Unidivers a rencontré Clément Noel Douady. Cet architecte et urbaniste participe au projet Monumovi au sein de Morphocity. Un projet consacré à la modélisation des villes et de leur réseau de rues, routes et chemins (réseau viaire). Un entretien qui met en lumière le côté transdisciplinaire de l’urbanisme et l’apport des nouvelles technologies au même titre que l’étude du passé.

Unidivers – Clément-Noël Douady, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs qui ne sont pas forcément familiers avec l’architecture et l’urbanisme ?


douadyClément-Noël Douady – Durant ma carrière d’urbaniste et d’architecte dans la périphérie parisienne, j’ai eu l’occasion de participer à diverses formes de création ou de gestion urbaine, de la ville nouvelle (Cergy-Pontoise) à la création de quartiers nouveaux ou la transformation de quartiers existants (y compris des quartiers dits « sensibles »), c’est-à-dire créer des formes nouvelles ou adapter des formes existantes.

J’ai aussi toujours fait un peu d’enseignement, ce qui m’a permis de réfléchir au sens de ce qui se passait sur le terrain et à quoi je participais. Enfin, j’ai eu aussi l’occasion de faire des voyages d’études dans divers pays, notamment en Chine, qui m’ont fait découvrir les différences avec la France, mais aussi des similitudes.

U.D. – Vous avez donc rejoint le projet Monumovi avec le CNRS. Quel en est l’enjeu ?

C.-N.D. – L’idée est de modéliser le développement urbain, c’est-à-dire trouver l’expression mathématique qui sous-tend la création et l’évolution des formes urbaines, et en particulier des rues, avenues et boulevards (mais aussi le tracé des voies à travers la campagne).

U.D. – Pourquoi des spécialités aussi différentes (en apparence) que l’urbanisme, l’anthropologie, l’archéologie ?

Une modélisation qui peut aussi être esthétique et inspirée des matériaux
Une modélisation qui peut aussi être esthétique et inspirée des matériaux

C.-N.D. – À ces disciplines des « Sciences Humaines et Sociales » il faut même ajouter les « Sciences Dures » que sont les mathématiques et la physique, et cette nouvelle science semi-dure qu’est la géomatique, approche informatique de la géographie (notamment par les SIG, Systèmes d’Informations Géographiques), qui peut faciliter le dialogue entre sciences humaines et sciences exactes.

Dans l’évolution actuelle de la recherche, chaque discipline trouve ses limites dans des questions que seules d’autres disciplines sont en mesure d’analyser. Se développe donc une forme de travail interdisciplinaire dont notre équipe est un exemple, sous une forme particulièrement ouverte puisqu’elle rassemble des approches couvrant un large éventail.

UD. – Dans l’équipe, il y a des chercheurs chinois de Wuhan. Pourquoi ce partenariat ?

C.-N.D. – L’analyse des formes urbaines privilégie souvent le contexte historique local. Mais comment expliquer que, à « l’autre pôle de l’expérience humaine » qu’est la Chine (selon l’expression d’André Malraux), avec un système d’écriture et de grammaire, mais aussi de conception du temps et de repères philosophiques radicalement différents des nôtres, on retrouve les mêmes structures des réseaux urbains ? La coopération avec des collègues de Wuhan permet d’aborder cette question.

UD. – Entre la Chine et la France, vous avez dû observer des différences fondamentales dans l’urbanisme. Croyez-vous en la possibilité d’une ville modèle « universelle » ?

C.-N.D. – Je n’en vois pas l’intérêt. Ou alors il suffirait d’un seul type d’homme standard pour l’habiter. Pourquoi ne pas aller plus loin, et imaginer un monde où l’homme aura disparu et qui ne sera plus habité que par des machines autoprogrammées ?

Un exemple de réseau viaire en Chine
Un exemple de réseau viaire en Chine

Nous nous intéressons à ce que les villes d’Europe et la Chine ont en commun, mais aussi à ce qui les différencie. En commun désormais, le passage au développement durable, avec l’essor des transports publics et le retour des circulations douces. Plus spécifique sera le retour de valeurs culturelles locales, que nous cherchons à identifier avec nos collègues chinois (malgré une tendance à l’alignement sur le modèle américain).

