Présenté au Festival de Cannes à la quinzaine des réalisateurs, le documentaire Nothingwood fait découvrir les dessous du cinéma afghan de la façon la plus divertissante qui soit. Cinq nominations amplement méritées ! Salim Shaheen, personnage inclassable et gargantuesque, en est le centre. Réalisateur de près de 110 films, il vous invite à assister au tournage du 111e : celui qui raconte sa propre vie, et son arrivée dans le monde du cinéma… Sacré programme !


NOTHINGWOODSonia Kronlund
, habituée à l’Afghanistan pour y avoir réalisé plusieurs documentaires, donne la parole à celui qui est avant tout un passionné de cinéma, et lorsque l’on dit passionné de cinéma en Afghanistan, il faut bien comprendre que cela inclut des risques considérables, jusqu’à celui de perdre la vie si l’on a bousculé la morale rigide, souvent basée sur la charia, qu’observent les sévères habitants de ces rudes contrées. D’ailleurs, être acteur ou actrice est résolument mal vu. Lorsque l’on considère ceux qui entourent Salim Shaheen, on comprend un peu mieux. D’un côté un assistant, dialoguiste et autres divers emplois, qui ressemble à une sorte de serial killer digne de figurer dans un James Bond, de l’autre coté, pour jouer les rôles de femmes, ce qu’il convient d’appeler une folle hurlante et vaguement hystérique, que cela n’empêche pas de nous présenter sa femme et ses six enfants. Bref de quoi être décontenancé et plus encore.

NOTHINGWOOD

Mais pourquoi Nothingwood ? : simplement parce qu’il existe Hollywood, aux États-Unis, Bollywood, en Inde, et ce cinéma afghan, fait avec rien… nothing. Et là, ce n’est pas un euphémisme, les moyens utilisés confinent au dérisoire. Une pauvre caméra fait tout le travail, pas autre chose que des décors naturels, emploi des personnes présentes comme figurants non payés, tout est à l’avenant et produit un cinéma classé Z pourtant très populaire auprès de la population afghane. Quel est donc le secret de ce bateleur égocentrique et braillard, passablement cabotin et convaincu de la qualité de son cinéma ?

La popularité sera sans doute la première réponse. Dans ses films, le peuple est mis en avant, il est brave, honnête, courageux et vient à bout des puissants et des riches, les chansons peuvent être reprises par tous. Le cinéma de Shaheen est le miroir de la vie afghane. Détail divertissant, un taliban invité à témoigner raconte comment, au sein de cette faction et malgré l’interdit, un trafic des films de Shaheen leur permettait de suivre les nouvelles créations du réalisateur.

Au-delà de l’aspect bouffon, il n’en reste pas moins que le danger est omniprésent. Lorsque l’acteur jouant le rôle de femme va sur un marché s’acheter des robes et croise le regard interrogateur et peu amène d’un probable taliban défroqué de fraîche date et qu’il lui dit « pourquoi me regardes-tu comme cela, tu veux m’épouser ? », il est vite recadré par Shaheen qui l’exhorte à plus de prudence. D’ailleurs lors de la visite dans son domicile personnel, malgré la demande de Sonia Kronlund, les épouses, « ne souhaiteront pas participer au documentaire », quant aux six filles elles seront opportunément absentes du domicile ce jour-là. Le danger est partout dans cette société à la structure tribale relevant d’une organisation de type féodal où seuls comptent l’argent et le pouvoir. Bien que le tournage ait été effectué dans une zone calme, celle de Bamyan, où furent stupidement détruits en 2001 des bouddhas témoignages de l’art préislamique, la violence ne s’arrête jamais.

NOTHINGWOOD Détruits par les Talibans en 2001, les bouddhas géants, hauts de 53 m et de 38 m, édifiés il y a plus de 1 500 ans dans la vallée de Bâmiyân, en Afghanistan, n’ont pas été reconstruits.

Pas un jour sans que soient à déplorer attentats, enlèvements, viols, le tout n’ayant d’autre but que de montrer sa force et inspirer la crainte afin de régner sur des bouts de désert. C’est en cela que Shaheen apparaît comme une oasis d’enthousiasme, de pure joie de vivre et qu’on lui pardonne volontiers les excès de sa divertissante mégalomanie. Il produit des films comme pour masquer la tragédie au quotidien que vit son pays, se sentant chargé d’une mission:’incarner la joie et véhiculer une bonne image. Sous le regard de la caméra de Sonia Kronlund, il n’arrive pas à convaincre, mais derrière les pitreries se cache un personnage vraiment touchant. Ce qui apparaît clairement, c’est l’amour qu’il a pour sa terre.

Un cinéma comme celui-là, on n’en voit jamais ; et c’est probablement dommage. Aussi on ne saurait que trop vous conseiller le documentaire Nothingwood sur les écrans dès le 14 juin.

documentaire de Sonia Kronlund Nothingwood, présenté à la quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2017, avec la participation du cinéaste afghan Salim Shaheen, Durée 1H25.

Actuellement à l’Arvor de Rennes :

https://www.unidivers.fr/horaires-cinema-rennes-film/#ancre1

Scénario et réalisation : Sonia KRONLUND
Image : Alexander NANAU, Eric Guichard
Son : Hassan Shabankareh, Matthieu Perrot
Montage : Sophie Brunet, George Cragg
Production : Laurent LAVOLE (GLORIA FILMS)
Coproduction : Melanie Andernach (MADE IN GERMANY)

France/Afghanistan, 1h25
Film documentaire

SONIA KRONLUND
Sonia Kronlund a collaboré à l’écriture de scénarios, dirigé plusieurs collections pour la télévision et produit depuis 2002 l’émission quotidienne Les Pieds sur terre sur France Culture. Elle a tourné plusieurs films et documentaires sonores en Iran et en Afghanistan, pour Arte et France Culture. En 2012, elle publie chez Actes Sud un recueil de récits, Nouvelles du réel. Nothingwood est son premier long métrage comme réalisatrice.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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