Les mosaïques Odorico, quel amoureux du patrimoine ne les connaît pas ? Loin de se cantonner à la piscine Saint-Georges de Rennes, bien connue des petits et grands nageurs rennais, ce patrimoine artistique est répandu un peu partout dans le Grand-Ouest. Parfois invisibles au grand public, car situées dans des maisons privées, Daniel Enocq nous fait découvrir ces merveilleuses mosaïques : un long travail d’inventaire de passionné. Aujourd’hui, pourtant, une partie de ce patrimoine n’est soumise à aucune régulation ; il se trouve, par conséquent, menacé. Rencontre avec  Daniel Enocq, spécialiste des mosaïques Odorico. Son ouvrage, Odorico l’art de la mosaïque, écrit en compagnie de Capucine Lemaître et Hervé Ronné paraît le 2 mars 2018.

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Immeuble Poirier à Rennes, actuellement en rénovation

Les mosaïques Odorico sont présentes partout dans le grand Ouest, certaines sont très connues : la piscine Saint-Georges à Rennes, inscrite aux monuments historiques, l’immeuble Poirier, ou encore, peut-être, la crèche Papu. À Angers, on pense tout de suite la Maison bleue. Elles se trouvent aussi, multiples et variées, dans des maisons privées ou dans des immeubles.

L’enthousiasme pour ce patrimoine, légué par deux générations d’une famille italienne d’artisans, avait atteint son apogée lors d’une exposition au Musée de Bretagne « Odorico, mosaïstes Art Déco » du 2 avril 2009 au 3 janvier 2010. Depuis, des articles vantant les prouesses artistiques et techniques se sont multipliés autour de la vie de ces ouvriers et de leurs œuvres.

Pourtant, il y a une quinzaine d’années, les mosaïques Odorico reposaient pratiquement dans l’indifférence générale. C’est au départ par hasard que Daniel Enocq découvre une œuvre d’Odorico et décide d’en savoir plus afin de finalement se prendre de passion pour ce patrimoine : inlassablement il va les inventorier, quitte à parcourir des kilomètres tel un véritable chercheur de trésors. Il est devenu ainsi référent en ce domaine. Il est capable d’un seul coup d’œil de différencier une mosaïque de l’entreprise Odorico d’une concurrente.

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Sol en mosaïques Odorico

À la recherche des mosaïques Odorico

Autour d’un café, Daniel Enocq, chaleureux et enthousiaste, raconte comment il est devenu le spécialiste des mosaïques Odorico. Il y a une dizaine d’années, c’est un heureux hasard qui déclenche cette passion sans mesure. Non loin de chez lui, un épicier lui demande de lui rendre un service : livrer un panier à une dame habitant dans un immeuble datant de la fin XIXe. Alors que Daniel Enocq ne s’était jamais intéressé jusqu’alors aux mosaïques, il éprouve comme un « coup de foudre » en apercevant celle du hall de l’immeuble. La dame lui explique qu’elle a été réalisée par la famille Odorico, et qu’il y en a encore beaucoup d’autres à découvrir dans Rennes. Intrigué, il se procure le livre d’Hélène Guéné, issu d’une thèse et désormais hors de prix : « Odorico, mosaïste art déco ». Il décide de partir à la recherche des mosaïques, parsemées dans les immeubles et les maisons de la ville. « Je vais me faire un petit inventaire » se dit-il. Un  projet que personne n’avait jusque-là mené à terme.

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Au fur et à mesure, il accède aux dessins de l’entreprise Odorico, notamment grâce à la collection privée de madame Janvier, épouse de Jean Janvier, directeur de l’entreprise Odorico entre 1958 et 1978. Il en fait des copies numérisées ; ce qui l’aide dans ses recherches et dans les identifications. Ainsi, le Daniel Enocq piste Odorico à travers la ville, à la recherche d’une adresse où découvrir un morceau de son œuvre. Il les photographie et les archive.

