Connu au départ sous son alias électro The Third Eye Foundation, Matt Elliott poursuit une carrière sous son propre nom, débutée il y a maintenant 16 ans. Depuis septembre 2018, le musicien britannique s’entoure également du trio français Vacarme avec lequel il mène une série de concerts. Dans le cadre des Tombées De La Nuit, leur tournée commune a ainsi fait escale à la chapelle du conservatoire de Rennes le 6 juillet dernier, pour une prestation très intimiste.

La relation artistique qui réunit Matt Elliott et Vacarme peut être décrite comme un trait d’union entre deux univers musicaux très singuliers et aux trajectoires différentes. Né en 1974 à Bath en Angleterre, L’artiste a commencé sa carrière dès l’âge de 16 ans, nourrissant au passage une passion pour la musique russe orthodoxe.  Dès 1993, il participe, sous  le nom de The Third Eye, à des créations pour les groupes Moviestone et Flying Saucer Attack, avant d’inaugurer son projet de drum & bass The Third Eye Foundation en publiant l’album « Semtex » en 1996. Six ans plus tard, il commence également à élaborer un univers folk en guitare/voix et sous son propre nom, il sort l’album « The Mess We Made » sur Merge Records. Une carrière qu’il poursuit actuellement, suite aux sorties en 2018 de son dernier album autoproduit « Songs of Resignation » et de « Wake The Dead », qui marque sa reprise de la Third Eye Foundation.

matt elliott, vacarme
Matt Elliott
Photo: Yanick Burgund

De son côté, le trio Vacarme continue sa route et suit un parcours déjà marqué par plusieurs expériences singulières. La formation est composée du violoncelliste Gaspar Claus (qui collabora notamment avec Peter Von Poehl), ainsi que des violonistes Carla Pallone, membre de Mansfield. TYA et Christelle Lassort, qui accompagna entre autres le groupe Narrow Terrence. C’est en 2012 que Vacarme voit le jour, à l’occasion d’une résidence organisée à Toulouse par l’artiste Yann Tambour. L’année suivante, après avoir pris le temps de travailler sur leur identité sonore et leurs compositions, les musiciens français eurent l’opportunité d’accompagner Rover, Barbara Carlotti et Youssoupha au Printemps de Bourges. En 2015, le trio donna un concert à L’Olympia et deux ans plus tard, il réalisa une performance remarquée à la Philarmonie de Paris. Le 2 février 2018, sortit leur premier album éponyme « VACARME« , dont les titres des morceaux ont été construits autour de l’acrostiche formant le nom du groupe.

matt elliott, vacarme
Vacarme (de gauche à droite: Carla Pallone, Christelle Lassort et Gaspar Claus)
Photo: Flavien Prioreau

C’est au label et agence de booking française Murailles Music que l’on doit la rencontre entre Matt Elliott et les musiciens de Vacarme. Cette collaboration donna lieu à une fusion entre leurs deux univers, différents mais visiblement faits pour s’accorder. D’autant plus que le musicien anglais avait déjà été conquis par le jeu de Carla Pallone lors de la prestation de Mansfield. TYA au Printemps de Bourges en 2009. S’ensuivirent ainsi plusieurs concerts communs dont le premier eut lieu à la FGO Barbara de Paris le 12 septembre 2018. Le samedi 6 juillet dernier, c’est à la chapelle du Conservatoire de Rennes qu’ils se sont produits, dans le cadre des Tombées De La Nuit.

Lorsque 20h sonne, les spectateurs venus assister à cette rencontre musicale, ont totalement investi la chapelle et sont déjà bien installés. Commence alors la performance du quatuor par une longue improvisation débutée au violoncelle par Gaspar Claus, rejoint aux violons par Carla Pallone et Christelle Lassort postés au fond de la salle, qui se sont lentement avancés vers la scène. Puis le créateur de The Third Eye Foundation joue les premières notes de « The Calm Before », chanson titre de son album de 2016. Ce concert fut donc l’occasion pour Matt Elliott d’interpréter des morceaux de ses albums précédents, déployant l’esthétique folk ténébreuse et mélancolique qu’il développe depuis 16 ans et qui fait son charme. Dans les paroles très souvent énigmatiques de ces chansons, il retranscrit des situations troubles, des existences tourmentées et des sentiments de frustrations souvent caractéristiques de la condition humaine.

