La Nuit des temps, c’est le nom choisi par Ayla Saura et Solveig Touzé pour leur librairie rennaise sise 10 quai Emile Zola à Rennes ouverte le 1er août 2017. Leur campagne de financement participatif sur le site Ulule a suscité enthousiasme et questionnement sur les réseaux sociaux. Quoi de plus normal ? Les habitants seront toujours prompts à saluer une nouvelle initiative concernant le paysage du livre à Rennes.

Nuit temps librairie

Non, cet hommage au roman de Barjavel ne veut pas dire que La Nuit des temps sera une librairie spécialisée science-fiction. Le nom de leur lieu rentrerait plutôt en résonance avec la dimension écologique de son œuvre. Une librairie écolo ? Non plus. Ayla et Solveig entendent lancer une librairie généraliste.

Certains rayons seront un peu plus développés qu’ailleurs, écrivent les deux libraires sur Ulule, notamment dans les domaines du féminisme et du développement durable.

On aurait pu penser qu’avec la fermeture de plusieurs librairies spécialisées (Alphagraph, Le chercheur d’art, La comédie des langues), la niche était toute trouvée. Ayla et Solveig misent plutôt sur une librairie généraliste de taille moyenne. Trois mots reviennent souvent pour qualifier leur projet : militant, bienveillant, inclusif.

la nuit des temps

Où ? Après avoir songé à une adresse Mail François Mitterrand (l’entretien ci-après a été réalisée à cette époque), c’est dans l’ancienne boutique Nouvelles Frontières au 10 quai Emile Zola que la librairie ouvrira ses portes au mois d’août 2017. La vie d’un libraire, néanmoins, n’est pas un long fleuve tranquille. En attendant de déposer des dossiers de subvention, Ayla et Solveig transitent par le crowdfunding. Une manière de récolter de l’argent, pour financer « une talentueuse graphiste rennaise », « un coin lecture », mais aussi pour se faire connaître et fidéliser en amont une clientèle.

Comment se faire un nom et une place dans le paysage des librairies rennaises ? Quelle ligne éditoriale adopter ? Quels soutiens espérer de la part des institutions, des acteurs économiques du secteur, des concurrents ? Pour le savoir, nous avons rencontré Ayla et Solveig, au calme, autour d’un thé. Un entretien où l’on parle littérature certes mais aussi économie…

Entretien en date de mai 2016

Unidivers : Avez-vous l’adresse exacte du lieu ?

Ayla et Solveig : On n’a pas encore de local. Nous faisons les démarches. Nous avons contacté les agences immobilières. On attend des nouvelles à propos de certains locaux qui seraient disponibles. Mais on sait que ce sera le Mail. On espère pouvoir trouver à cet endroit. C’est un quartier en plein développement. C’est un lieu de promenade. Le marché de Noël s’y tiendra plus tard. Il y a aussi le marché bio. De plus en plus de commerces ouvrent, la boulangerie Bouvier par exemple. La Biocoop va ouvrir bientôt. On avait aussi pensé à la rue de l’Alma. Mais quand on a vu les commerces qui allaient s’y installer, on a préféré le Mail. On avait pensé à Saint-Hélier, éventuellement.

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U. : Vous serez donc sur le Mail, et non dans une rue adjacente ?

Ayla et Solveig : Oui, c’est le but. On voudrait profiter de l’aspect promenade, des jeux pour les enfants, des tables de pique-nique, des bancs. C’est essentiel que nous y soyons, avec une vitrine sur le Mail. On va se battre pour être sur le Mail, et on sera sur le Mail (rires).

U. : Quand souhaiteriez-vous ouvrir les portes de La Nuit des temps ?

Ayla et Solveig : On aimerait bien ouvrir pour novembre. Si on trouve un local, il y a de grandes chances que l’on ouvre effectivement en novembre. À l’heure actuelle, on est en train de fignoler le dossier à présenter aux banques, on a déjà bien avancé. Ils nous manquent uniquement l’accord des banques et le local. L’étude de marché est réalisée, le prévisionnel aussi, validé par un expert-comptable. On a rencontré des avocats.

U. : Quelle taille fera la librairie ?

Solveig : On souhaiterait avoir une centaine de mètres carrés.

U. : Donc, plus petit que Le Forum ou Le Failler, mais plus grand que Planet Io ou Pécari Amphibie ?

Ayla : Oui, on a trouvé une sorte de compromis entre les deux.

U. : Parlons de votre ligne. Souhaitez-vous être une librairie généraliste ?

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Ayla : Oui, mais avec des rayons forts comme le féminisme, le développement durable, l’écologie. Parce que ce sont des rayons qui n’ont pas été développés ailleurs.

U. : Pas même dans des cafés librairies, comme Le Papier Timbré ou La Cour des Miracles ?

Ayla et Solveig : Nous avons discuté avec le patron de la Cour des Miracles et Jean-Marie Goater. Nous différons sur la quantité. Ils proposent cependant un choix vraiment qualitatif. Ils sont vraiment intéressés par notre projet. Encore une fois, nous sommes généralistes, mais, en jeunesse par exemple, nous allons proposer des albums non genrés. On n’aura pas un coin princesse et un coin chevalier. Cela ne nous ressemble pas du tout. On va réussir à se démarquer sur ce point. Comme on sera sur le Mail, les gens du quartier pourront s’y retrouver sans aller jusqu’au centre-ville. Même des gens pas féministes. Même des gens qui ne trient pas leurs déchets. Ils pourront trouver ce qu’ils veulent.

Ayla : Pour autant, on veut aussi que les gens, par exemple du centre-ville, viennent chez nous parce que nous avons des rayons forts en féminisme et développement durable. Les gens ne devront pas avoir peur ou se sentir mal à l’aise de venir à La Nuit des temps. Ce sera une plus-value de trouver un endroit chaleureux, accueillant, bienveillant. La librairie ne doit pas être un lieu sacralisé, intimidant.

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Solveig : Les gens ne doivent pas se sentir jugés sur leurs choix littéraires. On est assez convaincu, surtout en ce moment, que l’échange et la culture font avancer le monde, reculer l’ignorance et la peur. On veut favoriser la connaissance de l’autre, la connaissance du monde. On va y arriver. Nous sommes assez engagées et militantes pour y arriver. C’est par notre métier qu’on peut essayer de faire un peu avancer les choses.

Ayla : Choisir d’être libraire indépendant, c’est déjà un acte engagé.

U. : Vous sentez-vous prêtes à proposer à votre clientèle certains ouvrages qui puissent être contraires à ce que vous pensez ? Pour alimenter le débat, par exemple ?

Ayla et Solveig : Je ne suis pas sûr qu’on aura le dernier Zemmour en pile de dix sur la table. Si quelqu’un nous le demande en commande, on est obligé de lui commander. On ne refusera pas une commande même si elle nous semble contraire à nos valeurs.

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: Quel est, à chacune, votre parcours professionnel ?

Ayla : On a toutes les deux travaillé en généraliste. Moi j’ai fait plus de jeunesse que Solveig, Solveig a fait plus de polar que moi. J’ai fait du voyage.

Solveig : J’ai fait du tourisme.

Ayla : On a toutes les deux travaillé dans tous les rayons.

Solveig : Mis à part jeunesse et BD qui sont mes points faibles, pour moi…

Ayla : La littérature française, à part quelques exceptions, m’ennuie un peu. Mais on en aura. J’en lis quand même.

Solveig : On est peut-être moins littérature française. On préfère l’ouverture sur le monde, plutôt que se regarder le nombril, comme peut le faire parfois la littérature française. On préfère voyager un peu, voir ce qui se passe ailleurs.

U. : Avez-vous travaillé longtemps en librairie ?

Ayla : Cinq ans.

Solveig : J’ai fait un brevet professionnel en librairie.

Ayla : Moi, j’ai une licence professionnelle en librairie. J’ai travaillé à Paris, Sète, Toulouse, Nantes. J’ai travaillé notamment à la librairie Ombres Blanches.

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Solveig : La librairie Coiffard, où j’ai commencé. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Coiffard reste la librairie de ma formation, avec une équipe incroyable, des libraires compétents, bienveillants, dans le conseil. J’ai travaillé à la librairie Lucioles, à Vienne, à côté de Lyon, dans une plus petite structure, avec une équipe vraiment chouette, des patrons vraiment engagés dans les rencontres avec les auteurs. J’ai travaillé aussi à la librairie Le Failler pendant 14 mois, au rayon polar.

U. : Avez-vous des préférences dans la littérature étrangère ?

Solveig : La littérature anglo-saxonne. J’aime bien la littérature japonaise aussi. On a surtout envie de travailler avec les petits éditeurs.

