À une dizaine de kilomètres à l’ouest de l’Île de Sein, sous 7 à 9 mètres d’eau et dans l’un des secteurs les plus agités du littoral breton, un vaste ensemble de structures en pierre vient d’être mis en lumière par la recherche scientifique.
Décrit dans une étude à paraître dans l’International Journal of Nautical Archaeology, ce paysage immergé compte onze ouvrages distincts, repérés grâce à des relevés lidar puis confirmés en plongée. Le plus spectaculaire d’entre eux, baptisé Toul ar Fot, dessine une longue ligne de pierre d’environ 120 mètres, invisible depuis la surface.
Une fois au fond, l’impression est immédiate : l’ouvrage se lit comme une forme “faite”, trop régulière pour se confondre avec un simple accident du relief. Dans cette zone où les courants, la houle et les algues compliquent tout, ce sont justement les données fines (relief sous-marin, pentes, ombrages) qui ont permis de repérer des anomalies, puis de les confronter au terrain. Autrement dit : les cartes n’ont pas remplacé la plongée, elles l’ont rendue possible et utile.

Pour documenter ces vestiges, les équipes de la Société d’archéologie et de mémoire maritime (SAMM) ont réalisé près de soixante plongées entre 2022 et 2024. Elles ont avancé par séquences courtes, en profitant des bonnes fenêtres météo : prises de vues, mesures, repérage des éléments remarquables, et, ponctuellement, modélisation en trois dimensions. Un patient travail d’observation et de relevés, plus proche de l’inventaire rigoureux que de la “découverte” spectaculaire.
Deux grands secteurs se distinguent. À l’ouest de l’île, le site de Toul ar Fot concentre plusieurs ouvrages massifs ; plus à l’est, autour de Yann ar Gall, d’autres structures plus modestes apparaissent. Toutes partagent un point commun. Elles barrent d’anciennes vallées aujourd’hui noyées, selon des orientations qui ne cadrent pas avec les directions des principales structures géologiques cartographiées. Pour les auteurs, c’est un argument important en faveur d’un aménagement humain.
Le mur principal de Toul ar Fot impressionne par son architecture. Large d’une vingtaine de mètres, il présente une organisation complexe : de gros blocs de granite, des dalles verticales, et surtout 62 pierres dressées au sommet, parfois disposées en deux alignements séparés d’environ 1,5 m. L’ensemble évoque un dispositif construit, consolidé, et probablement entretenu, plutôt qu’un simple empilement fortuit.

Plus à l’est, les structures de Yann ar Gall sont plus basses et plus simples. Les chercheurs y voient plutôt des pêcheries anciennes, ces barrages de pierre destinés à piéger les poissons à marée descendante, bien connus sur les côtes bretonnes. Leur présence renforce l’idée d’un littoral ancien largement aménagé, exploité avec finesse par ses habitants.
Reste la question essentielle : à quelle époque ces ouvrages ont-ils été mis en place ? Pour l’instant, aucune datation “directe” n’est possible à partir de restes organiques prélevables en surface. Les auteurs s’appuient donc sur une chronologie estimée à partir des profondeurs et des courbes de niveau marin : au moment de la construction, la mer était plus basse, et l’Île de Sein dessinait un territoire bien plus vaste qu’aujourd’hui. Selon les scénarios, l’ensemble se situerait vers la fin du Mésolithique / début du Néolithique, il y a environ 7 000 à 8 000 ans.

Deux grandes hypothèses sont discutées. La première voit dans ces murs d’immenses pêcheries, adaptées, réparées ou rehaussées au fil de la montée des eaux. La seconde envisage un rôle plus protecteur : digues, brise-houle ou ouvrages destinés à préserver une zone abritée. À ce stade, les chercheurs ne tranchent pas : ils posent un cadre, expliquent les critères, et indiquent ce qu’il faudra trouver pour départager les interprétations.
Une chose est en revanche certaine. Bâtir de tels ouvrages suppose une organisation collective solide, une main-d’œuvre nombreuse et une connaissance intime du milieu marin. Ces constructions témoignent de sociétés capables de planifier, de coopérer et de s’ancrer durablement sur un littoral aujourd’hui englouti.
Au plan narratif, impossible de ne pas penser à la cité d’Ys, ville légendaire engloutie par la mer dans l’imaginaire breton. L’étude reste prudente : elle ne prétend pas “retrouver Ys”. Elle rappelle simplement qu’une montée rapide des eaux, des aménagements abandonnés, des terres perdues, peuvent laisser une empreinte longue dans les mémoires — puis se transformer, avec les siècles, en récit, en symbole, en légende. Ici, la science ne fait pas du folklore une preuve ; elle éclaire ce que des bouleversements réels peuvent produire dans la durée.
Loin de clore une énigme, cette découverte ouvre surtout un vaste champ de recherches. Datations directes, sondages ciblés, comparaisons avec d’autres sites littoraux européens : les prochaines années permettront de mieux comprendre ce paysage disparu, témoin silencieux d’un rapport ancien et sophistiqué entre l’homme et la mer.