Natif de Rouen, Maxime connu sous le nom de S3A, est l’un des DJ producteurs les plus influents de la scène house française. De ses premiers mixs en 1996 à la sortie de ses premiers morceaux en 1999, il sample la house en tant que S3A depuis plus de sept ans. Rencontre avec cet amoureux de musique électronique.

S3A

Comment se sont passés vos débuts en tant que S3A ?
S3A : Assez naturellement. S3A existe depuis 2011. J’ai commencé à faire les premiers tracks en 2009 quand on avait le studio avec Sylvain de Zadig. J’ai signé en 2012 en résidence à Concrete. J’avais besoin de ce nouveau projet avec cette envie de notes et de groove. Avant, je faisais de la techno un peu plus énervée. J’ai toujours acheté du Masters at Work et quand j’ai voulu explorer de nouvelles choses, je m’y suis mis tout naturellement, j’ai fait les cinq premiers morceaux en trois jours. Je les ai ensuite proposé à Seuil et à Syncrophone Records, un distributeur à Paris.

Même si nous retrouvons dans le projet S3A des influences funk, disco, hip-hop, c’est surtout la house qui domine, vous avez toujours été attiré par ce courant ?
S3A : J’aime la musique électronique c’est sûr. J’ai toujours apprécié le côté futur et techno, je suis un gros geek. Les DJ’s qui jouent tout sauf de la house ou de la techno, ce n’est pas forcément mon truc. J’ai plutôt des références de musique électronique en général. Mon idéal se situe entre la musique à danser et à écouter. J’ai beaucoup aimé tout ce qui était hardcore français et anglais des années 1990 que j’écoute moins maintenant parce que j’ai un peu vieilli. Je ne pense pas qu’il faut que la musique rentre dans des cases. Quand on regarde les sets que je fais, généralement je pars en techno et je reviens en house. Je peux très bien passer du Masters at Work avec un disque de disco et un DJ Funk juste après. Le but est de faire vibrer les gens. Il faut être pluriel car la vie est trop courte pour être ultra spécialisé dans quelque chose. Par contre, il faut avoir un juste milieu et garder un certain dynamisme de la musique électronique et de la violence des machines.

Ce dynamisme dont vous parlez s’explique aussi par l’évolution d’un projet techno avec Friendship Connection vers un projet house avec S3A ?
S3A : J’ai toujours écouté beaucoup de choses. Friendship Connection est un projet commun que j’avais avec Zadig. Il y avait à la fois un côté hardcore et ambient. Tu ne peux pas être tout le temps dans le même truc sinon tu te lasses. Même quand je faisais de la techno je voulais quand même mettre des notes dedans. Aujourd’hui quand je fais mes morceaux il faut que ça soit un minimum violent. J’ai très peu de morceaux sans dynamique. Je n’aime pas les morceaux mono-tone. Ils sont peut-être très bien mixés car ils sont utiles pour un long mix ou pour installer quelque chose, mais ce n’est pas ce genre de morceau qui me fait kiffer.

Le sampling est votre marque de fabrique, vous avez crée votre propre label : Sampling As An Art Records en 2014, que vous apporte cette technique ?
S3A : Le sample m’apporte une matière première et tout ce que harmoniquement parlant je ne sais pas faire. Il me sert souvent pour le début de mon inspiration. Dans ce que j’écoute, il y a plein de moments où je me dis : « ce passage là dure 4 secondes ça serait bien de le bosser, de lui donner une seconde vie, de le changer complètement de son contexte et d’en faire un thème qui évolue d’une certaine manière ». J’aime bien sortir les choses de leur contexte et le sample me donne cette facilité. Après j’ai eu l’occasion de travailler avec des musiciens qui jouaient ce que je voulais pour les sampler après. C’est l’idéal car tu écris des choses relativement simples et eux partent en jam après. C’est une mine d’or pour toi puisqu’en 25 minutes ils ont bien plus d’idées que toi en quatre accords. Il faut être amoureux du sample pour l’écouter en boucle, trouver des choses intéressantes dessus, le faire vivre, bouger et le rendre contagieux.

