Mood Stéphane Mahé
© Stéphane Mahé

Le livre Mood du photographe rennais Stéphane Mahé est paru en mars 2023 aux éditions de Juillet. L’artiste y expose une série de photographies en couleur, réalisées à partir d’ambiances et de ressentis personnels et accentuées par un effet peinture surprenant. En parallèle, des expositions ont lieu dans toute la France, dont une à Saint-Grégoire en septembre 2023. 

Voilà une œuvre fascinante que nous montre le photographe Stéphane Mahé dans son livre Mood. Dans le métier depuis 15 ans, il commence son parcours en faisant de la photographie panoramique. Peu à peu, sa vision évolue pour « aller vers une photographie plus personnelle. » En 2015, il publie un premier ouvrage intitulé Terminus Saint-Malo, en noir et blanc, puis il adopte progressivement la couleur et réalise Somewhere en 2018. Son dernier livre en date, Mood, paraît en mars 2023. Entre chaque livre se fait un cheminement au cours duquel évolue son écriture photographique. Tout est spontané dans sa démarche, il alterne fulgurances d’inspiration et moments de réflexion artistique : « Il y a un temps de mouvement et un temps de réflexion. » Ainsi, « Mood est un nouveau point d’étape au même titre que Somewhere où j’ai envie de faire un peu le point et si possible, de matérialiser ce cheminement par un livre », explique-t-il.

Mood Stéphane Mahé
Stéphane Mahé

« Tout est occasion à inspiration. » 

Le titre Mood, humeur en anglais, évoque l’émotion, source d’inspiration première pour l’artiste. Seulement muni de son appareil photo, là où d’autres, pour réaliser des productions ressemblantes, s’arment de pinceaux, tubes de peinture à l’huile et toiles de 2 mètres, Stéphane Mahé capture, « avec une notion de hasard et de rencontre » comme il aime rappeler, ces instants volés. Ceux que personne ne regarde. Ceux auxquels on ne fait pas attention, pressés par le vent qui se lève ou la tempête qui guette, hâtifs de se mettre à l’abri. Lui semble attendre ces moments pour prendre ses photos où, loin des selfies modernes, l’homme paraît si ridicule. Par sa taille d’abord, et par le grain de la photo ensuite, qui laisse l’impression que l’homme n’est qu’un détail superflu. La majorité des photographies rassemblées dans Mood sont très sombres, très grandes et très sonores. On y voit la mer blanche d’écume, les arbres et les bateaux à port penchés par le vent, le ciel qui se charge de lourds nuages annonciateurs d’une tempête prochaine… Et face à ce spectacle de la nature, toujours, une trace de vie, sous forme de silhouettes dans le lointain ou de maisons à la lumière allumée le soir. Il voit d’ailleurs sa photo comme un moyen inconscient « de révéler la place qu’on occupe dans ce monde et de nous ramener à la juste hauteur d’Homme qu’on est sur Terre » et continue : « Je n’ai pas l’idée de marquer la solitude pour la solitude, ça s’intègre naturellement dans un décor ».

  • Mood Stéphane Mahé
  • Mood Stéphane Mahé

Ces thèmes de la solitude, de la nature surpuissante et d’une humanité bien dérisoire face aux colères de la Terre, cette forme de représentation du vide, ainsi que les émotions et sentiments qui se dégagent des photographies évoquent les peintures à l’huile romantiques. Ce mouvement artistique (fin du 18e siècle-moitié du 19e siècle) rompt avec le classicisme et ses architectures parfaites : avec le romantisme, les artistes peignent une nature impressionnante et fougueuse face à une humanité fragile et mortelle. Caspar David Friedrich (1774-1840) en est le représentant. De nombreuses photographies évoquent ce peintre, notamment avec la peinture Le Moine au bord de la mer ou L’arbre aux corbeaux.