U. : Les éditeurs de Rennes ?

Solveig : Oui, notamment la Part Commune. J’ai rencontré l’éditrice aux Étonnants Voyageurs. Mais aussi les éditions du Sonneur, l’échappée. On pioche à droite, à gauche.

U. : Vous ferez aussi papeterie, n’est-ce pas ?

Ayla et Solveig : Papeterie, mugs, bougies, chaussettes pour l’hiver, plaids. On veut tourner avec une certaine saisonnalité, autour du livre. À quoi pensent les gens, quand ils pensent livre ? L’hiver, pour beaucoup, c’est un plaid, une tasse de thé, un bouquin. Mais on ne vendra pas de chats (rires). On a trouvé des bougies dont les senteurs sont inspirées par des romans.

U. : Comptez-vous organiser des rencontres, avec des auteurs, des penseurs ?

Ayla : Quand on fera des conférences, ce sera plus à propos de nos rayons forts. Des auteurs viendront aussi.

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Unidivers : Judith Butler sur le Mail ?

Solveig : On ne va pas mettre la barre trop haut (rires). Mais il y aura une rencontre avec le parrain de la librairie, un auteur dont on aime beaucoup le travail : Baptiste Beaulieu.

Ayla : C’est un médecin qui sort à Noël son troisième roman. Il est publié chez Fayard. Il milite énormément pour réconcilier les patients et les soignants.

U. : Pourquoi choisir la ville de Rennes ?

Ayla et Solveig : Parce que c’est une chouette ville. Parce qu’il manque quelqu’un. Il y a les grosses, les petites, personne au milieu. Nantes, c’est bouché au niveau des librairies. On a discuté avec beaucoup de gens et tout le monde nous a dit qu’il manquait quelque chose. Il y a encore une place à prendre, et on espère que ce sera nous.

U. : Avez-vous discuté avec la plupart des acteurs du livre, à Rennes ?

Ayla et Solveig : La plupart des autres libraires. Jean-Marie Goater a relayé le financement participatif.  Nous avons rencontré Livre et Lecture en Bretagne.

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U. : L’Association des Librairies Indépendantes et Spécialisées de Rennes ?

Solveig : Non, pas encore. Mais la fédération des cafés-librairies de Bretagne.

U. : Prévoyez-vous de la vente en ligne ?

Ayla et Solveig : Sur les libraires.fr, qui fait de la vente en ligne. C’est une plateforme qui regroupe des libraires. On aura aussi un site, un site vitrine où nous présenterons les coups de cœur, les rencontres, les renseignements.

U. : Êtes-vous en lien avec des associations liées au féminisme ou au développement durable, à Rennes ou ailleurs ?

Ayla et Solveig : La présidente du CGLBT de Rennes suit le projet. Des professeurs souhaitent déjà nous envoyer leurs étudiants pour nous acheter des livres. On repère : où vont les librairies rennaises lorsqu’elles sortent de leurs murs ? Et où elles ne vont pas ? On n’a pas envie de se marcher sur les pieds.

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Unidivers : Pourquoi avez-vous fait appel au financement participatif ?

Solveig : On a envie que les gens se sentent investis dans le projet, dès la création. Mais pour compléter notre apport personnel, aussi.

U. : N’avez-vous pas reçu de subventions ?

Ayla : Les dossiers seront déposés mi-juin pour récolter l’argent en septembre. Pour l’instant, nous n’avons pas de subventions.

U. : Auprès de qui avez-vous fait les demandes ?

Ayla : Le CNL, la DRAC. L’année prochaine, nous tenterons la bourse Lagardère.

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Unidivers : La Rennaise d’édition, un regroupement de plusieurs éditeurs rennais, n’a pas bénéficié de soutien de la part de la mairie ou des institutions de la métropole. Qu’en est-il pour vous ?

Solveig : Nous non plus. Ils ont eu un rôle consultatif. Ils nous ont parlé de certains quartiers, du développement de certains quartiers à court, moyen et long terme. C’était intéressant pour notre implantation. Cela n’a pas dépassé le rôle consultatif.

U. : Une petite question, pour terminer. Si vous deviez partir en quarantaine et ne prendre avec vous qu’un seul livre…

Ayla : Le Chœur des femmes de Martin Winckler.

Solveig : Océan mer d’Alessandro Baricco.

Et vous, cher lecteur ?

Librairie La Nuit des temps Rennes 10 quai Emile Zola

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