S3A

Comment s’y prend-on pour choisir des samples ?
S3A : J’ai un peu varié sur les morceaux qui vont sortir cette année. Habituellement, je partais sur ce qui était mélodique et groove. Je piochais dans la funk fusion de 1974 à 1979 et dans tout ce qui était rythmique de support, c’est-à-dire ce que je ne faisais pas avec les boîtes à rythmes dans la disco de 1979 à 1983. Il y a truc que j’ai découvert au Red Bull l’année dernière et que j’aime bien faire, c’est me prendre un pack de vieux disques que je ne connais pas et bosser les samples comme une matière. Je retire tout l’affect qu’il y a sur les disques parce que le problème c’est que lorsque tu aimes un son, tu ne réussis par forcément à le sampler. Quand tu pars creuser dans un magasin pendant trois heures, tu achètes des disques que tu aimes et ça te bloque un peu parce que tu n’oses pas les sampler. Je n’ai jamais réussi à sampler des sons de Philip Glass ou de Don Blackman. J’ai toujours peu de salir le morceau ou de proposer une version moins intéressante. Des fois aussi les samples sont trop évidents et le but n’est pas de faire un édit comme tout le monde. Je ne dis pas que je vais jamais en faire, parce que c’est facile à jouer, ça se vend mieux et quand tu n’as pas d’inspiration c’est peut-être mieux de laisser les choses telles qu’elles sont, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse en premier lieu.

S3A

Comment avez-vous l’habitude de travailler et avec quel matériel ?
S3A : Au début, je travaillais beaucoup avec ma MPC 3000 que j’ai laissé tomber. J’ai toujours fait des samples longs que j’avais besoin d’accorder, détuner, retuner et les MPC ne sont pas du tout faites pour ça, elles sont utiles pour des rythmes. Aujourd’hui, j’affectionne beaucoup les petits synthés de chez Roland, les 909, 707, 808. Je me sers d’Ableton pour lire les samples longs, qui nécessitent une architecture et permettent de retoucher un morceau à la milliseconde près. Après tout est analogique, tout sort dans une console, c’est mixé en dehors d’Ableton. Dans cette console, arrivent les boites à rythmes et les compresseurs pour mettre un peu de patate et changer le son. J’apporte un soin particulier à la couleur du son. Il m’est déjà arrivé de passer sept fois un sample dans ma chaîne audio.

Les collaborations vous ont permis d’avoir un nom sur la scène house ?
S3A : Je pense pas que ce sont les collaborations. J’en ai toujours fait parce que je m’entendais bien avec les gens. Je pense à celle avec Lazare Hoche, c’est parce que c’était un pote et qu’il me parlait de son projet. J’ai fait d’autres collaborations qui ne sont jamais sorti, comme celle avec Detroit Swindle. Le but est de partager des moments. S3A est un risque, une marque de fabrique et une vision. Logiquement ce qui connaissent bien ce que je fais, sont capables de me reconnaître en huit mesures. Je veux que ça reste, car le jour où je ferais de vraies collaborations, j’aimerais que l’on reconnaisse qui a inventé quoi.

