Du 18 mars au 4 décembre 2022, le musée de Bretagne aux Champs Libres, à Rennes, présente l’exposition Celtique ? Entée sur de nombreuses ressources et à rebours de nombreuses idées reçues, l’exposition questionne l’identité celtique de la Bretagne. Une identité celte qui s’affirme en Bretagne au début du XIXe siècle avant d’être investie par certains acteurs, notamment régionalistes. L’exposition Celtique ? entend l’analyser d’une manière scientifique. (article du 20 mars 2022, mis à jour le 10 mars 2023)

Avant-propos de Nicolas Roberti sous forme de contextualisation historique

Certains acteurs de la culture bretonne aiment la rêver celtique bien que le fantasme d’une identité celte continue de la Bretagne né à la fin du XVIIIe siècle, renforcé par le romantisme néopaïen et la naissance du courant panceltique au XIXe siècle, avant un revival dans les années 1970 puis 2000, ne repose sur bien peu d’éléments historiques. Un Breton est au mieux autant celte qu’un Alsacien, un Auvergnat (honneur au grand Vercingétorix !) ou un Lyonnais. Il se peut même – selon des études scientifiques récentes – qu’il le soit bien moins, voire pas du tout. Explication.

celte bretagne

Historiquement, la première expansion celtique dit de Hallstatt, entre -700 et -500, se répand entre le bassin rhénan, la Bavière et le Danube. Elle ne touche pas l’Armorique, laquelle connait son plus ancien peuplement d’hominidés (en Ille-et-Vilaine) il y a environ 750 000 ans. Entre -450 et -52, une deuxième expansion, dite de la Tène, a lieu dans ce qui allait devenir la Gaule (grosso modo les territoires anciens de l’actuelle France, Belgique, Suisse…). Elle s’étend au Nord-Ouest jusqu’à aux marches de l’Armorique (nom territorial donné par Jules César en -56 dans La guerre des Gaules), mais y pénètre-elle ? C’est toute la question.

L’arrivée de foyers d’individus d’origine celte et leur mélange avec les autochtones des tribus Osismes de l’extrême pointe armoricaine, notamment autour de Carhaix, aurait de fait pu avoir lieu durant cette deuxième expansion des Celtes. Pour autant, la faiblesse archéologique des traces d’une telle implantation laisse penser que ces peuples armoricains du « bout du monde », aux terres peu hospitalières, n’auraient été que peu en contact avec des Celtes ou, le cas échéant, auraient refusé d’être celtisés. À l’image des Basques, voisins des Ibères. Pour aider à s’orienter dans l’épineuse question de savoir si l’expansion celte a pénétré l’Armorique, y a pénétré mais sans s’ancrer ou bien a évité d’y pénétrer (un territoire trop marécageux ? des autochtones inhospitaliers ?), il convient de se tourner vers l’état des recherches archéologiques.

osismes vénètes namnètes

Les fouilles des plus anciens oppida et nécropoles du Finistère sud (situés à Saint-Jean Trolimon, Melgven et Pont-l’Abbé) ont révélé de nombreux d’objets (parures, armes, vases…). Or, très peu d’entre eux (comme un casque trouvé à Trolimon qui pourrait s’apparenter à un type ibérocelte) sont caractéristiques des rites funéraires celtes. « Bref, les types d’objets qui, dans d’autres régions d’Europe, comme la Champagne, constituent la majeure partie des oeuvres remarquables de l’art celtique ne sont que très faiblement représentés en Bretagne », conclut Elven le Goff dans Aspects de l’art celtique en Bretagne au Ve siècle avant J.-C.

Saint-Jean Trolimon, Melgven et Pont-l'Abbé

Ce contact avec les Celtes a pu être plus ou moins marqué chez le tribus coriosolites (Côtes-d’Armor), riedones (Ille-et-Vilaine), namnètes (Loire-Atlantique) et vénètes (Morbihan), ces derniers étant d’habiles navigateurs et commerçants (notamment d’étain), et, selon César, les maîtres de la mer armoricaine avec leur bateaux faits en chêne et dotés de voiles en cuir fin qui descendaient jusqu’en Ibérie. Mais dans quelle proportion ces échanges se sont-ils traduits par un intrant humain et culturel à l’intérieur des tribus locales ? De fait, les quelques traces en Armorique occidentale (telles les 4 scultpures gauloises du Ier siècle av. J.C. découvertes à Trémuson près de Saint-Brieuc) sont bien tardives et sans commune mesure avec les trésors archéologiques des vallées de la Moselle et de l’arc helvético-rhénan entre le début de l’Âge de Fer et la latinisation gallo-romaine imposée par la conquête de Rome.

En l’état des travaux scientifiques des archéologues, nous relevons deux interprétations possibles. Celle, très ouverte, qui considère que quelques très rares traces de migrations en Bretagne actuelle après le Ve siècle av. J.C. ; mais de combien d’individus parle-t-on, avec quelles richesses et comment s’est opérée leur intégration ? Personne n’en sait rien.
Celle, plus récente et conclusive, qu’explique notamment en ces termes à La nouvelle République Yannick Lecerf, archéologue spécialiste de la préhistoire du Massif armoricain, ancien chercheur au CNRS et conservateur du patrimoine, qui a conduit notamment les fouilles du site mégalithique de Monteneuf dans le Morbihan :
« Les Celtes ne sont jamais venus en Bretagne. Les recherches archéologiques démontrent que les Celtes sont venus d’Europe centrale et se sont partagés en deux groupes, l’un remontant vers l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande par la Belgique et la Normandie ; l’autre descendant vers la péninsule, ibérique par le centre de la France en évitant la Bretagne. Pourquoi ont-ils snobé la Bretagne ? D’abord parce que les Celtes, peuple migrant, n’étaient pas intéressés par les péninsules. Mais je pense que la raison principale tient au fait que les Celtes, qui cherchaient à se fondre dans les populations, n’ont pas réussi à s’intégrer aux communautés bretonnes du fait de leur forte identité développée au néolithique. »

yannick lestrat bretagne celte

Faut-il le rappeler, les mégalithes, dolmens et autres menhirs ainsi que le symbole du triskell ne sont pas apportés par les Celtes. Leur apparition – en Europe, Afrique et Asie – débute dès la fin du Néolithique, plus de 3000 ans avant le premier foyer celte… Le cairn de Barnenez dans le Finistère remonterait à -4500. Les plus anciens triskeles, vieux de 5000 ans, ont été trouvés gravés sur des temples mégalithiques de l’île de Malte, en pleine mer Méditerranée…
Quant aux fameux druides, là aussi on n’en a que des traces très tardives. Qui plus est, « leur existence est attestée historiquement qu’en Gaule et non dans l’ensemble du monde celte », explique l’archéologue Jean-Louis Brunaux, dont l’ouvrage Les Celtes, histoire d’un mythe fait référence.
Ce qui laisse nettement penser que le druidisme est un phénomène religieux endogène, antérieur et indépendant des expansions celtes. C’est ainsi que la fête de la Samain – que certains aiment appeler le nouvel an celte – apparait tardivement et principalement en Gaule nord-occidentale. « Les premières mentions de Samain, que l’on trouve dans la littérature irlandaise précoce, datent tout au plus du Haut Moyen Âge », explique Jean-Louis Brunaux, archéologue spécialiste de la civilisation gauloise. Soit bien loin du temps où le paganisme dominait le Vieux Continent. Ainsi, si Samain « repose sans doute sur des fêtes populaires qui ont bel et bien existé et remontent à la nuit des temps, dire d’elle qu’elle est celtique n’a pas de sens » poursuit-il. Bref, tout le folklore celtique et ses symboles ne semble reposer que sur des vues de l’esprit.

monnaie triskel trinacria agathocle - III siècle
Monnaie d’Agathocle, roi de Syracuse de 304 av. J.-C à sa mort

D’où vient-il ? Ce folklore fantasmé naquit ex abrupto durant la seconde partie du XVIIIe siècle. Il est en quelque sorte précipité en 1760 par la publication en anglais de poèmes attribués à un légendaire barde écossais du IIIe siècle : Ossian, fils du légendaire roi Fingal. Ces poèmes qui s’inspirent de bouts d’épopées pour la plupart rédigés au XVe siècle, racontent des exploits guerriers, des séparations amoureuses déchirantes, des descriptions des paysages brumeux des landes écossaises. Leur caractère romantique néopaïen en phase avec l’esprit du temps connait un succès foudroyant et crée une véritable celtomanie dans les milieux littéraires anglophones et francophones.
Ces poèmes qui comptaient parmi les lectures préférées de Napoléon le conduisit à soutenir la création de l’Académie celtique en 1805, laquelle véhicula activement une celtomanie plus souvent fantasmée qu’historiquement sourcée. « Les Académiciens français s’emparent du thème celtique. S’affranchissant des temps, attribuant le mégalithisme aux celtes, s’appuyant sur des écrits imaginés (les écrits d’Ossian), le roman national finit par imposer une origine mythique”, commente Yannick Lecerf dans Une autre histoire de la Bretagne : Au-delà du mythe celte.
Surfant sur la vague, le Breton Le Gonidec connut en 1807 un petit succès avec sa Grammaire Celto-Bretonne, mais c’est la publication en 1839 du Barzhaz Breiz, recueil de chants populaires de Bretagne, par Théodore Hersart de La Villemarqué, qui révéla à la France comme à l’Europe cette langue et cette culture populaire bretonnes si originales et riches. C’est ce nouveau regard ethnographique qui nait au XIXe siècle qui fait naître une « Bretagne celtique » qui n’existait pas auparavant : une construction intellectuelle qui conjugue allègrement l’implantation d’un foyer celte dans l’Antiquité, la prétendue arrivée de saints irlandais ou gallois (Malo, Magloire Thuriau…). Pour autant, ce fut la création du Celtic revival irlandais à la toute fin du XIXe qui déploya politiquement la celtomanie en Bretagne, autrement dit fit de la « Bretagne celtique » un projet politique.

Quant à la langue bretonne, d’origine britonnique de type cornique, elle est en effet d’origine celte, mais elle est apportée tardivement. Le vieux breton découle de l’arrivée en Armorique de guerriers bretons ou brittons (issus de tribus celto[-belges] qui sont arrivées dans l’actuelle Angleterre au IVe siècle av. J.C. , laquelle s’appelait « Bretagne » à l’époque de l’empire romain) autour du Ve-VIe siècle ap. J.C. Je reviendrai sur cette nouvelle colonisation et son aspect linguistique peu après.

britton breton bretagne

D’où la question : jusqu’à la conquête de la Gaule, de -126 à -52 av. J.C., quelle langue parlaient les Osismes, les « habitants du bout du monde », de la pointe armoricaine, ou les Vénètes, ces navigateurs qui commerçaient des métaux et de la charcuterie ?
Du néolithique jusqu’au Ve siècle av. J.C., ils pratiquaient des formes linguistiques ancestrales d’origine indo-européennes.
Ensuite, entre le IVe siècle et -50 avant J.C. ? On ne peut être sûr de rien étant donné qu’il n’existe pas de trace écrite.
Peut-être des dialectes régionaux issus du continuum celto-gaulois ont-ils pénétré jusqu’à produire un celto-armoricain – mais à partir de quand et dans quelle mesure ?
Peut-être un peu, mais peut-être pas.
Il se peut que les Ossismes comme les Vénètes, les Coriosolites, les Riedones et les Namnètes se soient attachés farouchement (pour d’obscures raisons psycho-politico-religieuses) à préserver leure(s) langue(s) tout en laissant les navigateurs et marchands commercer en langue gauloise.
Malheureusement, Jules César dans ses écrits ne décrit pas la langue que parlaient les Vénètes.

