétation du barbon Géronte. Sylvia Kevorkian dans le rôle de Jacqueline confirmera sa remarquable présence scénique. Le rôle de la servante insolente qui n’hésite jamais à dire à son maître ses quatre vérités lui va comme un gant !

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

Le couple de serviteurs, Valère et Lucas, respectivement joués par Nicolas Rigas et Olivier Hernandez, est également un sujet de réjouissance. La partition qui met habilement en opposition un baryton-basse et un ténor donne à leurs échanges le piquant qu’exige la dimension comique de leurs interventions. Reste à traiter notre couple d’amoureux. Léandre, le ténor argentin Carlos Natale, donne de manière presque involontaire une touche exotique à son personnage en faisant des déclarations d’amour avec les intonations d’un Carlos Gardel – savoureux ! Son aimée, Lucinde, nous fait fondre comme un collégien amoureux devant la délicate et charmante Héloïse Guinard. Elle sait mettre en avant le caractère énergique de son personnage à l’instar de sa touchante fragilité. Sa voix, qui ne jouit pas encore de toute la puissance nécessaire, promet de jolies émotions. Issue de la classe de l’excellente Stéphanie d’Oustrac, il conviendra de la suivre avec attention.

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

Parlons musique. La perspective d’une pièce de Molière, sous la forme d’une comédie-ballet, nous donnait à penser que le genre musical serait celui du XVIIe siècle ; aussi, est-ce à des sonorités et des mélodies proches de Jean-Baptiste Lully ou Jean-Philippe Rameau que nous nous attendions. Que nenni !

Médecin malgré lui
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes

L’auteur de la partition, Charles Gounod, s’il ne renie pas son style, invite à entendre des airs proches des deux auteurs précités, particulièrement au cours d’un redoutable sextuor vocal. En fait, l’ensemble sonne comme un pastiche, un « à la manière de », et nous déstabilise un peu. Le chef d’orchestre, Gildas Pungier, saura, par une explication argumentée, dissiper ce qui aurait pu ressembler à un malaise. En fait le XIXe siècle n’avait pas une idée aussi précise de ce qu’était la musique de maîtres comme Lully ou Rameau (ces deux génies de la musique baroque étaient peu ou prou tombés dans l’oubli). Notre siècle est en cela notoirement différent. La mode des « baroqueux » a relancé tout un travail de redécouverte ; ce regard faussé sur le XVIIe siècle était sans doute à l’origine de notre malaise.

Cette soirée est d’autant plus belle qu’elle pourra être partagée dans les semaines à venir avec les publics de Dinan, Laval, Vitré, Fouesnant, Vannes, Redon. À vos agendas !

Le Médecin malgré lui en tournée
version pour trois musiciens, transcription Gildas Pungier

6 Déc. Dinan
9 Déc. Laval
12 Déc. Vitré
15 Déc. Fouesnant
19 Déc. Vannes
21 Déc. Redon

DISTRIBUTION
Mise en scène Vincent Tavernier
Scénographie Claire Niquet
Costumes Érick Plaza-Cochet
Lumières Carlos Pérez

Orchestre Symphonique de Bretagne
(Directeur Musical Grant Llewellyn)

Direction musicale Gildas Pungier

Sganarelle Marc Scoffoni
Léandre Carlos Natale
Martine Ahlima Mhamdi
Jacqueline Sylvia Kévorkian
Lucinde Héloïse Guinard

Coproduction Opéra de Rennes,
Opéra Grand Avignon
Nouvelle production
Décors construits dans les ateliers de
l’Opéra de Rennes.
En partenariat avec le Pont Supérieur – Pôle d’enseignement supérieur spectacle vivant
Pays de Loire Bretagne

Photos : Laurent Guizard

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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