Étonnant parcours que celui d’Odette Simonneau, comédienne rennaise dont la carrière a vraiment éclos à 40 ans. Grâce à son humour. Celui-ci n’a pas pris une ride et l’accompagne toujours sur les planches. Elle est sur scène au Mans, avant un retour attendu dans la salle qui porte son nom à Melesse (35). Portait sans fard et sans masque.

 

odette simonneau« Entrez, c’est ouvert ! » La maison au cœur du bourg a gardé le caractère hospitalier du temps où ses parents y tenaient commerce. La maison n’est pas bleue, mais celle qui est née là et y vit toujours semble avoir jeté la clef. Devant la cheminée et entourée de chats très attentifs, Odette Simonneau aime à rappeler le tournant de sa vie, quand Jean-François Le Bour, alors attaché de presse de la Maison de la Culture de Rennes, lui demande sa biographie. Voici comment elle la rédigea :

Vous allez être déçu, car ma vie privée est bien plus remplie que ma vie théâtrale. Rassurez-vous, je ne m’y attarderai pas, vous ne saurez jamais à quel âge j’ai jeté mon bonnet par-dessus les moulins (…)
À l’âge où les jeunes filles convolent en justes noces, j’entrais au Conservatoire. Je n’y faisais pas de merveille et obtenais péniblement, après deux années, une première médaille. C’est à ce moment qu’Hubert Gignoux recherchait une élève pour jouer dans Knock. J’avais bien 6 lignes.
Après quoi j’ai joué, l’année suivante, dans La danse de la mort, de Strindberg. Là, j’ai été très employée : deux rôles qui faisaient bien douze lignes en tout. Sans compter qu’à l’époque, myope comme une taupe, sans verres de contact et sans lunettes, je devais monter sur une chaise, allumer une lampe, descendre sans me casser la gueule, sortir, me changer, descendre les marches dans un autre rôle. De plus, j’étais administratrice de tournée. Il paraît que j’étais très bien dans toutes mes fonctions. C’est vrai, je ne me suis jamais cassé la gueule en scène et mes comptes étaient justes.
Tout de suite après, je me suis engagée dans un théâtre forain qui s’appelait en toute simplicité « Théâtre de Paris ». Je jouais une orpheline dans Les deux orphelines (une expérience très drôle, mais un peu longue à raconter…)
Revenons à ce qui était le Centre Dramatique de l’Ouest (NDLR : créé en 1949 par Gignoux, entouré de Georges Goubert, Guy Parigot, Hélène Batteux et Roger Guillo), Hubert Gignoux satisfait de mon comportement dans La danse de la mort me confiait à nouveau un rôle dans Le voyageur sans bagages. Là, j’avais bien quatorze répliques. C’était beaucoup. La preuve : je me souviens avoir eu un trou à la première !
Après quelques années sans jouer, retour à la CDO avec On ne badine pas avec l’amour (7 ou 8 lignes). C’est à cette époque que je retrouvais Gilles Fournel qui avait été élève au Conservatoire en même temps que moi. Il me demanda de rejoindre son groupe pour dire de la poésie. (…)
Puis un grand trou. Je faisais tout autre chose que de la comédie. Jusqu’à ce que Gilles Fournel me sollicite pour lire La maison du peuple de Louis Guilloux, avec Robert Angebaud. J’ai ce jour-là été remarquée par Françoise Gründ (NDLR : écrivain, artiste, docteur en ethnoscénologie, par ailleurs épouse du formidable Chérif Khaznadar, alors directeur de la Maison de la Culture de Rennes – actuel TNB) qui a mis par terre toute ma légende, à savoir que j’étais la plus grande et la meilleure pinouilleuse de France puisqu’elle me confiait le rôle de madame Martin dans La cantatrice chauve. Je me comportais… bien. Les Anglais (enfin… UN Anglais, mais DES, c’est mieux pour mon prestige !) ont dit que j’étais Buster Keaton au féminin.
J’ai un peu évolué grâce à la Maison de la Culture qui m’a considérée comme une comédienne à part entière. J’y ai joué Appelez-moi Rose. J’ai repris La Dame au bidule au festival de café-théâtre puis à Paris où je suis restée à l’affiche six mois.
Ensuite, le Théâtre du Bout du Monde a fait appel à moi pour jouer Juliette dans Le roi se meurt, de Ionesco, puis dans Molière-Boulgakov – avec des verres de contact tout neufs… pourtant je me suis cassé la gueule et ai fait tomber l’aigrette du plateau que j’avais dans les mains…
Voilà, ce n’est pas brillant, brillant. Mais c’est amusant.
En tous cas, moi je me suis bien amusée.