Un petit rappel utile. Les peuples celtisés appelés les Gaulois étaient de tradition orale. Ils n’utilisaient pas un alphabet propre mais ont emprunté celui des Grecs, des Étrusques ou des Latins auxquels ils ajoutaient des lettres, comme le tau gallicum, pour transcrire les sons absents de ces langues. La rareté des attestations écrites serait due à une particularité religieuse : Jules César note dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules que les vers appris auprès des druides ne doivent pas être écrits car la « parole écrite est morte ».

Et toujours à en croire César, les peuples de l’Armorique étaient indépendants bien que dominés commercialement par les Vénètes. « Par leur marine considérable, leur supériorité nautique bien reconnue et leurs relations commerciales avec l’île de Bretagne, les Vénètes étaient devenus un peuple très puissant, dont l’autorité s’étendait au loin sur tout le littoral de la Gaule et de la Bretagne Insulaire. Ils possédaient un petit nombre de ports situés sur cette mer ouverte et orageuse à de grandes distances les uns des autres et rendaient tributaires presque tous les navigateurs obligés de passer dans leurs eaux. » (Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, III, 8)

C’est précisément avec la bataille de César contre les Vénètes en -56 que semble s’être créée la confédération des peuples armoricains jusqu’ici indépendants. En effet, tous apprirent que César, après le succès de sa bataille navale contre les 220 vaisseaux vénètes, avait tué la quasi totalité des chefs et déporté la population en esclavage. D’où la naissance de cette confédération armoricaine qui aurait fourni 20 000 hommes – soit entre un quart et la moitié des hommes en âge de se battre – à l’armée gauloise de Vercingétorix (cela étant, entre Brest et l’ancienne Alésia, il y a tout de même 900km…).
S’il faut rester prudents quant à la violence du combat et de la punition en rappelant que la Guerre des Gaules est le récit d’un stratège en guerre à l’attention du sénat de Rome, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que le traumatisme de la défaite des Vénètes a été à l’origine de l’interaction soutenue (forcée par la nécessité) des peuples armoricains avec les peuples gaulois. Interaction nouvelle qui allait se solder comme pour toute la Gaule par la soumission à Rome.

carte gaule
La Gaule selon Agrippa et Pline l’Ancien d’après A. Berthelot et le commandant Pollacchi

Avec la victoire de la conquête romaine de la Gaule, le latin (secondé par le grec) se répand partout, entraînant le mélange du latin vulgaire avec les variantes de la langue gauloise. Le gallo-romain s’impose comme la langue parlée dans les principales villes de toute la Gaule (y compris l’Armorique désormais ouverte et soumise), mais aussi écrite dans le commerce au II siècle ap. J.C. Les variantes du gaulois ne cesseront de reculer en Gaule à la faveur de la latinisation et de l’Age d’or de la pax romana.

Mais, dans la pointe armoricaine, un phénomène différent survint. Alors que les défenses armoricaines avaient été laminées par l’envahisseur romain et l’Armorique gallo-romanisée, l’empire des Césars connaît une crise profonde au Ve siècle. C’est pourquoi le Sénat mandate des armées de Bretons de l’île de Bretagne afin de défendre le littoral des Ossismes qui sont victimes de raids des Scots (tribus sans doute d’origine celte qui se sont implantés en Irlande en s’alliant aux Pictes avant de fonder au Ve siècle ap.J.C. le royaume chrétien d’Argyl qui est l’ancêtre de l’Ecosse) puis de maintenir la sécurité de la colonie armoricaine. Des clans bretons romanisés et leur langue bretonne (langue gaulo-celte mêlée de latin) se répandent dans la péninsule par les côtes nord et ouest au Ve siècle. Ces Britto-romains maintiennent la soumission des peuples armoricains en assurant leur sécurité. Mais ils profitent et accélèrent la dissolution des structures administratives gallo-romaines au profit de l’instauration de leurs structures claniques et seigneuriales. Cette réussite politico-militaire entraîne un mouvement migratoire de (riches et nobles) Bretons en provenance de l’île de Bretagne (le peuple capitulant devant la pression anglo-saxonne et scote) vers les territoires occupés armoricains, une migration qui se poursuit jusqu’au début du VIe. Dès lors, le britonnique insulaire supplante rapidement le latin en donnant naissance au vieux breton qui est à la base des 4 dialectes continentaux des tribus armoricaines. Les populations autochtones furent absorbées dans des petits royaumes nouvellement créés par les seigneurs bretons et leurs rites anciens dans le christianisme naissant promu et servi efficacement par un maillage ecclésiastique (constitué majoritairement de moines gallois). Au milieu du VIe, la bretonisation triomphe : l’Armorique est rebaptisée « Bretagne » en honneur des nouveaux occupants et maîtres des lieux qui avaient traversé la Manche.

Dès lors, la légende arthurienne avec le mythique roi Arthur allait pouvoir se constituer et prospérer. Au-delà de son intérêt spirituel et symbolique, à quoi servit-elle d’un point de vue politique ? A coaliser, à unifier une partie des habitants des îles britanniques et des Armoricains autour du mythe d’une identité commune qui remonterait au sources du christianisme, voire voulue par la Sainte Trinité en trois personnes, et qui a pour finalité de faire pièce aux aspirations de… des Francs. Dispositif qui prospérera des siècles et que l’on retrouve encore à l’oeuvre chez Henry VIII qui utilisa une prophétie attribuée à Merlin pour annonce la revanche des peuples celtes de Grande-Bretagne sur les détestés Saxons.

Voilà quand et comment commence la Bretagne dit désormais « christo-celtique ». Une bretonisation culturelle importée (imposée ?) par des clans (quelques milliers d’individus ?) qui ont traversé la Manche au V-VIe siècle ap. J.C. Mais c’est au XIXe siècle que cette sédimentation donne lieu à la projection rétrospective d’une identité spécifique en Armorique qui remonterait non à l’occupation des Bretons mais, pour certains, à des siècles avant, voire à la nuit des temps.

royaume franc bretagne

Alors que la fin de la latinisation gallo-romaine était actée au Ve siècle par la conquête franque du nord de l’actuelle France, les armées des Bretons empêchèrent sa pénétration en Armorique. Résultat, la langue gallo-romane portée par l’expansion franque ne s’y répandit que peu et n’entrava pas l’expansion territoriale du vieux breton qui culmina au IXe siècle (au-delà d’une ligne allant de Dol de Bretagne à Donges, le latin vulgaire demeura la seule langue vernaculaire ; on n’a jamais parlé le Breton ni à Rennes comme l’ont démontré les travaux de Joseh Loth) avant de reculer vers le XIe siècle (comme l’atteste l’étude de l’archevêché de Dol ordonné par Henri II Plantagenêt à la fin du XIIe) sous la poussée du français né vers le IXe et le gallo au XIe (la frontière depuis admise entre breton et gallo va de Kertugal – Saint-Quay-Portrieux – au Nord à Guérande-Rhuys au Sud). A partir du Ve siècle et jusqu’au début XXe, avec un recul de la frontière après le Xe, une bonne partie de l’Armorique connut ainsi de nouveau une particularité linguistique qui la différentiait de ses voisins à la langue non plus gallo-latine mais romane : une grosse moitié des peuples armoricains envahis par les Bretons venus de la (grande)-Bretagne pratiquait un dialecte breton.

royaume bretagne
Frontières approximatives du royaume de Bretagne (845-867).

La langue brittonique des Bretons insulaire est la source du vieux breton continental qui se pratique à travers quatre dialectes principaux : le vannetais (G), le léonais (L), le trégorrois (T) et le cornouaillais (K). Le plus ancien texte écrit dans lequel apparaissent quelques mots de vieux breton (si ce n’est en fait du britonnique cornique) date du Xe siècle : le manuscrit de Leyde (voir notre article). Le moyen breton court la fin du début XIIe siècle à la fin du XVIe siècle et donne lieu, principalement, à des écrits sous forme de poésie religieuse. Il faut attendre le XVIe pour que se multiplient des textes écrits en breton « moderne ». A la fin du XIXe siècle, près d’un million de personnes parlaient un des quatre dialectes bretons et un peu moins le gallo.

dialecte bretons


En 1908 eu lieu une première unification : le breton KLT qui exclue les spécificités du vannetais. Peu avant la Seconde guerre mondiale qui aura vu nombre de nationalistes bretons se fourvoyer dans la collaboration, notamment avec la légion Perrot de triste mémoire, le linguiste breton et futur collaborationniste Roparz Hemon poursuivit le désir suscité par le Réveil des nations à la fin du XIXe : il crée une langue bretonne écrite unifiée en espérant qu’elle reconquiert les territoires. Dans ce dessein, il gomme des dialectes les mots d’origine française et ajoute à la synthèse de nombreux mots d’origine galloise. C’est ainsi que nait en 1951 le breton KLTG, lequel est depuis adopté par l’enseignement dédié (porté par l’université Rennes 2) bien que nombre de locuteurs âgés, en particulier vannetais, ont affirmé avoir (beaucoup) dû mal à la comprendre. Aujourd’hui, il y a environ 200 000 locuteurs peu ou prou gallèsiens et 210 000 peu ou prou bretonnants (dont la très large majorité pratique le breton KLTG qu’ils ont appris dans des filières scolaires adaptées ) parmi les 4,5 millions d’habitants que comprend la Bretagne historique (sans parler, comme le rappelle la carte audio de Bretagne du CNRS parue en 2017, du poitevin, de l’angevin et du mainiot.) Soit 5% pour chacune. A égalité avec l’arabe dialectal…

gallo breton
La Haute-Bretagne, en bleu, séparée de la Basse-Bretagne par la limite linguistique du breton telle qu’elle était en 1952.

Succédant au royaume de Bretagne, le duché féodal de Bretagne naquit en 938, encore pour partie occupée par les troupes vikings du chef Incon, et perdura jusqu’à son rattachement au pré carré de le couronne de France en 1547. Son périmètre est celui de l’ancienne Armorique, soit la région Bretagne actuelle avec une grande partie du département de la Loire-Atlantique, y compris la ville de Nantes et l’ancien pays de Retz.
Pour faire suite aux clans bretons puis aux rois de Bretagne, la Bretagne est dominé par les ducs de Normandie jusqu’au Xe siècle où Alain Barbetorte, petit-fils du dernier roi de Bretagne Alain Ier Le Grand, la libère du joug normand. Il devient le premier duc de Bretagne. Pendant près de trois siècles, du Xe au XIIe siècle, les grandes maisons comtales bretonnes (Nantes, Rennes, Cornouaille) se disputent le duché. A la fin du XIII siècle, l’administration ducale abandonna le latin au profit du français sans passer par le breton. Le duché s’avère un enjeu d’influence du royaume de France et du royaume d’Angleterre. Bien que la Bretagne arrive à garder son caractère d’entité politique distincte, les Plantagenets parviennent à placer leurs ducs à la tête du duché afin de le contrôler.
Après près de 60 ans de lutte, autant militaire que diplomatique, notamment l’invasion du duché par l’armée française à la fin du XVe siècle, le royaume de France réussit à effectuer un premier rapprochement, avec le mariage de trois rois de France successifs avec les duchesses Anne de Bretagne et sa fille Claude. En 1532, l’union du duché de Bretagne et du royaume de France est proclamée, celle-ci sera effective en 1547 lors de l’accession au trône de France du dernier duc, Henri II. La nouvelle province française gardera cependant une grande autonomie, son propre parlement provincial, ses états provinciaux et ses privilèges jusqu’à la Révolution française de 1789 qui l’en dépossède.

duche de bretagne
Les neuf provinces et leurs pays traditionnels de Bretagne.

Conclusion interrogative

Le tribun armoricaines qui habitaient l’Armorique devenue la Bretagne était-il celtes comme les autres gaulois ? Sans doute pas à en croire les archéologues. Aussi, ironie de l’histoire, les peuples armoricains semblent avoir la particularité suivante : ce sont avec les Basques, d’un point de vue génétique, les moins celtes des peuples qui formaient les quatre territoires de la Gaule antique. Car, comme les Basques, ils refusèrent la celtisation de leurs langue, rites, coutumes et moeurs.
Quant à leur bretonisation culturelle de couleur irlandaise et galloise, elle débute avec la colonisation des Armoricains par des Bretons, l’intrant linguistique et chrétien diffusant entre le VIe et le XIe siècles ; avant la francisation de la Bretagne orientale puis occidentale. Quant à la Bretagne dite celtique, elle semble en réalité être aussi tardive que floue dans sa définition.

Le folklore celtique se constitue au XIXe siècle, comme nous l’avons observé précédemment, dans la veine de la celtomanie romantique qui envahit l’Europe. Il n’y auparavant aucune mention d’une origine « celte » ou « celtique » dans aucun texte que ce soit.
Ainsi, si les bombardes et binious apparaissent en Bretagne au XVIe ou XVIIe, la cornemuse (que l’on trouve en Afrique Nord dès l’Antiquité) est, quant à elle, introduite par Jean Guillerm en 1885… Les harpes sont apparues en Asie mineure des millénaires avant d’arriver en Écosse, sans doute au VIIIe siècle, puis en Irlande au XIe siècle avant d’enchanter la Bretagne dans la seconde moitié du… XXe siècle, grâce à Alan Stivell qui l’utilise dès 1959 et durant ces années 60 et 70 où un courant du renouveau breton reformule le grand fantasme enchanté d’une Bretagne celtique étouffée par l’hégémonie (rationaliste) française. Le tartan est arrivé en Bretagne en 2000 pour faire suite à l’invention d’un tartan breton par un commerçant morbihannais qui a senti là un bon filon communautaire ; depuis la légende qu’il a créé se répand que Marie Stuart aurait autorisé le port du tartan aux Bretons en 1548 ; ce que ne conforte bien sûr aucune source historique.
Quant à la croix nimbée, elle apparait deci delà en Grande-Bretagne vers le VIIIe siècle ; elle n’apparait en France qu’au XVIe, principalement en Normandie, dans le Limousin, en Angoumois, et aussi en Bretagne mais qu’à la fin du… XIXe. Une croix qui est absente des autres pays d’ascendance celte… De fait, la croix nimbée n’a aucun rapport avec l’héritage celte : elle est renommée celtique par le mouvement panceltique Celtic revival qui l’utilise comme symbole à l’occasion de sa naissance à la fin du XIXe siècle.
Dès lors, elle devient un élément symbolique identitaire qui va être utilisé dans des productions artisanales et artistiques, tel le mouvement breton Seiz breur dans les années 1930, et par une partie des mouvements nationalistes radicaux en Europe. Ce qui est du reste logique, car l’affirmation d’une identité celtique s’avère le plus souvent corollaire d’une volonté de différentiation identitaire.

croix celte rune oral
Alors que la croix celtique a longtemps été utilisée par les nationalistes ethnicistes ou racistes, la rune d’oral tend à devenir le nouveau symbole des suprémacistes qui représente l’ensemble des peuples blancs…

Et c’est aujourd’hui encore ce qui est en jeu, mais dans un nouveau dispositif. Tout est fait par le Conseil régional de Bretagne, notamment à travers les écoles Diwan et l’Office public de la langue bretonne, pour diffuser la pratique du breton. Jusqu’à pousser sa pratique aux limites orientales du territoire gallo à l’exemple de la ville de Vitré qui a ratifié en février 2023 l’adoption du bilinguisme administratif franco-breton. Ce qui n’a pas manqué pas d’en énerver certains, notamment des Vitréens « de souche » dont les aïeux n’ont jamais parlé breton mais gallo. Leur argumentation se résume ainsi : « Soit la Bretagne est une entité historique, l’ancien duché, qui connaît une dualité linguistique, romane et celtique, gallèse et bretonnante, soit la Bretagne est une entité (ethno)-linguistique, en ce cas elle se limite à la moitié occidentale. Imposer des panneaux en breton à Vitré, Redon, Nantes ou Rennes, villes où le breton ne s’est jamais implanté, c’est amalgamer identité bretonne et langue bretonne. » De fait, on voit en cours le déploiement de ce vaste projet politique. A quoi répond-il ?

Pour certains, à un désir sincère de voir s’épanouir à nouveau la langue que parlaient leurs proches ou lointains aïeux (principalement dans la Bretagne occidentale et méridionale). Un désir tout à fait légitime. L’interdiction des langues bretonnes par la République française en 1902 demeure une tâche honteuse dans l’histoire de la France (républicaine). Disons-le : une bonne part des tenants de la République considérait les Bretons comme comme des arriérés réactionnaires, éloignés des Lumières et de l’adhésion aux symboles de la Rome Antique dont elle a repris les codes à la suite de la Révolution et du Ier Empire alors qu’il s’agissait de créer un État-Nation. Bref, si des personnes et familles ont envie d’apprendre et de parler entre eux le breton (unifié ou non), c’est bien leur droit.
Mais pour d’autres Bretons – issus des premiers, – ce désir de revivification du breton est au service d’un projet politique qui poursuit la « fin de la colonisation », autrement dit l’autonomie, voire l’indépendance de la région Bretagne hors du pré carré français. Plus encore, certains indépendantistes bretons que j’ai interrogés militent pour un peuple breton indépendant, doté de passeports délivrés en fonction des origines ethniques des individus, autrement dit une pureté de l’origine bretonne (mais sans jamais répondre à la contradiction suivante : les Armoricains n’étaient en rien des Bretons avant le V-VIe siècle et une partie importante, mais pas l’ensemble, le devint ensuite par colonisation. Des lors quelle est la bonne définition d’un Breton d’origine ?). Bref, une palette d’engagements qui va de la renaissance culturelle à l’indépendance ethniciste teintée de mépris envers les Français non-bretons (sauf les Basques bien sûr !).

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L’Untersturmführer Célestin Lainé, 36 ans en 1944, en uniforme de la Waffen-SS

Et c’est bien l’une des particularités du mouvement radical indépendantiste breton que d’y croiser depuis des décennies des individus idéologiquement issus de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite, mais avec, depuis une vingtaine d’années, une nette augmentation de militants rouges-bruns, autrement dit mus par une conception ethno-socialiste. Un petit milieu qui jette un regard nuancé sur l’évolution du Breton Célestin Laîné qui va de la création vers 1936 du Kadervenn des organisations nationalistes bretonnes au Lu Brezhon (armée bretonne crée en 1940) avant de devenir le Bezen Perrot, la Légion Waffen SS bretonne en 1943.
Sans savoir à quel endroit se situe l’imaginaire de chaque membre de la direction du Conseil régional de Bretagne, il est certain que plusieurs aspirent à une Bretagne dotée d’une large autonomie, d’un Parlement, d’une trésorerie et d’une fiscalité propres et ambitieuse ; sur le modèle de l’actuelle et admirée Ecosse. Par quel biais ces politiciens engagés comptent-ils y arriver ? Par l’intermédiaire du Congrès celtique international qui réunit les 6 nations celtes, dont la Bretagne.

Le Congrès celtique international et sa branche idéologique qu’est la Celtic League regroupent des représentants des six pays dits « celtiques » (alors que c’est le cas d’un bon tiers de l’Europe ; il conviendrait de parler de pays peuplés d’habitants d’origine celte et qui pratiquent aujourd’hui encore une langue d’origine celte) avec pour objectif de contribuer à la lutte de libération politique par la coopération entre eux. La Ligue Celtique a communiqué à l’ONU le 4 novembre 1965 un mémorandum qui fixe les droits de la Bretagne, de l’Écosse et du Pays de Galles à l’autodétermination.

Mais voilà le problème : dès lors que des chercheurs académiques et patentés démontrent que les Bretons ont été moins celtisés que les autres peuples des régions de France, voire pas du tout, quel argument reste-il à la Bretagne pour se maintenir au sein du Congrès celtique ? Eh bien, pas grand-chose ; uniquement la langue. Cette langue brittonnique qui a déboulé avec les Bretons insulaires au V-VIe siècle. Avec la disparition du breton, le dernier argument de cette stratégie indépendantiste se volatiliserait. Le maintien au sein du Congrès celtique deviendrait impossible. Donc, il faut bretonniser. Non pas galléser et bretonniser, mais bretoniser. Car si le gallo était bien parlé par la moitié des Bretons, ce n’est pas une langue celtique (et, d’ailleurs, pas une langue du tout, mais un simple dialecte français, comme me l’a affirmé Alan Stivell lors d’un entretien). Il faut donc bretonniser toute la Bretagne historique, y compris les villes où l’on n’a jamais parlé breton. Objectif final : créer sur tout le territoire une administration bretonne qui puisse se transformer le jour venu en Etat breton. Comme résumé par une tête pensante de cette stratégie en conclusion d’une longue discussion un brin houleuse : « Les Juifs ont bien réussi à recréer l’hébreu et à fonder Israël, pourquoi pas nous ?! »…

En conclusion, l’identité de la Bretagne semble s’ancrer bien d’avantage dans la singularité culturelle formée par l’ensemble des interactions entretenues depuis l’Antiquité par les îles et péninsules qui entourent la Manche que dans une illusoire origine celto-armoricaine qui remonterait pour certains à l’Âge du bronze. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire de la Bretagne, de l’Âge de fer jusqu’à nos jours, est loin d’être banale. Il y a bel et bien une spécificité des Armoricains avant et après l’arrivée des Bretons insulaires puis de cette Bretagne continentale qui se caractérise par des traditions diverses, riches et originales et un esprit tout à la fois d’indépendance et d’ouverture au monde. Pour autant, sa tradition est partiellement relue et reconstituée à l’aune d’un vaste fantasme qui se développe au XIXe puis reprend vigueur dans les années 1970.

Aujourd’hui, à la lumière des avancées scientifiques, peut-on encore honnêtement entretenir l’illusion, quand bien même on la trouve plus « originale », plus « romantique », plus « stylée » que le socle du réel ? Qu’est-ce qui sert le mieux l’esprit breton : continuer à reformuler artificiellement une culture à travers un celticisme fantasmé ou simplement et véritablement affirmer la beauté d’un peuple breton épris de liberté, riche de qualités humaines et de traditions culturelles, qui s’est constituée dans une magnifique région péninsulaire armoricaine peu celtisée au regard des autres régions de France si ce n’est par un intrant culturel à partir du Ve siècle ap. J.C. D’où cet original territoire qui mélange un imaginaire chrétien de type irlando-gallois à une couche primitive celto-latino-anglo-gallicane et où l’on pratiquait 3 langues principales, une d’origine celte apportée par les Brittons et deux romanes, le français et le gallo.

Au demeurant, les années à venir verront le déploiement à grande échelle des tests génétiques. Le petit pourcentage de Bretons radicalisés dans ce fantasme celtique pourront-ils continuer à raconter qu’ils sont les descendants en droite et pure ligne de grands rois de bretagne et guerriers celtes ? En réalité, le « grand roi des guerriers celtes » n’a jamais connu l’Armorique, car Vercingétorix est originaire d’Auvergne. C’est par là que vous trouverez ses (lointains) descendants.

Présentation de l’exposition Celtique ? par Emmanuelle Volage

Dans la culture populaire, la Bretagne est fréquemment associée à un imaginaire celtique, peuplé de druides ou de forêts légendaires. Les multiples produits de consommation de masse à l’effigie d’une Bretagne celte promulguent clairement cette appartenance par le biais de symboles et motifs, tels le triskell, couramment récupérés sans maîtrise scientifique.

La littérature, la publicité, la communication, ou encore les jeux vidéo, le cinéma et la musique sont autant de productions qui se font le reflet d’une identité régionale forte. Celle-ci est toutefois alimentée par des incompréhensions, principalement depuis le XIXe siècle. Mais qu’en est-il réellement de cet héritage ? Quelles sont les données scientifiques dont nous disposons aujourd’hui ? Plus encore, quels sont les mécanismes de la construction identitaire ? Se construit-elle seulement à partir de découvertes, de recherches scientifiques, et de faits tangibles ?

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C’est sur ces nombreuses questions que le musée de Bretagne, sous le parrainage du musicien et auteur-compositeur Alain Stivell, se penche avec l’exposition Celtique ?, visible jusqu’au 4 décembre 2022. L’équipe s’est intéressée à la problématique des identités culturelles, à la construction des récits et de nos héritages, et à l’exploration des mythes, dans le sens où ils racontent des histoires sur notre projection individuelle et collective. Celtique ? retrace de manière chronologique, de l’antiquité à l’époque contemporaine, les faits tangibles, mais également les récits, et mythes qui ont construit l’identité celtique de la Bretagne.

Traiter d’un sujet aussi attractif que complexe attisera certainement le débat. La péninsule armoricaine est-elle réellement celtique ? Qui sont les Bretons finalement ? « La teneur du propos est avant tout un parti pris, un positionnement. Celui de montrer d’une part la démarche de construction volontaire, intellectuelle de ce celtisme en Bretagne. Mais d’autre part et surtout de questionner une filiation directe et naturelle qui viendrait, de par les idées communément admises en Bretagne, de ces Celtes de l’âge du fer, particulièrement du milieu du Ve siècle jusqu’à la conquête romaine », explique Manon Six, conservatrice au musée de Bretagne et commissaire de l’exposition.

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Ce volet, absent des collections permanentes, s’inscrit dans l’actualité archéologique de l’Inrap : la découverte de bustes en pierre, et d’un saut en bois en 2019 sur le site de Trémuson dans les Côtes d’Armor. Présentée pour la première fois au public, cette mise au jour rejoint celle des bustes exhumés à Paule (Côtes d’Armor) en 1988. Ces objets présentent un caractère international dans leur savoir-faire artisanaux et dans ce qu’ils apportent à l’histoire de l’art et à l’Histoire. Ils renouvellent les données concernant une Bretagne celte et l’intérêt artistique, scientifique et muséographique pour cette civilisation. Ils attestent notamment que la Bretagne est intégrée à un vaste territoire, et qu’elle n’a pas été habitée plus tard que d’autres régions plus à l’Est, contrairement à ce que l’on pensait.

Les objets en métal, en verre, en céramique ou encore en pierre retrouvés sont autant de témoins d’une homogénéité culturelle. Ils ne justifient pas pour autant l’abondance du celtisme affiché en Bretagne, en comparaison à la Bourgogne ou l’Alsace où l’on a constaté une implantation plus importante de la culture celte. Les bustes en pierre, ceux de Paule et de Trémuson, permettent un rapprochement inédit du thème de la sculpture anthropomorphe avec d’autres exemplaires découverts dans l’est de l’Europe. Ils replacent la péninsule armoricaine dans une appartenance à une Europe celtique. Mais il s’avère impossible de prouver s’ils sont le fruit d’une production locale ou d’importations, les échanges et le commerce étant tout à fait naturels à cette époque. Sans foyers de production retrouvés, ces découvertes ne nous permettent pas de démontrer la spécificité de la péninsule bretonne, par rapport à ce long développement de l’histoire du celtisme.

