Crayons ou pinceaux, papier ou toile, instruments proches, voire identiques… il est naturel que les dessinateurs de bande dessinée s’emparent du thème de la peinture et des artistes peintres. Depuis plusieurs mois, de nombreuses BD ont pris pour sujet la peinture, les musées et les peintres. Durant les semaines à venir, Unidivers va vous faire découvrir des œuvres du 9e art consacrées au… 3e art. Première rencontre cette semaine avec Manet, le musée d’Orsay et une mystérieuse courtisane…

 

« Monsieur ! Oui vous, Monsieur ! Vous l’avez vue ? Qui ? Mais cette jeune femme, bien entendu, langoureusement allongée sur un divan avec à ses pieds un chat noir censé symboliser la luxure (oh !) et une servante noire lui apportant un bouquet de fleurs adressé probablement par un admirateur. Peut être vous-même d’ailleurs ? Non ? Ah bon. J’oubliais, elle est totalement nue enfin presque, puisqu’elle a conservé un joli ruban noir autour du cou. Elle s’appelle Victorine Meurent, mais Monsieur Manet a préféré l’appeler Olympia, par souci de discrétion… Vous ne pouvez pas ne pas l’avoir vue au musée d’Orsay : elle y est allongée depuis des lustres, après avoir été au Louvre. Eh bien, vous me croirez ou pas, il paraît qu’elle a quitté le musée pour faire son cinéma ! Vous m’en direz tant ! ».

moderne olympia, futuropolis, catherine meurisse, orsay, bdC’est vrai qu’elle a dû s’ennuyer la pauvre depuis 1863 à force de subir le regard outré puis compatissant de millions de voyeurs ou, plutôt, de visiteurs. Normal qu’elle ait voulu prendre l’air ! Et cette escapade, c’est Catherine Meurisse qui nous la raconte dans une bande dessinée drôle, impertinente, imaginative, jubilatoire. Olympia veut quitter la toile de peinture pour rejoindre la toile de la salle de projection et faire du cinéma. Alors Monsieur (ou Madame !), que votre esprit prude se rassure : elle va promener sa nudité tout au long de l’album avec décence et retenue. Car elle ne veut pas jouer n’importe quel rôle, elle veut être Juliette pour pouvoir aimer son Roméo ! Et le chemin pour accomplir son rêve sera plein d’embuches. Devra-t-elle coucher (dans la chambre de Van Gogh en Arles) pour réussir ?

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Récitant du « Chaixpire » à longueur de cases, elle s’obligera, pour tourner en plein air, « sur le motif », à se rendre à un enterrement à Ornans avec Courbet, passer par Etretat avec Boudin et Monet, sans oublier de se tremper les pieds à pont Marly sous l’œil de Sisley. Pour ce faire, elle aura traversé tout Orsay (transformé en Music Hall), quittant les « Officiels », leurs Cupidon, leur Vénus et leur toile d’intérieur, juste bonne à essuyer le sol, afin de rejoindre les Refusés (qui par un jeu du destin vont devenir à leur tour les officiels du siècle à venir). Prenez vos binocles, Monsieur, lisez attentivement les vilains jeux de mots du Fifre, serviteur fidèle de Madame Olympia et peut être saurez vous le sort réservé à la grande, la merveilleuse, l’incomparable Olympia !

moderne olympia, futuropolis, catherine meurisse, orsay, bdCar vous vous l’aurez compris, mon bon Monsieur (ou ma belle Dame !) cette balade à travers la peinture de la fin du 19e siècle ne manquera pas de vous séduire, de vous faire sourire si vous abandonnez au vestiaire votre sérieux quotidien, votre montre à gousset. Tombez le gilet, dégrafez le corset, et partez retrouver le French Cancan endiablé du Moulin Rouge avec la Goulue et Valentin le désossé (bien dissimulé dans le coin d’une case). Goutez les anachronismes mêlant les comédies musicales comme West Side Story au tableau des Oréades de William Bouguereau. Jetez-vous des falaises d’Etretat et nagez, nagez dans la mare aux Nymphéas, sous l’objectif des caméras qui enregistrent la transformation d’Olympia en starlette amoureuse. Adieu Bouguereau, adieu Cabanel et vive Manet, Degas !

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Le pari de mettre en scène avec humour quelques œuvres maîtresses du musée d’Orsay est réussi. Catherine Meurisse qui réalise des dessins de presse (en 2005, elle intègre l’équipe de dessinateurs de Charlie Hebdo) et illustre des livres jeunesse parvient par un dessin léger à évoquer sans les plagier des œuvres majeures que nous identifions immédiatement. Une lecture réjouissante dont on peut néanmoins penser que certains clins d’œil seront plus appréciés si le lecteur possède un peu de culture artistique. Pour les moins expérimentés cependant, deux annexes vous aideront à retrouver les subtilités cachées, transformant le livre en jeu culturel sympathique.

moderne olympia,_futuropolis, catherine meurisse, orsay, bdPar son humour, la BD poursuit ainsi la désacralisation des musées, lesquels deviennent de plus en plus des lieux de vie (restaurant, médiathèque, bref ce que l’on nomme désormais « troisième lieu ») et de plaisir. Plaisir : un maitre-mot de ce livre qui se renouvellera probablement. De fait, cette BD est la première d’une série à venir ; résultat d’un partenariat entre Orsay et les Éditions Futuropolis.

Au fait, ma bonne Dame ou mon bon Monsieur, j’oubliais : si vous voulez voir Olympia totalement nue il vous faudra attendre la dernière page. Suspense garanti !

A suivre la semaine prochaine…

Conseil : séduit par ce livre, partez à la découverte de l’univers de Catherine Meurisse qui aime mélanger dans ses BD les différentes activités artistiques. Elle a ainsi publié en 2008 « Mes Hommes de lettres », où elle fait entrer avec humour toute la littérature française dans un seul album. Puis en 2012, est édité « Le Pont des Arts » où à l’image de l’ouverture de l’album, Zola accueille Cézanne à la gare, elle raconte les liens des peintres et de la littérature.

Moderne Olympia de Catherine Meurisse, Futuropolis/Musée d’Orsay, février 2014, 72 p., 17€

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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