Olivier Hodasava est le créateur du blog Dreamlands Virtual Tour. Son premier roman, Éclats d’Amérique, sous-titré chronique d’un voyage virtuel, vient de paraître aux éditions Incultes qui publient, notamment, le magazine trimestriel Le Believer, version française de la célèbre revue américaine.

 

Une invitation au voyage

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Les blogs de voyage foisonnent sur Internet, mais celui d’Olivier Hodasava est sans pareil. Son programme est vaste : chercher « les parkings, les no man’s land, les zones d’activité », chercher « ce qui est devenu commun au monde entier : les chaises de jardin aussi bien que les enseignes des multinationales omniprésentes », chercher « à imaginer des vies […] à partir de bribes grappillées ».

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Ceux qui tombent sur le site y voyagent à leur tour : Afrique, Océanie, Europe, Asie, Antarctique, Amérique du Nord, Amérique centrale, Amérique du Sud. Un tour du monde ou presque, partout où Google Street View, le service lancé en 2007 par Google, est passé. C’est là qu’Olivier Hodasava capture des images depuis son ordinateur. Et c’est là que, dès les premières pages de son roman, le lecteur quitte à son tour le papier pour Google. Il part chercher lui aussi la réplique de la Statue de la Liberté, Birmingham, Alabama, par où commence le récit. Ou alors, de façon plus personnelle, l’auteur quitte le papier pour revenir sur les traces de son ancienne école, de son ancienne maison. L’invitation au voyage fonctionne. Tout comme l’attente suscitée par le titre.

   Dreamlands

Une poétique des pixels ?

Le roman aurait pu n’être qu’une bonne idée, reprise efficace du carnet de voyage à l’ère numérique. Olivier Hodasava va pourtant plus loin. Si les captures qui accompagnent le texte sont peu nombreuses, c’est précisément pour que l’illusion fonctionne. Là où le lecteur aurait pu s’attendre à une description minutieuse de la capture d’écran, du flou, des pixels, des personnes figées, il ne trouve que des histoires. Et une réflexion sur le temps. Le clash – littéralement la balafre, l’entaille (Google Traduction) – évoque autant la fragmentation que la succession des images :

J’ai vu un cinéma à l’ancienne sur lequel étaient peintes des images représentant des scènes du Magicien d’Oz ou d’Autant en emporte le vent ; on jouait, au moment où je suis passé, Captain America, Bad Teacher ou Crazy Stupid Love.
J’ai vu un black à la carrure de footballeur américain, bas de survêtement coupé, serviette sur l’épaule et bonnet de rappeur, qui récupérait après un sprint (il était à l’entraînement).  J’ai vu des panneaux Beware of the Dog ou des traces de rouille sur des enseignes Coca-Cola.

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,La technologie utilisée par Google est celle de l’Immersive Media, vidéo panoramique à 360 degrés qui offre d’observer un endroit depuis n’importe quel point. Le résultat se voudrait spatial : pourtant, c’est sur la trace du passé et la marque du passé que Hodasava construit son récit.

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Le cinéma à l’ancienne, décrit dans la citation  précédente, confronte le cinéma américain d’après-guerre, de Victor Flemming, aux blockbusters actuels. Plus loin, ce sont « les traces de rouilles » que Hodasava convoque. Puis ce seront, pêle-mêle, des panneaux publicitaires, « une boule neige Mount Rushmore », des « vaisseaux Star Trek », « des photos prises par Neil Armstrong et Buzz Aldrin », etc. La consignation des objets, loin de n’être que le prétexte à une poétique des images numériques, fait éprouver au lecteur le passage du temps et sa réification.

Narrativisation de l’espace

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Les premières lignes, au regard du projet, sont déconcertantes. Le narrateur-personnage expose ses aventures, amicales, amoureuses ou sexuelles. Ou alors une « femme qui attend », « vient tous les jours, quelle que soit la météo […] qui enfile une cape imperméable bleue, avec, dans le dos, le logo des Jeux olympiques d’Atlanta ». Ce qui n’est en vérité que des images fixes devient alors un récit dans lequel le narrateur-personnage interagit avec les autres. Il investit les lieux. Ce que les images ne peuvent pas réaliser, la littérature le peut. Alors, le discours est sous-tension ; on éprouve, de loin en loin, de la pitié pour cet homme qui, concernant les relations, ne fait jamais que les fantasmer. On hésite :  l’illusion opère-t-elle ? Où est-ce l’environnement qui m’est présenté comme une nature morte, voire une vanité ?