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Alors, pourquoi la Bretagne est-elle si celtique par rapport à d’autres territoires en France, voire en Europe ? Elle qui s’est toujours revendiquée en tant que telle. « Il n’y a pas forcément de regroupement entre ce que les archéologues, les ethnologues, les musiciens attribuent au celtique et ce que nous les linguistes attribuons au mot celte. Dans la linguistique, notamment historique, le terme celte désigne une personne qui parle une langue de la famille des langues celtiques, notamment le gallois, le breton, l’irlandais. Peu importe son héritage culturel, cette personne est un celte », apprend-on dans une vidéo d’introduction. Au delà de la langue qui fait une identité, les traces sur la manière de vivre et les cultes funéraires constituent des preuves réelles d’identification. Preuves d’un héritage encore trop peu présentes sur le territoire breton.

Les recherches actuelles dessinent tout de même un paysage, un manière d’habiter, de produire et de consommer similaire à ce qui se passait Outre-Manche. Des inscriptions en gaulois attestent d’une présence dans la péninsule armoricaine, au moins dès le IVe siècle avant Jésus-Christ. Entre le IIIe et VIe siècle après Jésus-Christ, des sources hagiographiques, vies de saints et notamment la géographie bretonne carolingienne, racontent les migrations bretonnes et l’arrivée des Bretons de Grande-Bretagne vers la petite Bretagne.

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L’Histoire de roys de Bretagne, ducs, comte et princes d’icelle […], Bertrand d’Argenté (auteur), 1583

Par la suite, tout laisse à penser à un façonnage intellectuel volontaire d’une civilisation en quête de racines. À l’archéologie et aux faits tangibles s’ajoutent les récits, inspiration future des artistes. Les Bretons eux-mêmes ont joué un rôle dans la diffusion. On constate un phénomène de construction dès le début du XIIe siècle, qui s’étendra jusqu’à l’époque contemporaine. Une première révolution littéraire diffusera vers l’Europe ces images encore présentes dans notre esprit. Le Barzaz Breiz (1867) de Théodore de Villemaqué succédera, de plusieurs siècles, au cycle arthurien de Geoffroy de Montmouth (XIIe siècle), mais celui que l’on retiendra est James Macpherson, traducteur des poèmes d’Ossian, barde du IIIe siècle, en 1760. « L’Europe est alors très imprégnée de culture gréco-romaine. Elle pense que la nature de toute chose, que l’origine de toute chose est le monde gréco-romain », déclare Manon Six. « Le nord de l’Europe arrive comme une source potentielle d’origine de culture, de traditions, de civilisation entière. »

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Bien que désigné comme un faussaire, Macpherson plante la graine de la celtomanie… L’Europe entière subit une révolution de pensée incroyable et se prend de passion pour la recherche de racines de son propre territoire, autres que celles de l’aristocratie et la royauté. Dès le XIXe siècle, le peuple cherche des preuves d’un passé antique autre que celui gréco-romain. Lesdites preuves prennent des formes fantaisistes, telles des pierres dressées… « On bâtit à ce moment-là l’erreur de penser que les mégalithes bretons provenaient peut-être de cette période celtique, alors qu’il datent du néolithique. »

Ce mouvement commencé à la fin du XVIIe siècle accompagne les idées pré-révolutionnaires. La récupération du travail de Macpherson donne cette visibilité au peuple qui cherche à s’opposer à l’ordre instauré. « Une nation, quand elle naît juste après la révolution, a besoin de trouver des ancêtres, une histoire. » Les racines gauloises leur apparaissent alors, peut-être, comme les racines de la véritable Europe. Au début du XXe siècle, le celtisme devient idéologique et confirme cette construction volontaire.

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Le sentiment d’adhésion et de revendication des Bretons, souhait permanent au fil des siècles, se révèle tout aussi intéressant que la démonstration scientifique. « Certains vont se sentir celtes, sans être bretons de naissance, mais seulement parce qu’ils vont se reconnaître dans des leviers d’appartenance », conclut Céline Chanas.

Celtique ?, musée de Bretagne, Champs Libres, jusqu’au 4 décembre 2022.

SAMEDI 9 AVRIL À 15H : les Celtes au cinéma, rencontre avec Erwan Cadoret

MERCREDI 20 AVRIL À 18H30 : les statuettes de Trémuson : une découverte exceptionnelle, rencontre avec Stéphane Bourne et Joseph Le Gall, en partenariat avec l’INRAP

DIMANCHE 24 AVRIL À 16H : projection en vostfr du film Le peuple loup, en partenariat avec l’AFCA

DU 11 AU 13 MAI : LE FESTIVAL INTERCELTIQUE DE LORIENT ACCUEILLI AUX CHAMPS LIBRES

MERCREDI 11 MAI À 12H30 : Concert de FOURTH MOON (duo)

JEUDI 12 MAI À 18H30 : l’intercelticisme, rencontre avec Erwan Chartier

VENDREDI 13 MAI À 12H30 : Concert de NOON

Retrouvez l’ensemble de la programmation est à retrouver sur le site internet des Champs libres.

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Expo Celtique, du 18 mars au 4 décembre 2022, musée de Bretagne, Champs Libres, 10 cours des Alliés, Rennes. Tarif : 4€.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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