Mood Stéphane Mahé
Le Moine au bord de la mer, Caspar David Friedrich (1808-1810)

L’effet « peinture » des photos de Stéphane Mahé et de l’insignifiance des hommes est redoublé par la technique photographique utilisée. Aucune n’est parfaitement nette et c’est parfaitement voulu : « Je recherche ce côté matière, organique par la montée en ISO (luminosité), la sous-exposition, le choix du papier, tout cela contribue selon chaque photo à un développement numérique qui peut tendre vers le pictural. » Les photos semblent en relief, granulées, à la manière de l’impressionnisme pointilliste. Ce courant artistique (vers 1880) est un culte de la couleur, du mouvement, de la lumière, le tout étant profondément éphémère. Les personnages y sont évoqués plus que peints. De minuscules taches de couleurs évoquent une robe ou un visage… le pixel est né. Les peintres jouent sur le flou, car les hommes aussi, même s’ils l’oublient souvent, sont éphémères. Certaines autres photos de l’artiste évoquent le tableau de Monet La Promenade avec la robe légère battue par le vent d’une femme, qu’on devine plus qu’on ne voit, ou encore l’art de Cézanne, notamment La maison Maria sur la route du château noir.

Mêlant les styles et époques picturales, Stéphane Mahé crée son mouvement. Comme chez les impressionnistes, les jeux de lumières dans ses photos sont omniprésents. Les couleurs y sont évoquées, murmurées, et quand elles apparaissent plus franches, il appelle les couleurs primaires, le rouge, le jaune, le bleu. Le tout au profit d’une œuvre très romantique pour une nature qui est ici le véritable mannequin de ses photos. Pour autant, Stéphane Mahé ne se qualifie pas de photographe romantique ni d’impressionniste, refusant de placer son art dans une case. C’est ainsi au spectateur de faire ses propres analyses. Il reconnaît néanmoins être un grand amateur de peinture, citant comme références Caravage, William Turner, Delacroix ou encore Monet.

Mood est introduit par un magnifique poème d’Yvon Le Men où le vers « c’est de la nuit que naît la lumière » ressort comme un résumé honorable. Dans une nuit sans lune ni étoiles, le photographe capte le vestige de vie avec une maison isolée où une lumière est restée allumée, gardienne de la nuit des hommes. Dans le ciel qu’on devine noir de colère, il capture le rayon de soleil parvenu à passer ce rideau de tempête et qui éclaire par hasard les passants. Il raconte la nécessité d’être toujours ouvert pour pouvoir être réceptif aux choses, aux personnes qui nous entourent et aux émotions que l’on ressent à ce moment-là. « Il doit y avoir une notion d’errance pour aller à la rencontre », explique Stéphane Mahé. En soi, plus qu’une maison, un océan ou une personne, il capture un émoi pris sur le vif, aussi éphémère que les éléments qu’il photographie.

Il est important pour lui que les spectateurs se sentent à l’aise devant ses photos. Qu’ils se créent « une sorte de bulle dans laquelle ils vont s’immerger. Et ce sera leur propre bulle, pas quelque chose de dicté. » Les photos ont très peu d’informations, et quand on reconnaît parfois un lieu, ce n’est pas lui qui compte, mais le ressenti et le souvenir qui y sont liés. Actuellement, ses expositions présentent surtout les photographies relatives à Mood, mais on peut y retrouver quelques œuvres issues de son ouvrage précédent, Somewhere. « Mentalement, il y a quelque chose de l’ordre de From Somewhere to Mood (nom de la page Facebook du photographe). Et c’est intéressant d’avoir aussi des photos liées à Somewhere parce que ça permet de renseigner sur le cheminement. » Il y aura une exposition à Saint-Grégoire en septembre 2023.

« Chacune des photos va avoir une histoire, mon histoire. Mais une fois que c’est mis à disposition du public, chaque photo va avoir différentes histoires en fonction de celui ou celle qui la regarde. »

Éditions de Juillet

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