odette simonneau, dancefloor memoriesLe ton de cette présentation, si modeste, a séduit José Artur qui a invité cette curieuse artiste capable d’avouer « n’avoir joué que des panouilles ». La top liste des gens qui lui ont fait confiance ne serait pas complète si l’on n’y ajoutait pas Victoria Thérame et… Jean-Claude Drouot (oui, celui qui s’appelait Thierry la Fronde !). Elle a rencontré la première grâce aux deux soeurs des Nourritures Terrestres. Les Rennais comprendront qu’on parle de ces merveilleuses et regrettées libraires de la rue Hoche. Dans ses périodes creuses, Odette Simonneau faisait des sondages. Une fois, un de ces « sondés » lui dit « Comment ! Vous êtes de Rennes, et vous ne connaissez pas les Nourritures terrestres ! » Elle s’y précipita, et un jour où elle y cherchait – sur les conseils de Gilles Fournel – un texte pour créer un one woman show, on lui met dans les mains La dame au bidule, texte en partie autobiographique de Victoria Thérame, journaliste (Charlie Hebdo, l’Humanité…) et romancière, qui fut aussi infirmière et… chauffeur de taxi.

odette simonneauLe second a mis en scène un magnifique texte de Ricardo Serra Je me suis tue. « C’est vraiment le travail qui m’aura le plus marquée. Jusqu’au bout de ma vie » assure Odette Simonneau. Elle l’a joué dans le cadre du Festival du Val d’Ille, dans la salle qui porte son nom. « J’ai senti une osmose dingue entre le public et moi. À la fin, le public, médusé, ne réagissait pas. Puis ils se sont tous levés pour une standing ovation ». Mais comment son chemin a-t-il croisé celui de Jean-Claude Drouot ? « Pierre Debauche – autre immense directeur du TNB – m’avait engagée pour jouer dans Oncle Vania. La tournée passait par Perros-Guirec où se tenait un festival pour enfants. Jean-Claude présidait le jury. Ricardo, en résidence d’écrivain à Tréguier me propose de lire ses nouvelles, et ajoute : dis-moi celle que tu préfères et je t’en ferai une pièce ». Créé à l’Aire Libre (car depuis, Odette Simonneau est ignorée du TNB), ce rôle de veuve qui s’est tue (mais finalement, trouve que la vie sans bonhomme peut avoir du bon!) a impressionné tous les spectateurs. Y compris les journalistes… qui se sentaient obligés de mentionner l’âge d’Odette. Çà l’énervait. « C’est vrai, quoi. Pourquoi cette précision ? On ne le fait pas pour les hommes ! »

odette simonneauDepuis, Odette s’est adoucie sur le sujet, consciente de cette chance qui lui est donnée d’avoir la capacité et l’opportunité de pratiquer son art. D’autant plus qu’elle joue avec un certain plaisir ce qu’on appelait autrefois « les vieilles dames indignes ». Celles qui refusent d’entrer dans la case has been et radoteuse. Dans la pièce Dance Floor memories de Lucie Depauw, Marguerite raconte les deux amours de sa vie : une histoire d’amour à trois, où, malgré la mémoire qui flanche, les élans amoureux bravent le soir de l’existence pour ouvrir une fenêtre réjouissante sur la vie.

Dance floor memories, Lucie Depauw, Théâtre de l’Éphémère, (Attention : c’est quelques minutes après la parution de cet article que nous avons appris l’annulation de toutes les représentions de cette pièce, au Mans comme à Melesse)

Mise en scène : Didier Lastère
Avec Odette Simonneau, Alain Bert et Hervé Axel Colombel
Scénographie : Jean-Louis Raynaud
Lumières : Stéphane Hulot
Costumes : Christine Vallée
Assistante à la création : Axelle Lebatteux
Assistanat danse : Lucie Rimbault
© Photographie Alain Szczuczynski Visuel : © Peinture Guy Brunet

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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