Daniel Enocq
Daniel Enocq

Beaucoup, et souvent les plus belles, se trouvent dans des maisons privées et décorent des salles de bains, des jardins d’hiver… Daniel Enocq envoie des courriers afin d’obtenir l’autorisation des propriétaires d’entrer dans les foyers et de photographier les mosaïques. Pas toujours facile ! Car à cette grande partie de cache-cache s’ajoute la réticence des habitants, peu enclins à ouvrir leurs portes, même si, une fois inventoriés, les adresses des réalisations demeurent confidentielles. Ainsi il mettra 5 ans avant d’être autorisé à rentrer dans la maison Odorico à Rennes. Maison qui a d’ailleurs été filmée lors d’un reportage dans « des Racines et des ailes » avec bien sûr… notre spécialiste.

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Pourquoi cette persévérance face à tant d’obstacles ? Parce que Daniel Enocq a une âme de collectionneur. Aujourd’hui, il a constitué une base de données gargantuesque : (mais selon lui incomplète : beaucoup d’adresses sont encore inconnues aujourd’hui !). Elle est composée de 18 000 photos et de plus de 3000 adresses dans le Grand Ouest. Son seul regret ? Fatalité oblige, la destruction des factures et des devis de l’entreprise lors de sa fermeture en 1978. Fermeture due notamment à l’arrivée des nouveaux matériaux (carrelage, lino), des grands magasins et au départ en retraite de certains ouvriers de haut niveau. La mosaïque est alors démodée…

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Daniel Enocq, expert en mosaïque Odorico

Lectures, recherches, un sens de l’observation affûté : Daniel Enocq est passé de simple admirateur des mosaïques Odorico à véritable expert. En 2009, il a été consulté par le Musée de Bretagne pour la fameuse exposition Odorico et la ville de Rennes a édité son inventaire. La moindre des choses pour celui qui fait tant pour la sauvegarde de ce patrimoine.

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Jardin d’hiver Morlaix

La famille Odorico, mosaïstes italiens

Originaire de Frioul (Italie du Nord) et venue en France pour un travail à l’Opéra Garnier (sous la direction du mosaïste italien réputé Giandomenico Facchina (1826-1904), la première génération s’installe à Rennes en 1882. Cette dernière travaille grâce au procédé par inversion (les tesselles qui constituent la mosaïque sont collées à l’envers sur un papier pour être ensuite collées sur le support voulu) et s’inspire de motifs antiques. Ce sont des artisans qui travaillent à partir d’un catalogue, notamment pour le clergé (ils décorent des autels) ou pour la ville. Puis, un des fils Odorico reprend l’entreprise :  et c’est là que s’opère la vraie révolution. En effet, Isidore Odorico a un sens artistique indéniable, en outre il est diplômé des Beaux-Arts, des atouts qu’il va mettre à profit pour réaliser des créations uniques, inspirées par le style Art déco, destinées cette fois à des propriétaires qui veulent embellir leur maison. Isidore Odorico est également un brillant chef d’entreprise (rien ne semble prouver qu’il n’ait jamais su poser de la mosaïque lui-même). Il donne des directives à une centaine d’ouvriers qu’il engage progressivement. Derrière les mosaïques Odorico se trouve le talent de toute une ruche bouillonnante d’artisans et surtout de celui du chef d’atelier : Galliano Serafini qui possède de véritables « doigts en or ». Il est le maillon indispensable de l’entreprise.

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Escalier de la maison Novello à Rennes

Odorico et ses concurrents

Odorico a un succès croissant, mais son sens artistique n’est pas la seule clé de son succès : c’est un chef d’entreprise averti qui connait l’importance du réseau relationnel et le maîtrise parfaitement. Il installe ses ateliers dans sa maison et constitue ainsi ce qu’on appelle aujourd’hui un « showroom »  et dans lequel il invite tout le gratin rennais. Il tisse ses relations et surtout les entretient ce qui lui assure des marchés indispensables à la bonne marche de son entreprise. C’est ce qui le distingue de ses concurrents de l’époque (et ils sont nombreux !) : Novello à Rennes ou encore De Guisti à Angers. D’ailleurs son succès lui est tellement envié qu’il est très vite copié. Aujourd’hui encore, il est facile pour un novice de confondre une mosaïque d’Odorico avec celle d’un de ses concurrents. Un expert tel Daniel Enocq est entraîné à repérer

la finesse, les couleurs, la subtilité des mélanges et l’harmonie de l’art Odorico

c’est la raison pour laquelle on fait appel à lui pour authentifier certaines mosaïques.

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Ancienne poissonnerie Place Sainte-Anne Rennes

Un patrimoine menacé

Au fil de ses pérégrinations, Daniel Enocq s’est très vite rendu compte du danger qui planait autour des mosaïques, surtout dans les maisons privées. C’est grâce à son réseau et à sa réactivité qu’il va réaliser quelques « petits » miracles. Aussi quand il trouve dans une cave d’immeuble, parmi les débris, un bout de mosaïque de l’ancienne poissonnerie place Sainte-Anne, il contacte aussitôt le musée de Bretagne pour sa sauvegarde. Cette anecdote ne fait pas figure d’exception. Il nous parle de ce propriétaire qui a retrouvé un morceau de mosaïque dans son jardin, ou encore de ce qui dormait dans le local à balai de la piscine Saint-Georges : un morceau de frise ! On la retrouve aujourd’hui, exposée à l’entrée de la piscine. Cette magnifique frise a été rénovée comme celle de ce petit bassin à Saint-Malo (voir vidéo). Nombre de mosaïques se détériorent avec le temps ou avec l’eau (dans les salles de bain par exemple) et mériteraient une rénovation complète, mais le coût est élevé.

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Manoir de Baud Rennes, une œuvre oubliée…

Plus inquiétant encore, aucune mesure de protection n’a été prise par la Ville de Rennes ou par l’État. Beaucoup de mosaïques sont détruites. Même si le démontage et le remontage demandent l’intervention de spécialistes, il reste que, si le bâtiment n’est pas classé monument historique, il est facile de détruire sans être inquiété. Les mosaïques présentes dans les maisons privées sont sous l’unique responsabilité des propriétaires et aucune clause ne les empêche de les faire disparaître.

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La mosaïque Odorico dans la mairie de Montauban de Bretagne sera-t-elle épargnée ?

C’est un grand paradoxe qu’explique Daniel Enocq : ce patrimoine est sans cesse encensé, mais il ne cesse d’être rogné dans l’indifférence générale. La ville de Rennes, les municipalités, ou les promoteurs n’y prêtent aucune attention. Ainsi le balneum de Dinard construit en 1928 fut détruit en 1973, il était situé à l’endroit de l’actuel Palais des congrès. Tout cela est bien dommage, explique Daniel Enocq, car, après tout, les mosaïques les plus belles se trouvent dans les maisons privées : salles de bain, jardins d’hiver, piscine… Certains ne font que recouvrir la mosaïque. Parfois, comme dans un immeuble Avenue Maginot, on découpe la mosaïque avec le projet de la remettre une fois le bâtiment rénové, mais c’est sans garantie…

En attendant, levez la tête ou baissez-la, regardez, observez et cherchez, vous aussi, les mosaïques Odorico et participez au travail de mémoire et de reconnaissance mis en route par Daniel Enocq. Vous pouvez également visionner ses multiples vidéos sur les mosaïques ou encore faire une visite guidée avec l’Office du tourisme de Rennes.