En parlant de collaboration, pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Laurent Garnier ? La première fois c’était au Rex Club en 2014…
S3A : Laurent Garnier ça a toujours été un rêve. Pour la petite histoire, j’avais prêté ma 909 à Concrete. Brice m’appelle pour me dire : « ça serait bien que tu viennes la chercher tel jour » et je lui répond : « t’es chiant c’est un dimanche, c’est le jour où Laurent Garnier joue, il y aura plein de monde ». Il insiste, j’arrive là-bas, il me dit d’aller la chercher dans la régie. En sortant, il me sort : « attends je vais te présenter quelqu’un » et c’était Laurent Garnier. Il me sort : « tu te balades avec une 909 à Concrete t’es taré ». Je lui explique que je leur ai prêté. Ce soir là, Laurent Garnier me dit : « ça serait bien que tu me fasses écouter ce que tu fais ». Je lui ai donc envoyé un pack. Il m’a répondu : « c’est mortel, je trouve ça vachement original, il y a plein de notes, continue de m’envoyer des trucs ». Un mois après Laurent Garnier m’appelle en me disant : « j’aimerais bien que tu fasses un remix sur Musique Large, en plus tu es normand, ils viennent de Caen, ça serait marrant ». Notre relation s’est développée au-delà de la fanboy. Au début ça a été compliqué, j’ai dû lui expliquer que j’allais avoir du mal à être normal avec lui. La première fois que nous avons joué ensemble c’était effectivement au Rex Club en 2014, il m’avait invité pour sa soirée. C’était super cool, une de mes meilleures soirées, nous avions fini à 9h du mat. Il y avait eu un match retour à Concrete en 2015, à un after du Weather Festival. Ça s’était super bien passé parce que nous avions préparé le mix et appelé les lights en leur expliquant qu’il y aurait un passage d’acid et qu’il faudrait mettre Concrete dans le noir. Nous nous étions super bien entendu, c’était un B2B très fun, où nous étions à l’écoute. Maintenant nous entretenons une relation stable, nous essayons de se voir dès que possible. Je dis souvent que les longues relations instaurées sont les plus stables.

S’il y a un EP avec S3A que vous deviez retenir, ça serait lequel ?
S3A : C’est super compliqué. Le premier EP, j’en ai vendu pas mal, mais je dirais quand même le dernier EP parce que c’est le Quartet Series et il y avait Local Talk quand je l’ai fait. Ils ont mis un soin particulier pour que cet EP se différence de tous les autres. Le Mimesis EP sur Lazare Hoche m’a demandé aussi pas mal de travail. Il y a aussi pas mal d’EP’s qui vont arriver. J’ai pas mal travaillé fin 2017, début 2018. En 2017, j’ai surtout travaillé avec le label, nous avons fait pas mal de sorties. Cette année, pour 2018, je vais un peu plus penser à moi. Bien sûr, il y aura quand même des sorties avec le label mais un peu moins. Je vais sortir sur différents labels : Le Petit Zoo, le label que vient de faire Pablo Valentino. Il va aussi y avoir l’EP Eureca, un sous-label de Local Talk japonais qui va être en exclu Japon pendant un moment. Je vais être aussi sur pas mal de various comme l’anniversaire de Quintessentials. Je suis content ça marche bien.

Comment imaginez-vous la suite de votre carrière ?
S3A : Plus professionnaliser mes activités, arrêter de juste kiffer, jouer devant des gens et ne pas réfléchir à la stratégie. Musicalement, je pense avoir un penchant plus acoustique dans ce que je fais mais je ne vais pas abandonner la musique électronique. Aujourd’hui, si je devais faire un live band il y aurait forcément des boîtes électroniques dedans. Tous ceux qui font de la house ont tendance à se diriger vers du live band exclusif, comme si la musique électronique représentait ça, je ne pense pas. Depuis 2006, je ne vois pas d’évolution de la techno. Les seuls que je prends toujours autant de plaisir à écouter sont Antigone et Zadig. En techno c’est compliqué de trouver des sons vraiment cools et qui changent. J’essaye d’avoir des harmonies, des chapitres et des évolutions, mais ce n’est pas évident de garder une dynamique et une intensité. Dans tous les cas, je vais continuer à faire ce que je kiffe et je verrais pour la suite.

S3A sera en concert le 2 juin 2018 à La Terrasse de l’ECAM Festival à Lyon.

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Timothy Gaignoux
Timothy Gaignoux est journaliste spécialisé en culture musicale.

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