Libre dans ses cuisines, ses voyages, ses migrations autant que dans ses écrits, Eric Guérin, le talentueux chef de la Mare aux Oiseaux (en Brière) fait paraître un livre qui rassemble toutes ses passions. En finesse et en beauté.

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migrations éric guérin

Unidivers : Éric, votre livre est surtitré Migrations, un terme malheureusement tendance…

Éric Guérin : Mes migrations à moi n’ont pas cette dimension tragique. Il s’agit de mon déplacement annuel, que je pratique comme un oiseau. Plus qu’un bol d’air, c’est une échappée hors d’un monde étriqué avec trop de certitudes. Je puise ma force dans ces chemins de traverse. Ils me nourrissent autant que mes recettes.

U. : Vous êtes décidément un drôle d’oiseau, qui s’est posé sur l’île Fédrun, il y a 20 ans. On dit que la Brière n’est pas facile pour les hors-venus…

Éric Guérin : Ce n’est jamais simple de faire son nid quelque part. Moi, mi-Toulousain, mi-Alsacien, j’ai eu un véritable coup de cœur pour ce coin isolé de Bretagne, où l’eau dicte sa loi. Si le terme « entre terre et mer » semble éculé, ici, le mariage de la terre et de l’eau ne cesse de m’émerveiller.

éric guérin
Éric Guérin

U. : C’est aussi le cas au Jardin des Plumes à Giverny ?

Éric Guérin : Oui, ce n’est pas un hasard, si j’ai installé mon deuxième restaurant tout près du célèbre jardin d’eau peint par Claude Monet.

NDLR : Notons qu’il y est arrivé une histoire hallucinante au chef étoilé. Un jour en plein service, la police a déboulé au Jardin des Plumes en lui demandant sa licence de restaurateur (autorisant à vendre des boissons alcoolisées pendant les repas). Très fâché, Éric Guérin a eu du mal à digérer de devoir « justifier d’être restaurateur », lui à qui l’Élysée avait remis en 2012 l’Ordre national du mérite pour son travail ! In fine, il a obtenu un délai pour passer cette formation… en compagnie d’autres jeunes « avec des projets aussi variés que kebab, bistrot, ou food truck ! »

U. : La Mare aux Oiseaux incarne votre sensibilité à l’architecture et à la déco, mais cet aménagement va au-delà du simple critère esthétique pour revues branchées. Manger ou dormir parmi les poules nègre-soie, les pigeons paons et les grues couronnées est un pur enchantement. C’est un acte d’amour et de volupté ?

éric guérinÉric Guérin : Ah ah, vous me titillez sur les titres des chapitres de mon livre ! C’est en effet pour l’amour du partage, de l’échange, des voyages et de la cuisine que j’ai voulu qu’il existe. Si j’ai choisi sept émotions, ce n’est pas par hasard. Que je ressente joie, désir, angoisse, amertume ou enchantement, j’en reviens toujours à l’amour, ma plus belle vibration.

U. : Cet amour, on le sent à chaque page du livre, dans vos propos sur l’équipe (notamment lors du départ d’Albert, votre second, Albert le Catalan) et aussi sur les gens que vous croisez. Vous ne voyagez donc pas que pour rapporter des idées ou des épices ?

Éric Guérin : Mes voyages sont de deux ordres. Qu’ils soient personnels ou professionnels, ils sont souvent l’occasion de découvertes « rocambolesques » comme au Kerala, « bigarrées » au Cooking show de New York ou limite science-fiction au Tokyo Taste. Devant les beautés de Birmanie, je n’arrive pas à décrocher ce sourire figé qui barre mon visage illuminé.

éric guérinU. : Vous n’êtes quand même pas dupe de la réalité du monde ?

Éric Guérin : Non, il m’arrive d’éprouver de l’angoisse, ainsi au Maroc où il faut se contenter de vieux souvenirs. Les jeunes filles devront encore attendre pour se découvrir les genoux. Avec l’invasion des investisseurs à Marrakech, un certain charme s’est envolé.

U. : Vos migrations donnent parfois un air de vacances aux plats tradis. Tel ce foie gras accommodé à la grecque.

Éric Guérin : Je suis fan absolu des Cyclades et de Mykonos, haut lieu de l’hédonisme international. On y croise la terre entière. C’est l’antithèse de la tour de Babel. Là-bas, tout le monde parle la même langue, celle de la tolérance.

éric guérinU. : Faites la cuisine, pas la guerre ! C’est votre credo ?

Éric Guérin : Vous ne croyez pas si bien dire. Je CROIS (credo) à cette idée de communion propre à un repas partagé.

U. : Pour vous, la gourmandise n’est pas un péché ?

Éric Guérin : Pour qui le serait-ce d’ailleurs, quand on voit cette photo de bonne sœur italienne savourant une glace ? Le Bon Dieu nous pardonnera.

U. : C’est pour l’attendrir que vous proposez des hosties de foie gras ?

éric guérinÉric Guérin : Il peut aussi commander une « Rencontre insolite » – celle du canard et de la sardine.

U. : Ou un oursin (recette p.81) (*) ? Vous l’assortissez à la pomme, « comme pour croquer le fruit défendu de la vie ». Vous avez une prédilection pour les produits de la mer ?

Éric Guérin : Pour tout ce qui sort de l’eau. En ce moment, la coquille Saint-Jacques, bien sûr. J’ai une tendresse particulière pour le poulpe, monstre des profondeurs illustrant à la fois nos angoisses d’enfant et les vacances en Grèce. Une sorte d’allégorie entre les moments sombres et les moments lumineux.

* Parce qu’on a l’impression qu’Il en a plein les poches ! Petite pensée aux Yazidis et autres chrétiens d’Orient.