Photos des intérieurs de maison ou de bâtiments : Daniel Enocq

Autres photos : Caroline Morice

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Sol magasin galerie du Théâtre
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Maison Odorico à Rennes
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Immeuble Poirier Rennes
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Immeuble Poirier Rennes
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Pharmacie Rennes
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Ancienne Poissonnerie Place Sainte-Anne Rennes
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Ancienne Poissonnerie Place Sainte-Anne Rennes
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Ancienne Poissonnerie Place Sainte-Anne Rennes
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Ancienne Poissonnerie Place Sainte-Anne Rennes
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Immeuble Poirier Rennes
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Immeuble Poirier Rennes
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Sol en mosaïques Odorico
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Rénovation Piscine Saint-Georges Rennes
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Rénovation Piscine Saint-Georges Rennes
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Rénovation Piscine Saint-Georges Rennes
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piscine saint-georges
Piscine Saint-Georges Rennes
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Etables sur Mer
Odorico
Maison bleue Angers
Odorico mosaïque
Terrasse Etables sur Mer
Odorico mosaïque

Renaissance d’un bassin à Saint-Malo grâce à l’entreprise l’émaux zaïque de Dawa :

Découverte d’une mosaïque à Rennes :

Daniel Enocq continue son inventaire. Si vous pensez posséder une mosaïque Odorico chez vous : n’hésitez -pas à le contacter. Son mail : enocqd[@]gmail.com. Sa page Facebook : « Rennes en 1900 ».

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Château de Marson, 1927, Maine-et-Loire

Odorico collabore avec différents architectes travaillant dans le Grand Ouest : Jean de La Morinerie (Le Petit Carhuel à Étables-sur-Mer), Emmanuel Le Ray (crèches pour la Ville de Rennes, palais du commerce), Pierre Laloy (postes de Saint-Lunaire, Tréguier, Rennes-République, etc.), Hyacinthe Perrin (église Sainte-Thérèse à Rennes), Roger Jusserand (la Maison bleue à Angers), Georges Robert Lefort (grand séminaire de Saint-Brieuc), Léon Guinebretière (Bains-douches de Laval à Laval). On recense des œuvres de l’atelier Odorico dans 122 villes du Grand Ouest.

Passionné de football, Isidore Odorico s’implique naturellement dans le club principal de sa ville natale, le Stade rennais. Il y entre comme joueur, d’abord entre 1912 et 1914, puis entre 1918 et 1925. Devenu dirigeant, il devient le président du club en 1931. En poste jusqu’au 12 juillet 1938, il marque durablement l’histoire du Stade rennais, contribuant au plan national à la mise en place du premier championnat de France professionnel en 1932. Son nom a été donné à la structure qui soutient le centre de formation du Stade rennais : l’École technique privée Odorico, située route de Lorient, à côté du stade.

Liste de sites rennais ici 

Capucine Lemaître et Daniel Enocq Odorico l’art de la mosaïque, Ouest-France, mars 2018, 256 pages, 30€

Un ouvrage sur les réalisations de la famille Odorico, avec de très nombreuses photos exceptionnelles de sites publics et privés (Angers, Dinard, Laval, Nantes, Roscoff, Rennes, Saint-Malo, Vitré…), mais aussi des dessins et des clichés anciens du maître mosaïste, Isidore Odorico. Une histoire de l’entreprise familiale qui se lit comme un roman. Des clés pour comprendre le style et la technique Odorico (couleurs, motifs récurrents, modernité…).
Et un focus sur des restaurations remarquables et sur le regain d’intérêt de la mosaïque.

Capucine Lemaitre, docteur en histoire de l’art, a écrit une thèse sur la conservation des mosaïques (P.U.R. 2009). Professeur à Rennes II, ses recherches portent sur les ateliers de mosaïstes italiens en France (époque contemporaine) et la restauration du patrimoine architectural et artistique. Daniel Enocq, expert d’Odorico, a recensé plus de 100 de leurs mosaïques. Consultant pour le musée de Bretagne (expo « Odorico, mosaïstes Art Déco », 2009-10), il a participé à des reportages, dont un consacré à l’atelier Odorico (« Des racines et des ailes », 2016).  Il milite pour leur conservation. Hervé Ronné, auteur-photographe indépendant, pour la presse magazine et la communication, a publié une quarantaine de livres, dont une vingtaine aux Editions Ouest-France. Son travail est fondé sur une attention toute particulière aux activités humaines témoignant de l’évolution du paysage et de la société.

Article : Laura Besnier et Caroline Morice

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