J’ai à peine regardé les objets exposés (trois trompettes, des dizaines de guitares, des chaînes stéréo d’un autre temps, des perceuses, un harpon…). J’étais fasciné par l’enfant. J’aurais voulu lui demander son nom, son âge, à quoi il jouait, à quoi il rêvait…Nous nous sommes mutuellement observés. J’ai tenté un sourire mais ça n’a provoqué aucune réaction par rebond sur son visage.
Il était profondément absent et présent tout à la fois.

TCHELIABINSKLa scène se passe en Californie ? La présence-absence de l’enfant est celle de son image qui, en masquant au spectateur le référent réel, survient tout en disparaissant. Assurément, quelque chose de moribond affleure dans ces pages. Pourtant, Hodasava semble savoir ce qu’il fait, maîtriser son support comme ses références. Si le cinéma est invité quasiment à chaque page, la littérature n’est pas en reste. Hodasava parle de « choses vues », comme Victor Hugo en son temps, et invoque en Alaska, Georges Perec – auteur des Choses – auquel il emprunte cette citation éloquente : « Cette anecdote semble significative, mais je ne sais pas exactement de quoi ».

La chronique, le voyage et le virtuel

dreamlands_virtual-tour_6La chronique présente des nouvelles ou des faits historiques selon un ordre chronologique. Éclats d’Amérique respecte la chronologie mais fait passer selon un ordre alphabétique le narrateur de la Louisiane au Maine, de la Géorgie à Hawaï. L’espace et les distances, avec Google Street View comme Internet, s’estompent. Reste le voyage sur la toile et son ubiquité. Hodasava choisit de lui emprunter au moins son imaginaire et ses possibilités. Il réussit à atteindre un entre-deux complet : entre-deux du texte sur les images, du temps sur l’espace, mais aussi un entre-deux de la critique.

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Les détracteurs de Google Street View blâmeront sans doute ce livre qui ne se prononce pas ouvertement sur l’entreprise. Ils convoqueront aussi sûrement Baudrillard et le simulacre. Il est vrai que Google a été poursuivi de nombreuses fois en justice, notamment pour atteinte à la vie privée. Il est vrai que ce service constitue un symptôme, sinon un symbole, de la mondialisation et de la surveillance à outrance. Hodasava le comprend, lui qui nous montre la multiplication des enseignes publicitaires et ces non-lieux dont nous parle l’anthropologue Marc Augé, dans son « introduction à une anthropologie de la surmodernité ».

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Olivier Hodasava ne se contente pas de s’approprier les lieux, il les retrace, les remémore, les humanise. À l’invitation au voyage, toujours, répond le soupçon mortifère qui semble y planer. Au fond, son argument est quasi contenu contenu dans le terme virtuel : s’il désigne, au premier abord, dans le contexte, les images, la réalité ou le monde virtuel, il évoque aussi le virtuel entendu comme ce qui n’est pas actuel mais en puissance.

dreamlands, virtual tour, Olivier Hodasava,Son entreprise de transmutation vise précisément à fictionnaliser, narrativiser, dramatiser ce que le service Google a seulement capturé, fiché et figé sur la toile. De même qu’elle cherche, par le langage, à dépasser le seul stade de la superficialité, comme ce dernier passage le prouve :

 

Que reste-t-il d’une journée passée à errer dans une ville qu’on ne connaît pas ?
Un « A » monumental (A d’Arizona) sur une colline surplombant la ville. Difficile de dire précisément, même en s’approchant, de quelle matière ce « A » est fait (mousse polyuréthane ? résine ?).

 

Olivier Hodasava Eclats d’Amérique (chronique d’un voyage virtuel), éditions Inculues, mars 2014 16€

Eclats d'Amérique, Olivier Hodavasa,

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