Martin Woutisseth vit actuellement au Japon. Graphiste, il s’est gaiement inspiré de l’actualité française et de la culture nippone pour détourner la campagne de la Primaire à droite. Copé, Juppé et autres Sarkozy s’affichent donc sur les murs d’Osaka. Faut-il croire que les Républicains cherchent à se faire élire au pays du soleil levant ? Martin Woutisseth a réussi avec ce travail un détournement aussi drôle que subtil. Unidivers a rencontré pour vous ce graphiste au parcours original !

Les voyages forment-ils la jeunesse ? Dans le cas du graphiste Martin Woutisseth, ils déforment les codes traditionnels de la politique française. Cet artiste, spécialisé dans l’illustration de films, séries ou musique, a eu l’idée de détourner des affiches japonaises en intégrant des hommes politiques français de la Primaire à droite. La sagesse japonaise pourrait-elle débrider les esprits souvent énervés des candidats ? L’idée serait amusante, à l’approche du premier tour (le 20 novembre 2016). Habilement, Martin Woutisseth est parvenu à créer un écart entre ces politiciens français et un jeu sur les sonorités du japonais, sur ces proverbes, sur la graphie de la langue. À quand les mêmes dans les rues françaises ?

Unidivers : Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Et votre pratique ?

Martin WoutissethMartin Woutisseth : Je m’appelle Martin Woutisseth, j’ai 34 ans, j’ai étudié sept ans l’illustration et le graphisme à Saint-Luc Tournai, en Belgique. Puis à 22 ans, une fois mon diplôme en poche, je suis parti un an à Osaka avec un visa vacances-travail. Je suis revenu ensuite en France travailler dans le graphisme, mais le Japon m’a toujours manqué. J’ai continué d’apprendre la langue, de me faire une expérience graphique dans le but d’y revenir un jour plus armé. Mon travail a ensuite été remarqué par un producteur du studio 4 °C en 2012, j’ai réalisé deux fois des stages dans l’animation à Tokyo dans le même studio de ce producteur dans le but d’avoir un visa travail. Je m’étais fait la promesse de revenir au Japon y vivre en tant que graphiste un jour. Mon dernier séjour à Tokyo dans l’animation était éprouvant et l’ambiance de travail de ce studio et ce producteur avait beaucoup changé. J’ai donc d’un commun accord avec celui-ci décidé de poursuivre l’aventure seul en freelance à mon retour à Osaka, une ville que j’avais beaucoup appréciée lors de mon premier voyage.

U : Vous avez illustré plusieurs séries ou films. Est-ce une source d’inspiration pour vous ? Y a-t-il déjà une forme de détournement ?

Martin WoutissethMartin Woutisseth : En effet, comme beaucoup de Français, j’aime le cinéma et les séries. En 2011, la Cinémathèque française organisait un concours Kubrick et le web. Étant en transition professionnelle avant d’intégrer un studio de vidéo, j’ai décidé de participer au concours autour d’un réalisateur culte et en réinterprétant ses affiches. Je n’ai pas gagné le concours, mais la vidéo a eu beaucoup de retours positifs de la part du public et des professionnels. J’ai poursuivi dans cette voie. J’appellerais plutôt cette pratique de la réinterprétation plutôt que du détournement. Le mouvement avait commencé avec Olly Moss et les affiches pour Mondo. On verra à l’avenir, mais cela m’a permis de me faire connaître, de me faire interviewer une fois par le Times Magazine et de travailler avec des clients internationaux. J’ai aussi un projet de BD sur mes anecdotes au Japon depuis dix ans, un projet qui me tient à cœur et que j’ai commencé. Je souhaite me recentrer sur mes passions premières : le dessin et la BD.

Martin WoutissethU : Vous résidez au Japon. Ce pays vous inspire-t-il en tant que graphiste ?

Martin Woutisseth : C’est un pays que j’apprécie, mais qui possède aussi ses défauts (comme partout). J’aime la culture, les gens. C’est aussi un pays très visuel, qui possède un sens esthétique fort dans de nombreux domaines. Cette exigence me force à m’améliorer. Un peu comme dans une salle de gravité accentuée.

U : Vous avez récemment réalisé des affiches à propos de la Primaire à droite. Pouvez-vous expliquer le principe ?

Martin WoutissethMartin Woutisseth : Chaque jour, je parcours les rues et ruelles d’Osaka entre mon logement et mon lieu de travail. Je vois les nombreuses affiches électorales et leurs codes graphiques. En parallèle, je suis les informations concernant la France. J’ai toujours imaginé un mash-up improbable d’affiches électorales françaises à la mode japonaise. J’ai donc tenté l’aventure un soir, après le travail, amusé. Et l’idée a plu ! J’ai réalisé la série de la primaire à droite. Je ferai peut-être la Primaire à gauche par la suite ou une série sur les anciens présidents. On verra. C’est, dans ce cas, du détournement.

U : Comment détournez-vous les messages politiques ? Grâce au texte ? À l’image ? À l’opposition des deux ?

Martin WoutissethMartin Woutisseth : Je détourne déjà visuellement, en intégrant le visage sur un corps en costume japonais, ou en intégrant complètement la photo originale. Puis je traduis et j’intègre la traduction du nom en caractère japonais. Je peux glisser un jeu de mot japonais : par exemple pour Christiane Taubira, Tobira en japonais signifiant « porte ». Donc je peux insérer ce caractère pour le nom de famille ou sinon, je garde le texte en traduction phonétique (les katakana en français). Ou je peux ajouter un détail amusant, comme le Jean-François Copé qui représente le parti politique de la chocolatine (inscrit en japonais sur l’affiche)

U : Vivre à l’étranger vous apporte-t-il un autre regard sur votre pays et son actualité ?

Martin Woutisseth : Vivre à 9500 km, dans sur un archipel isolé à l’autre bout de la Russie et de la Chine, où la langue peut vous isoler encore plus au début, ce n’est pas évident. La France vous manque et l’herbe y paraît plus verte. Mais, à l’inverse, de retour en France, le Japon et ses particularités peuvent vous manquer également. J’ai toujours porté un œil curieux et intéressé sur la politique. Bien sûr je suis concerné par la France, son actualité et son avenir. Pour cette série d’affiches, je ne prends pas parti sur mes convictions personnelles, il s’agit juste d’un mash-up graphique.

Entretien avec Martin Woutisseth, graphiste et designer résidant au Japon

 Martin Woutisseth

Article précédentDédicaces BD, le bonheur au bout de la file d’attente …
Article suivantDanse de nuit de Boris Charmatz, tenir la place

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici