Il n’y a pas, fort heureusement, que Cyrulnik qui détient le concept de résilience. Dans son dernier roman Murène, toujours très social, littéraire et concernant, Valentine Goby trace l’itinéraire de François, jeune bachelier, qui, au grand dam de ses parents, ne sait pas trop quoi faire dans la vie. Alors il vivote de petits expédients.

Murène

Un jour d’hiver 1956,  alors que François se trouve sur un terrain désert, il est victime d’un grave accident. La mauvaise fée électricité le foudroie ; il est presque totalement brûlé, mais sera sauvé in extremis. D’aucuns pourraient penser, y compris lui-même, qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il disparaisse parce que son calvaire ne fait que commencer. Pendant des semaines, à l’hôpital, on multiplie tous les efforts pour lui redonner un semblant de forme humaine ; il n’empêche, il n’échappera pas au coma, aux amputations et tout ce qui s’ensuit. Malgré une sœur très attachée, des soignants dévoués, il lui faudra du temps pour sortir de là, de sa torpeur, de son refus de vivre quand il prendra réellement conscience de l’état dans lequel son présent comme son futur s’annoncent.

De retour chez lui, après des semaines passées chez les grands brûlés, il va devoir s’accepter, une sorte de gueule et de corps cassés, et supporter le regard des autres luttant contre toute forme d’apitoiement. Ce qui n’est en rien gagné, ce qui ne relève pas de la sinécure. Quelle personne, quelles femmes pourront désormais l’approcher, avoir envie de partager quoi que ce soit avec lui, désormais une « bête » humaine et inhumaine.

Nulle douceur n’est superflue pour qui s’apprête à endurer tant de supplices.

Et pourtant… Non rien de miraculeux, rien d’extraordinaire tout à coup, on est loin des contes avec Valentine Goby. Et pourtant… François va réapprendre à vivre. À vivre autrement. À se réapproprier son corps tel qu’il est, avec ou sans les prothèses qu’on lui a imaginées. Entre colère et découragements, entre espoirs et désillusions, entre mensonges et vérités, François va se relever peu à peu et se forcer à s’accepter. Pour lui-même et pour les autres, pour celles et ceux qui continuent de croire en lui, qui n’ont jamais cessé de s’accrocher à tous les possibles. C’est grâce au sport qu’il va renaître vraiment, ce sport qu’il va saisir – par la volonté d’autres handicapés -, qu’il va utiliser comme un viatique, un sésame pour recouvrer une forme de dignité, de raison de vivre, de plaire, d’aimer.

natation

Evidemment très touchant, très dur, très éprouvant, ce roman ne donne jamais dans le pathos malgré un sujet lourd, parfois pesant. Mais Valentine Goby, comme toujours, maîtrise subtilement son sujet et fait mouche à chaque page, à chaque moment de ce chemin de Damas qui force François. Le trouvera-t-il totalement ce chemin, périlleux mais salutaire ? Complexe, fragile que cet itinéraire vers l’inconnu… L’auteure comme son « héros » finalement ne désarme pas si rapidement. Avec le temps, avec la rage, avec la volonté, avec la force qu’on lui transmet, le personnage tracera son propre sillon, qu’il soit dans l’eau, comme sur terre, voire dans les airs d’une pensée qui s’éclaircit peu à peu. Quel périple, quelle aventure, quel cadeau offre là l’écrivaine toujours empreinte d’humanité, de sens, et de réalisme pour un roman de salubrité publique !

La nuit plaque des rectangles noirs aux vitres de la piscine. Face au bassin se tient François, très droit, immobile, pieds nus écartés sur le carrelage froid, dans l’odeur du chlore et le fracas d’un plongeon. Il fixe son reflet tordu par les remous.

De la première à la dernière page, on demeure plaqué à sa chaise, incapable de s’extraire quelques instants ne serait-ce que pour respirer. À lire comme une urgence, comme une décharge de 20 000 volts !

MurèneValentine Goby – Éditions Actes Sud – 384 pages. Parution : août 2019. 21,80 €

Couverture : © – Photo auteur Valentine Goby © DR

Valentine goby
Valentine Goby. Source: Actes Sud

Valentine Goby publie depuis quinze ans pour les adultes et pour la jeunesse. Elle reçoit en 2014 treize prix littéraires pour Kinderzimmer, paru chez Actes Sud. Passionnée par l’histoire et par la transmission, la mémoire est son terrain d’exploration littéraire essentiel. Murène est son treizième roman.

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Christophe Maris
Christophe Maris est journaliste et écrivain, agrégé de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs émissions de TV et radio et conçoit des magazines pour l'enseignement où il a oeuvré une quinzaine d'années en qualité de professeur de lettres, d'histoire et de communication.

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