Skeleton tree, le nouvel opus de Nick Cave and the Bad Seeds, n’a rien de squelettique. Présenté dans le film One more time with feeling de Andrew Dominik, ce 16e album, dans la continuité du précédent Push the sky away, est marqué par la tragédie personnelle qu’a vécu Nick Cave en 2015…

 

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Nick Cave écrivant (Photo Alwin Kuchler)

Nick Cave, auteur et compositeur d’envergure, est aussi écrivain et scénariste. Le cinéma, il l’aime et le côtoie depuis de nombreuses années ; ces derniers temps en particulier avec de superbes bandes-son (cosignées avec son complice des Bad Seeds Warren Ellis, la dernière en date étant celle du beau film Loin des hommes de David Oelhoffen). Apparaissant dans son propre rôle dans Die Stadt en 1983 et dans Les Ailes du désir en 1987, son premier rôle de composition est celui d’un détenu dans Ghost… Of the Civil Dead de John Hillcoat. Sa dernière apparition sur grand écran date de 2014 dans le film 20 000 days on earth de Iain Forsyth et Jane Pollard (qui narrait vingt-quatre heures fictionnelles de la vie du chanteur). Essai non transformé pour cette œuvre un brin narcissique. Quelques phrases révélatrices de l’univers et du travail de Nick Cave donnaient fort heureusement un peu de fond à cette décevante réalisation qui se terminait par un plan de l’artiste en père de famille avec ses deux fils :

Une chanson est héroïque, car elle se confronte à la mort. Une chanson émerge du monde spirituel avec un message authentique : un jour, je vous apprendrai comment domestiquer un dragon. (Nick Cave)

skeleton treeEn 2015, le musicien australien et son épouse sont confrontés à la mort, celle de leur fils de quinze ans, Arthur. Le dragon du chagrin, de la dévastation s’est celui que Nick Cave aura dû domestiquer durant la création de son nouvel album Skeleton Tree. Jusqu’au jour de sa sortie officielle, le vendredi 9 septembre 2016, rien n’a filtré sur l’album en dehors de l’habile promotion mise en place. Originale, la révélation des huit chansons devait se faire par le biais du film intitulé One more time with feeling. À l’origine ce film réalisé par Andrew Dominik (réalisateur de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, B.O composée par Cave et Ellis) devait être une sorte de documentaire sur l’enregistrement de l’album et quelques concerts. Concerné par l’arrière-plan tragique et tendu de cette création, le réalisateur néo-zélandais a élaboré une œuvre plus complexe, s’entrelaçant plus intensément à l’enfantement des chansons de Skeleton Tree.

skeleton tree nick caveÀ Rennes, ce jeudi 8 septembre 2016, c’est un public nombreux et attentif, qui a assisté à la projection de One more time with feeling. Le jeudi 1er septembre 2016 était dévoilé un premier extrait à la fois du film et de l’album. La chanson Jesus Alone, son titre, ses cordes ténues, tendues et mélancoliques, apparaissant par vagues émergeant d’étranges stridences électroniques, inaugurait parfaitement l’ensemble. Et puis la voix… La voix d’un homme présente d’un bout à l’autre du film comme de l’album. La voix d’un chanteur connu pour ses capacités à en prendre plusieurs pour incarner tous les personnages extravagants de ses longues narrations musicales. Une voix qu’il dit craindre de perdre, et en effet une voix plus ténue, plus retenue pour dire et chanter l’absence, pesante…

Ce sont toujours les choses invisibles. Les choses disparues qui sont les plus envahissantes, les plus pesantes.

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Photo Kerry Brown

Conçu par strates, défiant la chronologie, One more time with feeling alterne les images documentaires en studio, les rushes de mise en scène, des entretiens et l’exécution des chansons de Skeleton Tree en studio. Il fait comme un miroir sensible à 20 000 days on earth, car après un tel traumatisme, les certitudes s’envolent, il semble ne plus y avoir d’espace pour l’assurance, mais également pour l’imagination, le rêve, la créativité.

Pudique en son début, le film pénètre petit à petit dans son déroulement une sphère plus privée, plus intime : le décès d’Arthur est évoqué de manière plus directe. Heureusement, quelques plaisanteries échangées par les musiciens, ou bien entre les deux époux atténuent la sensation de gêne. Et puis, surtout, il y a les chansons… Comme des phares, des balises dans des journées de gris infini. La beauté surgit alors, maîtrise et catalyse les émotions ; elle réoriente le plomb gris entêtant de l’ennui figé.

L’apport de Warren Ellis est plus prégnant que sur les albums précédents, qu’il dirige les sections de cordes, joue du violon ou déroule ses boucles électroniques crépitantes il agit en humble chef d’orchestre, en conseiller avisé. Tant et si bien qu’il en vient a éclipser, dans le film en tout cas, les plus anciens des Bad Seeds, Thomas Wilder (batteur depuis 1985), Martyn P. Casey (bassiste depuis 1991), ou plus récent tel le percussionniste Jim Sclavunos. Mais ce qui fonctionne à merveille sur Jesus Alone, l’entrelacement conflictuel et harmonique des boucles, des claviers et des autres instruments se révèle plus juste et touchant encore sur Girl in Amber (ballade hypnotique dont les accords de clavier rappellent les compositions d’Angelo Badalamenti pour Twin Peaks) et d’une jubilation émotionnelle déroutante sur I need you et  Distant Sky, hymne à la tendresse solaire partagé avec la voix de la soprano danoise Else Torp. Quand le paysage musical abstrait et chtonien de Magneto est lui survolé par la voix profonde de Nick Cave naviguant entre peine et espoir. C’est cet espoir plein de vulnérabilité qui surmonte dès l’entrée Anthrocene le titre suivant, cantique désaxé tout en syncope.

Parfois étonnamment proche mélodiquement du précédent album Push the sky away, Skeleton Tree en approfondit et sublime les intuitions musicales avec une éprouvante authenticité. Puissamment mélancolique, d’une beauté rugueuse, méditative et juste Skeleton Tree élève, malgré le ramage de la peine et de la douleur, ses racines vers les cieux.

Nick Cave and the Bad Seeds Skeleton Tree, nouvel album 8 titres, Bad Seeds Ltd, septembre 2016

Tracklist:
Jesus Alone
Rings of Saturn
Girl in Amber
Magneto
Anthrocene
I Need You
Distant Sky
Skeleton Tree

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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