Journal d’un vampire en pyjama, expression métaphorique de Mathias Malzieu pour décrire son état de malade transfusé. La maladie fait peur. L’écriture est parfois une thérapie qui aide à surmonter l’obstacle. Dans ce récit poétique, poignant, mais jamais larmoyant, Mathias Malzieu nous ouvre ses pensées les plus secrètes. « Me faire sauver la vie est l’aventure la plus extraordinaire que j’aie jamais vécu ». Il nous la fait partager avec un talent rare.

mathias malzieuC’est un long, un très long couloir blanc. Au fond se dessine une silhouette. Elle est toute petite. C’est celle d’un homme, frêle, chétif. Il porte des tennis blanches. Une petite veste croisée. Sur la tête, un chapeau comme un chapeau tyrolien, cherche à le grandir. Sa peau blanche est celle d’un homme roux, cristalline, presque transparente. Il porte dans la main gauche un skateboard. Au bras droit s’accroche un ukulélé. Il monte sur le skate et glisse vers nous. On perçoit enfin ses traits.

Il s’appelle Mathias. Mathias Malzieu. Il est le chanteur du groupe Dionysos. Son teint blafard est encore plus blanc que d’habitude. Nous sommes le 7 novembre 2013. Il vient d’apprendre qu’il n’a pas assez d’oxygène dans le sang, qu’il est totalement anémié, qu’il aurait pu mourir des dizaines de fois lors de ses concerts éreintants. Le 12 novembre, on parle « d’Aplasie médullaire » c’est-à-dire d’un arrêt de fonctionnement de la moelle osseuse. C’est ainsi que débutent les longues déambulations dans des couloirs blancs d’hôpitaux parisiens. Et que commence la rédaction d’un journal qui va l’aider à traverser la terrible épreuve, « une plongée en apnée dans les profondeurs de mon cœur »

mathias malzieuL’écriture le chanteur la connaît parfaitement, lui qui a publié deux ouvrages remarqués : « Le plus petit baiser jamais recensé » et « La mécanique du cœur ». Que l’on ne s’y méprenne pas : les mots ne vaincront pas la maladie. Ils n’ont pas ce pouvoir. Les mots, tout comme l’amour de Rosy, l’amitié de ses fidèles, vont aider à survivre dans cette épreuve terrifiante dont le chanteur ne nous épargne rien.

Ma seule possibilité de résister, c’est d’écrire. L’urgence fait pousser des graines de livres en moi. Je les arrose toutes et m’applique à penser que je vais trouver mon haricot magique pour crever le plafond de l’hôpital

Dans ses chambres stériles successives, Mathias Malzieu, va soumettre alors ses pensées à la fabrique de la poésie, cette petite usine dans son cerveau qui fonctionne parfaitement, pour trouver dans son environnement, les mots qui vaincront définitivement les pensées de Dame Oclès, la combattante destructrice. Il s’attachera à saisir la clarté du soleil qui « offre son décolleté de lumière derrière la vitre ». Le lecteur, totalement immergé, respire ainsi au rythme d’une poésie qui porte en elle des déflagrations d’espoir, contrepoids indispensable aux épreuves successives de tentatives de solutions médicales avortées.

Dionysos l'album
Dionysos l’album

Ces mots salvateurs forment une bulle protectrice qui ne travestit pas le monde, mais en perçoit les éclats de beauté. Ils s’appliquent à transformer «l’obscurité en ciel étoilé ». De retour chez lui, dans son « appartelier » le chanteur écrit dans un fauteuil à la forme d’œuf, cocon protecteur, ouvert, mais qui assourdit les mots du monde extérieur. Ainsi protégé, il ne sombre pas et le lecteur accompagne le malade, avec l’immense avantage de savoir que la fin sera heureuse.

Outre les mots, Mathias Malzieu trouve dans le personnel soignant, et notamment ses Nymphirmières, une aide indispensable, même vitale. Rarement, des remerciements, sans le mot merci, ont été exprimés avec une telle force et une telle sincérité :

Je commence à m’attacher à eux. Ils m’impressionnent de patience et d’écoute. Ils tiennent droit dans ce flot d’ombres à grumeaux qui balaient les couloirs de l’hôpital. Ils pilotent des canots de sauvetage avec de tout petits gouvernails dans des tempêtes de détresse. Ils sont beaux.

Avec lui, on prend conscience de ce que l’homme met en œuvre pour préserver la Vie. Sa guérison l’auteur la doit à un cordon ombilical prélevé à Düsseldorf le 12 juillet 1999 et utilisé pour lui le 21 octobre 2014 après avoir été conservé à -190°C pendant ces 15 années. Au cas où.

Création Olivier Wetzel
Création Olivier Wetzel

On a coutume de lire que les lecteurs assidus ont une empathie plus forte et une meilleure compréhension d’autrui, d’avoir pénétré par leurs lectures l’esprit de centaines de personnes différentes. D’avoir vécu de nombreuses vies en quelque sorte. À ce titre le témoignage du chanteur poète est une expérience terrible que l’on vit par procuration, une manière de mieux comprendre et d’appréhender les souffrances de l’existence, mais aussi ses immenses bonheurs qu’il faut saisir pour trouver ses « bribes de lumière aux quatre coins de l’enfer, là où les anges font du stop à mains nues ». Avec lui, on se prend à croire au « Père Moelle » et à la nature humaine. Avec lui cela fait vraiment du bien de regarder « Rosy dormir, ses seins remontant à la surface de la couette comme des îles flottantes. Voir le petit matin effacer la lune avec sa gomme en forme de nuage ». Avec lui on apprend à aimer encore plus la vie.

dionysos
DIONYSOS

Le vampire affamé du sang vital des autres est devenu le plus vieil enfant du monde par la grâce d’un cordon ombilical. Il a donc pu remonter sur son skateboard, et quitter le long couloir blanc. Il rentre chez lui. De l’étage, on le voit glisser sur le trottoir, petit écureuil « au panache roux ». Pour garder son équilibre, il lève les deux bras au ciel. Vers ce haricot magique qui lui a ouvert le plafond de l’hôpital. De là il voit de nouveau le ciel. Il va pouvoir jouer du ukulélé. Et chanter, encore et toujours.

Journal d’un vampire en Pyjama Mathias Malzieu, Éditions Albin Michel, janvier 2016, 18 €. 230 pages.

Lire un extrait ici

 

 

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 Ce livre est le vaisseau spécial que j’ai dû me confectionner pour survivre à ma propre guerre des étoiles. Panne sèche de moelle osseuse. Bug biologique, risque de crash imminent. Quand la réalité dépasse la (science-) fiction, cela donne des rencontres fantastiques, des déceptions intersidérales et des révélations éblouissantes. Une histoire d’amour aussi. Ce journal est un duel de western avec moi-même où je n’ai rien eu à inventer. Si ce n’est le moyen de plonger en apnée dans les profondeurs de mon cœur.

Mathias Malzieu

 

A reçu le « Prix Essai France Télévisions » 2016.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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