UD. : Dans la physionomie d’un réseau viaire, nous avons vu que l’histoire a un poids considérable. Vous qui avez aussi participé à la construction de villes « nouvelles », quels sont alors les paramètres majeurs qui font que l’urbaniste ne part pas d’une feuille blanche ?

C.-N.D. – Il y a d’abord tout un ensemble de données naturelles : l’orientation, les formes du relief, le tracé des cours d’eau, les rives des plans d’eau. Il y a aussi les formes apportées par l’homme dans ses parcours et son installation à la surface de la Terre. Les tenants du Mouvement Moderne (dit aussi Progressiste) qui a fleuri au XXe siècle ont prétendu pouvoir en faire « table rase », préférant intervenir en terrain plat (ou aplani) avec des tracés géométriques pour une ville dite « régulière ». À Cergy-Pontoise nous avons eu une approche différente (dite Culturaliste) tenant compte des données naturelles et des traces historiques. Ainsi, les nouvelles formes urbaines s’inspirent du site et des traces de l’occupation rurale.

UD. – Monumovi vise à prévoir les développements du réseau viaire d’une ville. Quel est l’intérêt de prévoir cela ?

C.-N.D. – Nous savons déjà étudier l’effet de la structure de voirie, de la coupure d’une voie, ou à l’inverse de la création d’une voie nouvelle, sur l’isolement d’un quartier, son aggravation ou au contraire son rattachement au reste de la ville. Ce type d’analyse devrait permettre de donner un avis sur les projets, voire de construire des propositions.


UD. – Des évènements extérieurs et imprévisibles (catastrophes naturelles, guerres…) peuvent avoir une influence sur le développement des villes en créant des mouvements migratoires. Comment prenez-vous en compte ces « risques » ?

C.-N.D. – On peut imaginer travailler sur des simulations, dans la mesure où des hypothèses crédibles seraient formulées. Cependant plutôt que faire face à des catastrophes (de plus en plus vraisemblables en effet, et de moins en moins naturelles), ne vaudrait-il pas mieux s’organiser pour les éviter ?


UD. – Monumovi analyse aussi l’utilisation du réseau. Peut-il alors servir à le redéfinir, l’optimiser ? Comment mesurez-vous le critère qualitatif ?

Un exemple d'étude et de modélisation
Un exemple d’étude et de modélisation

C.-N.D. – Notre approche actuelle par la modélisation privilégie ce qui est le plus directement étudiable par les sciences exactes. Mais, en effet, la pratique des citoyens et leur ressenti sont largement d’un autre ordre, et nos réflexions sous cet angle sont encore balbutiantes ; les membres de notre équipe les plus engagés dans les sciences humaines s’en émeuvent, et nous sommes interpellés par des collègues extérieurs qui doutent de la pertinence de la modélisation de type mathématique sur un espace bâti par l’homme.

UD. – Où en est l’avancement du projet ? Quels en sont les prochains jalons ?

C.-N.D. – Notre programme de recherche est pris en compte jusqu’à fin 2016, et nous souhaitons qu’il puisse se poursuivre au-delà. Nous prévoyons au moins un séminaire par an avec publications. Mais surtout nous développons des contacts avec plusieurs villes et leurs équipes locales.

UD. – Peut-on en voir des applications en France ?

C.-N.D. – D’ores et déjà, certaines de nos analyses ont été validées par des interlocuteurs locaux, ce qui est encourageant. Mais nous n’avons pas encore eu l’occasion d’analyser des projets réels avec les outils que nous construisons (et qui sont d’ailleurs en cours d’élaboration, ou au moins de mise au point), et encore moins de formuler des diagnostics ou des propositions. Nous espérons y parvenir : l’avenir le dira.

Propos recueillis par Didier Ackermann

Pour plus de renseignements, un détour vers le site du projet s’impose… 

 

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Clément-Noël Douady présente Morphocity : urbanisme et modélisation 

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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