Eric Guérin Migrations, éditions de La Martinière, 2015, 256 pages, 32 €

Restaurant la Mare aux Oiseaux, 223 Fedrun, 44720 Saint-Joachim, 02 40 88 53 01

Et pour nos lecteurs gastronomes (et très habiles !), la recette du cactus (pour 4 personnes) :

Préparation : 1 h 30
Repos : 24 heures (maturation du sorbet : 6 heures)
Cuisson : 45 minutes
éric guérinLa crème au citron vert :
200 g de jus de citron vert
50 g de crème liquide entière
4 œufs
180 g de sucre
20 g de fécule de maïs
30 g de beurre
La mousse au citron vert :
90 g de sucre
25 g d’eau
60 g de blancs d’œufs
3 feuilles de gélatine
240 g de crème liquide entière bien froide
320 g de jus de citron vert
40 g de citron confit au sucre taillé en petits dés
Le décor et l’appareil à floquer :
400 g de chocolat blanc +
150 g pour le décor final
200 g de beurre de cacao
Colorant vert liposoluble
La ganache au citron vert
1 feuille de gélatine
200 g de crème liquide entière
le zeste râpé de 1 citron vert frais
1 goutte d’essence de citron
45 g de chocolat blanc concassé
Le crumble au sésame noir
50 g de beurre demi-sel ramolli
50 g de farine de sarrasin
50 g de sucre
50 g de graines de sésame noir mixées
Le sorbet citron-cactus
100 g de sucre
45 g de glucose atomisécalamansi
3 g de stabilisateur
25 cl d’eau
150 g de jus de calamondin (kalamansi — ou, à défaut, de citron vert)
6 g de tequila
Pour la crème au citron vert: réunissez tous les ingrédients dans le bol d’un Thermomix® ou d’un batteur chauffant, puis mixez ou battez pendant 20 minutes à 120 °C (à vitesse 4 pour le Thermomix®). Versez la crème dans des demi-sphères en silicone de 1 cm de diamètre, puis faites prendre la préparation au congélateur.

Pour la mousse au citron vert, faites une meringue italienne en chauffant le sucre et l’eau à 121 °C (aidez-vous d’un thermomètre à sucre) tandis que vous fouettez par ailleurs les blancs d’œufs dans le bol d’un batteur. Quand ils sont légèrement montés, ajoutez le sirop en filet et laissez refroidir sans cesser de fouetter énergiquement. Faites tremper la gélatine dans de l’eau froide. Fouettez la crème liquide jusqu’à ce qu’elle soit mousseuse. Faites chauffer 100 g de jus de citron vert à 45 °C et faites-y fondre la gélatine égouttée.

Retirez du feu et ajoutez le reste de jus, puis faites descendre la température de l’appareil à 25 °C. Incorporez à l’aide d’une Maryse la crème fouettée, puis la meringue italienne. Ajoutez délicatement le citron confit et moulez dans des demi-sphères en silicone de 4,5 cm de diamètre.
la mare aux oiseaux
Découpez la crème au citron vert solidifiée en cubes de 1 cm de côté. Placez-les au cœur de la moitié des demi-sphères de mousse. Lissez la surface et faites prendre au congélateur.

Faites fondre le chocolat blanc et le beurre de cacao pour réaliser l’appareil à floquer ; ajoutez un peu de colorant vert jusqu’à obtention de la couleur souhaitée. Démoulez les mousses et assemblez-les afin de former des sphères ; piquez-les avec un cure-dents et trempez-les dans l’appareil à floquer fondu. Réservez au congélateur.

Pour la ganache au citron vert: faites tremper la gélatine comme indiqué plus haut. Faites bouillir la crème avec le zeste de citron vert. Hors du feu, ajoutez la gélatine essorée, l’essence de citron puis le chocolat, et mixez le tout à l’aide d’un mixeur plongeant. Réservez au moins 24 heures au réfrigérateur.

Pour le crumble: mélangez le beurre et la farine du bout des doigts jusqu’à obtention d’un mélange sableux, puis ajoutez le sucre et le sésame noir. Étalez le tout sur une plaque garnie de papier sulfurisé et faites cuire 45 minutes au four à 140 °C (th. 4-5). Laissez entièrement refroidir, concassez le crumble et couvrez-le de film étirable en vue du dressage.

Préparez le sorbet citron-cactus : mélangez d’une part les deux tiers du sucre avec le glucose atomisé et d’autre part le reste du sucre avec le stabilisateur. Faites chauffer l’eau à 30 °C, ajoutez le premier mélange, puis chauffez à 60 °C et ajoutez le second mélange. Remuez doucement jusqu’à ébullition. Réservez au moins 6 heures au réfrigérateur. Ajoutez le jus de calamondin et la tequila, mixez et faites prendre en sorbetière.

Montage
Fouettez la ganache au batteur pour lui donner la consistance d’une crème montée. Introduisez-la dans une poche munie d’une douille à saint-honoré et formez des bandes régulières autour de la boule (toujours fixée par un cure-dents) afin de l’habiller et d’imiter l’aspect d’un cactus. Laissez durcir au congélateur, puis, à l’aide d’un pistolet à floquer, recouvrez le cactus d’appareil vert. Gardez au frais.

Pour réaliser les épines du cactus, faites fondre 150 g de chocolat blanc, introduisez-le dans une poche à douille très fine et tracez des filaments très fins sur un support congelé. Taillez-les en petites piques d’environ 1 cm de longueur et réservez-les au froid pour les faire durcir. Plantez les aiguilles de chocolat blanc sur toute la surface du cactus.

Servez immédiatement avec le sorbet et le crumble.

Crédit photos © Matthieu Cellard (La Mare aux Oiseaux) et © Eric Guérin (photographies de voyage).

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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