Ariana Neumann part à la recherche de l’histoire de son père, juif praguois, qui va se réfugier à Berlin en 1942. Une quête personnelle qui se lit comme un thriller et un grand livre d’histoire.

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Peut-être est ce la disparition progressive des femmes et hommes ayant vécu la Seconde Guerre mondiale ou encore la volonté nombreuse dans nos sociétés individualistes de retrouver ses origines, mais nombre de récits, documents, témoignages publiés récemment racontent la recherche de l’histoire de parents, de grands parents enfouis sous un silence familial étouffant. Dans Inge en guerre, Svenja O’Donnell part sur les traces de sa grand-mère porteuse d’un secret qui révèle, au-delà d’une tragédie personnelle, un drame collectif ignoré longtemps des historiens. Avec Retour à Lemberg puis La Filière, Philippe Sands, un peu par hasard est amené à découvrir des secrets de famille qui éclairent l’histoire universelle. Plus récemment encore Anne Berest et La Carte Postale, cherche à répondre à la question « Qu’est ce qu’être juif ? » en investissant sur le passé de ses grands parents. Sujets fréquents ne signifient pas pour autant répétitions ou désintérêt.

L’horreur et la tentative d’explication de ses origines n’ont pas de limites et méritent d’être en permanence revisités et rappelés. Pour Ariana Neumann, l’autrice de ce passionnant récit, c’est une photo sur une carte d’identité de son père découverte à l’âge de huit ans qui sera à l’origine de l’enquête entamée quarante ans plus tard, elle qui, enfant, « rêvait déjà d’être détective ».

« Papa ne s’appelait pas Hans. Il mentait sur son nom et sa date de naissance ».

Et de pleurer auprès de sa mère :

« Non. Non. Maman. Non. Il n’est pas la personne qu’il prétend être. Ce n’est pas lui ! ».

ARIANA NEUMANN
Carte d’identité berlinoise datée d’octobre 1943 trouvée par Ariana Neumann. La photo est celle de son père Hans Neumann lorsqu’il était jeune, mais le nom indiqué est Jan Šebesta.

Le document terrifiant est une pièce d’identité d’octobre 1943 et sous la photo de son père, ou de celui qui dit être son père, est collé un timbre à l’effigie d’Hitler. À ce document vont peu à peu s’ajouter des boîtes en carton retrouvées dans la famille, emplies de documents officiels, de photos jaunies et racornies, de correspondances. Il y a loin de Caracas, où vit désormais, solidement implantée et respectée la famille Neumann, aux années de guerre en Tchécoslovaquie.

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Mariage de Hans Neumann (troisième à partir de la droite) avec sa première femme Mila (quatrième à partir de la droite) à Prague, le 2 juin 1945. À l’extrême gauche, le frère de Hans, Lotar, et sa femme Zdenka, se trouvent à côté de Mila.

Un éloignement temporel et géographique d’autant plus important que Hans n’a jamais rien dit, s’est même mué dans un silence total. Il faudra la vieillesse et l’approche de la mort pour qu’il laisse à sa fille quelques pièces muettes d’un puzzle qu’elle devra reconstituer pour trouver une vérité. De mels en courriers, de traductions en visites, de souvenirs en recherches, Ariana Neumann va faire de son récit d’enquêtrice un document historique de première grandeur. Avec elle, on va suivre la vie, les espoirs d’une famille juive praguoise non pratiquante, intégrée parfaitement dans les années trente, qui va progressivement voir grandir à ses côtés une haine dont la plupart n’ose imaginer le caractère destructeur.

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Les restrictions de plus en plus fortes, les vexations, les interdictions de plus en plus nombreuses limitent de manière implacable les possibilités de la vie de tous les jours. L’inimaginable devient réalité et les photos familiales judicieusement reproduites traduisent cette descente aux enfers : les sourires insouciants font place à des visages graves et taiseux. L’oncle Richard sera le seul à quitter l’Europe pour les États-Unis.

« En 1939 la famille Hans Neumann comptait trente quatre membres en Tchécoslovaquie ».

Vingt neuf, « âgés de huit à soixante ans furent déportés », et « seuls quatre d’entre eux revinrent à la fin de la guerre ». L’histoire de Hans est extraordinaire, un périple va l’amener à se rendre à Berlin, au coeur même de la barbarie pour transformer un adolescent insouciant et inconstant en adulte solide et volontaire. Ces histoires personnelles déroulent un processus progressif de destruction de l’identité juive mené avec une rationalité et une efficacité redoutables par le régime nazi. De l’interdiction de posséder un animal de compagnie, à celle de se rendre à l’école, puis à la spoliation des biens et finalement à la destruction physique des individus, la famille Neumann comprend trop tard une logique inimaginable car inédite.

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Ariana Neumann et son père en 1976

On suit avec des mots justes, leur peur, puis leur sidération, leur espoir et enfin leur silence. À ce document historique s’ajoute la découverte et la rencontre bouleversante d’une fille avec son père, homme d’affaires reconnu mais hanté de cauchemars, qui lui laisse à sa mort une petite poupée, comme une invitation à découvrir sa signification. Elle va vers lui en écrivant, elle ouvre les montres qu’il collectionnait, comme pour vivre les secondes à venir et ne jamais revivre les minutes passées. En cherchant son père, avec ce témoignage poignant, elle raconte l’Histoire.

Ombres portées d’Ariana Neumann. Éditions Les Escales. 384 pages. 22 €. Traduit par Nathalie Peronny. Paru le 2 septembre 2021.

Les photos sont issues du site d’Ariana Neumann.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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