Ses instrumentations épurées à la guitare étaient ici enrichies et magnifiées par la dimension orchestrale que lui confèrent les cordes de Vacarme, aux contours très souvent mélodieux et aux belles polyphonies. Le style instrumental de ces musiciens, s’il est constitué d’influences multiples, tire en partie son inspiration des morceaux minimalistes de la compositrice contemporaine française Eliane Radigue. Ceux-ci sont caractérisés par l’emploi de sons continus et souvent associées au genre musical « drone ». Dans leur recherche artistique, le trio français n’hésite donc pas à recourir à des notes tenues et étirées de façon parfois très significative. A tel point que l’on a parfois l’impression que, pour paraphraser Lamartine, le temps suspend momentanément son vol. Vacarme démontre également toute son expressivité à travers un travail important sur les textures sonores et une grande variété de nuances qu’il manie avec beaucoup de sensibilité.

matt elliott, vacarme
Photo: Amélie Boutry

De façon plus générale, on remarque que l’accompagnement de Vacarme reflète la mélancolie profonde et du climat de désolation qui hante de nombreuses compositions de Matt Elliott. Ainsi dans « I Only Wanted to Give You Everything », la tonalité plaintive au centre de la chanson et contenue dans l’interprétation de Matt Elliott trouve également son écho à travers le jeu déchirant du violoncelle de Gaspar Claus. Cette atmosphère est également renforcée par leur recours fréquent aux glissandi (glissement continu d’une note à l’autre) qui introduisent une certaine dissonance et une tension harmonique qui illustrent de façon cohérente la passion qui anime les chansons de Matt Elliott.

matt elliott, vacarme
Matt Elliott et Vacarme à la chapelle du Conservatoire de Rennes
Photo: Nicolas Joubard

Tous ces morceaux laissent également apparaître les diverses influences qui ont marqué l’artiste anglais dans son éducation musicale. Forgée dès son adolescence alors qu’il travaillait chez le disquaire Revolver Records Shop de Bristol, elle fut marquée entre autres par sa découverte des musiques traditionnelles turques. A la fin de « The Right To Cry », son utilisation du mode mineur mélodique ascendant peut donc évoquer les échelles mélodiques orientales. Dans cette chanson, comme dans « I Only Wanted to Give You Everything » et « Chains », on perçoit également des rythmes en accords plaqués et des tournures mélodiques qui évoquent fortement les répertoires musicaux espagnols tels que le flamenco. Les parcours harmoniques, également, adoptent très souvent des tonalités mineures qui semblent empruntées aux musiques populaires d’Europe de l’Est et aux répertoires musicaux russes qu’il affectionne.

En parallèle, l’empreinte folk nord-américaine qui traverse tous ces morceaux est toujours présente et principalement perceptible à travers son emploi récurrent des arpèges en « fingerpicking ». La voix parfois chaude de Matt Elliott explore par moments un registre très grave et adopte un aspect caverneux qui rappelle la signature vocale de Leonard Cohen. On peut également rapprocher l’atmosphère brumeuse de sa musique à celle retranscrite dans les chansons du célèbre Canadien. Son emploi d’arpèges très rapides, réalisés sur sa guitare classique, rappelle également l’instrumentation de chansons de Cohen comme « Avalanche », le morceau ouvrant l’album « Songs of Love & Hate » (1971).

matt elliott, vacarme
Matt Elliott et vacarme à la chapelle du Conservatoire de Rennes
Photo: Nicolas Joubard

C’est donc un spectacle à l’expression intense que Matt Elliott et Vacarme ont offert lors de cette soirée des Tombées De La Nuit. Tout au long de ce concert, ils ont réussi à captiver leur auditoire qui n’a, semble-t-il, pas perdu une miette de cette prestation emplie de lyrisme. Le public ne manqua pas de les applaudir chaleureusement et un rappel eut même lieu, permettant aux musiciens de ponctuer leur concert sur « Something About Ghosts ». Morceau qui se termina dans la frénésie, tout en conservant la dimension poétique qui était au centre de toute la performance. En résumé, un beau moment dont on ressort séduits…

Article précédentLES FURTIFS. L’ÉCRITURE MILITANTE D’ALAIN DAMASIO
Article suivantLE MUSÉE DE PONT-AVEN RACONTE L’IMPRESSIONNISME EN BRETAGNE
Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici