La galette annuelle de Jean-Louis Murat se nomme Morituri. Plus clair obscur que sombre il y est même question de la Bretagne et de Bréhat dans la chanson Le Cafard…

 

morituriEh oui, il n’y a pas que l’Auvergne après tout. Sans doute moult Bretons auraient apprécié que leur région ne soit pas mentionnée dans une chanson intitulée Le Cafard d’autant qu’une autre chanson «régionale» se nomme simplement Tarn-et-Garonne… Néanmoins ne nous offusquons pas par réflexes chauvins. Le texte est beau, la mélodie ciselée (folk blues admirablement lent).

J’ai eu le cafard, c’te beauté fatale pour les gens paumés. Sa bottine noire, en quelque manière ma tête écrasait. Je suis en Bretagne, je reprends haleine à la dérobée. Ile de Bréhat, face caméra, coupé… (Le Cafard)

Le ton corrosif et l’humour nostalgique de Murat fonctionnent à plein et finalement bien mieux que nombre d’évocations aux âpres fumets folkloristes. Ainsi, après l’excellence du double album Babel (2014), les errances, on n’ose dire commercialo-renvoi d’ascenseur (voir notre article) Murat ressuscite avec la constance d’un Phénix métronomique. Pour notre plus grand bien il s’en revient avec un album quasi classique. Morituri ? un chant du cygne ? Souvenons-nous : son premier 45 tours (en la très utopique année 1981) s’intitulait Suicidez-vous le peuple est mort … L’optimisme ne l’a jamais étouffé Murat, c’est dans un certain réalisme poétique et mélancolique qu’il puise la joie et la beauté le rugueux auvergnat. Le communiqué de presse nous dit Morituri inspiré par l’année 2015 ? Sans doute. A l’écoute, néanmoins, on se dit légitimement qu’il est surtout inspiré par tout un cheminement ayant abouti à cette année là. N’en déplaise aux mânes de Gainsbourg, la chanson n’est pas un art mineur lorsque qu’elle se déploie sur les cimes authentiques d’une imbrication critique et poétique.

morituriSi l’année musicale francophone a commencé sous les meilleures augures avec de nouveaux albums des illustres «aïeux» Christophe et Gérard Manset, c’est curieusement à certaines des mélopées d’un autre ancien, Hubert-Félix Thiéfaine, que fait songer l’excellent premier single French Lynx (et quelques autres résonnances au cours de l’album). Alors que Tarn-et-Garonne sonne Murat à la perfection, sorte de réminiscence de l’album Le Moujik et sa femme (2002). D’ailleurs, voilà qui explique pourquoi nous évoquions ci-dessus un long cheminement :  Morituri donne une sensation d’un court panoptique de la carrière musicale de Murat… On retrouve les comptines hermétiques aux saveurs sardoniques (Morituri et son désuet clavecin final si charmant). Et si la fièvre du somptueux  Taormina (2006), douce comme la peau et rugueuse comme l’écorce,  n’est jamais franchement atteinte les arrangements renouent, après l’ampleur lyrique de Babel, avec la sobriété de Москва (2005) ou de Grand lièvre (2011). D’ailleurs (bis), qu’en est-il ?  Fatigue ou volonté de reprendre l’oeuvre sur le métier :  de ce gimmick de piano sur La chanson du cavalier qui rappelle tant Le Champion espagnol (l’un des sommets ésotériques de Grand lièvre) ou bien de  Tous mourus qui semble prendre la suite de Rémi est mort ainsi  ? Mais trêve de tergiversations. Morituri est un parfait album de Murat, âpre et suave, terrien mais jamais souchien (Le chant du coucou, Interroge la jument), grave et léger (La Chanson du cavalier, Nuit sur l’Himalaya), qui reprend le fil là où Babel était venu accomplir une salvatrice césure après l’intimiste Toboggan (2013).

morituriClair-obscur plus que sombre Morituri est de ces oeuvres qui viennent prouver que l’une des plus humaines opérations en temps de crise c’est encore de faire du beau à partir du triste, du mal et de la déception (idée baudelairienne en diable). Alchimie de l’art des troubadours : approfondir le pire pour l’alléger, se réjouir en distanciant par la gouleyante mélodie d’une nostalgie qui se secoue en rythme. Dans un pays profondément poétique mais en équilibre dangereusement instable ne reste que la langue. Les paysages et les mots… Comment s’en servir des mots ces explosifs selon l’écrivain (trop oublié) Paul Gadenne ? Les mots de notre commune langue, ces morts à qui il manque un R, un air… le souffle des chansons du Phénix Murat les ressuscitent, les tirant de l’humus leur donnent un poids léger qui, par le grand oeuvre du paradoxe, les libèrent de notre trop contemporaine époque pour leur conférer les quelques grammes d’une onirique éternité aussi ailée qu’enracinée…

Jean-Louis Murat Morituri album Pias Le Label avril 2016

 

Crédit photos : Frank Loriou

 

 

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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