Mémoires d’un snobé de Marin de Viry présente le double et incomparable avantage de se lire très vite pour le lecteur et, pour le critique, de pouvoir être évoqué, sans trop simplifier son insignifiance, en quelques lignes, en quelques mots même : ce roman, sous ses airs de fausse décontraction et d’autodérision, est d’une nullité prétentieuse évidente.

Prétention retournée, fausse si l’on veut, bien davantage snob que snobée, presque jamais drôle, qui se donne, dans le livre, par le biais des tracas germanopratins d’un pauvre type (de son propre aveu), critique littéraire catholique pour La Revue des Deux Mondes, Marius de Vizy, soumis à la plus infernale torture lorsqu’il s’agit de rencontrer Michel Houellebecq lors d’une soirée dans un restaurant (puis, bien sûr, en boîte, sous la direction du DJ Frédéric Beigbeder, personnage essentiel de notre roman) et ensuite, vers la fin du livre, d’assister, toujours en bonne c’est-à-dire en mauvaise compagnie de gandins et de pécores, au raout suivant la réception, par ce même Houellebecq, du Prix Goncourt.
D’autres aventures nous attendent, tout aussi peu inventives(1) pour paraître indignes d’un épisode de la série Scènes de ménage (voir par exemple le chapitre intitulé Son Miele est plus gros que mon Bosch) bien qu’elles puissent en revanche à merveille illustrer la sentence sous laquelle l’éditeur ramasse le texte de Marius de Vizy, manuscrit qui n’est qu’une « succession de vues partielles d’un paumé qui erre dans un chaos trop grand pour lui » (p. 105).
Cette phrase, comme je l’indiquais plus haut en évoquant une prétention retournée, fausse, est un indice de ce que Marin de Viry n’est pas parvenu à nous offrir : un véritable texte désespéré, fût-il drôle (et, je le répète, nous ne rions jamais, pas même jaune(2), puisque le désespoir, dans les Mémoires d’un snobé, est au moins aussi visible que la maigreur des moyens stylistiques(3) par lesquels notre auteur suggère, sous l’apparence artificielle d’un récit pour midinette aimant les rébus(4), une réalité plus sombre, d’entrée de jeu indiquée par la scène de l’enterrement d’un ami du narrateur, Jérôme, puis plus ou moins discrètement rappelée par toute une série d’indices catholiques si nous pouvons dire, minuscules piqûres qui permettent de comprendre que, Caroline ou pas, femme secrètement aimée et jamais prise ou si mal, Marius de Vizy est effrayé par « toute cette grandeur possible » qui, en effet, « est écrasante » (p. 176).
De même que le livre de Marin de Viry s’ouvre par un enterrement, il se ferme par un autre, sans que ces deux événements soient vraiment significatifs, sans que l’auteur en tire même quelque jugement sur l’insignifiance de son petit personnage de « bobo de droite » (p. 125).
Finalement, Marin de Viry est peut-être, à son propre endroit, le juge le plus intraitable qui, en évoquant Bernanos affirmant que « les crimes d’argent ont quelque chose d’abstrait » (p. 129), a une fois pour toutes soupesé justement son propre livre, dont le poids est nul, mais dont la nullité alourdit tout de même, paradoxalement, la balance invisible qui juge les écrivains ou plutôt ceux qui se croient de cette honorable confrérie. À quoi donc te sert, pauvre homme, d’ironiser sur la déveine d’un médiocre si c’est pour nous proposer un livre presque nul (le drame ontologique de l’auteur se niche sans doute dans ce petit mot, presque) qui n’hésite pourtant pas à faire des clins d’œil appuyés à toute une faune de paumés travaillant, de près ou de loin, dans l’univers impitoyable et vain de l’édition ?
Les mauvaises langues me susurreront à l’oreille que l’antienne est plus que vieillie de ces atermoiements dus à un reste de mauvaise conscience catholique dans l’esprit de ces mondains dilettantes, dont le dilettantisme semble avoir dévoré toute la substance, comme nous le voyons dans les plus récents livres de Michel Crépu, aimable patron de Marin de Viry qui semble s’être perdu entre plusieurs réceptions de diplomates, entre Venise et New York, en passant par New Delhli. On aimerait que Marin de Viry, avec moins de mauvaise conscience (ou d’une conscience qu’il feint plutôt d’avoir mauvaise), soit capable, comme le démon de Selby, de s’aventurer dans des eaux à peine troubles, une telle témérité, fut-elle drôle par sa prudence, aurait au moins quelque crânerie par laquelle Marin de Viry signifierait son fier Noli me tangere à la foule des parasites où il évolue comme un acarien sur une moquette (image reprise à l’auteur, cf. p. 190). Et même, lui qui admire l’alacrité d’Angelo Rinaldi, eût pu être méchant alors que, hormis une petite bassesse sur l’inoffensif Jean d’Ormesson, son livre n’est qu’une longue suite de courbettes (devant Houellebecq, Duteurtre 5), Beigbeder, Lambron(6)… Moix ? Non. Mais(7)…).
Les plus subtils, à moins qu’il ne s’agisse plutôt des plus naïfs de ces mêmes lecteurs, oseront croire qu’il y a, dans la minuscule bulle de savon soufflée par Marin de Viry, quelques reflets dont l’irisation n’est point complètement due à l’insouciante banalité d’un vague auteur pas même capable de porter crânement son maigre talent d’amuseur.

Juan Asensio (Stalker)

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À propos de Marin de Viry, Mémoires d’un snobé, Ed. PGR, 12 janvier 2012, 205 pages, 18€

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Notes
(1) Le chapitre intitulé Un crime abstrait est toutefois assez drôle dans sa parodie du langage de l’entreprise (rappelons que Marin de Viry est consultant en stratégie) et sa description d’un futur (déjà présent) où un logiciel invente un roman sous la supervision, de plus en plus relâchée, d’un écrivain qui n’est même plus auteur.
(2) Quelques exemples de l’humour de Marius de Vizy, à moins qu’il ne s’agisse de celui de Marin de Viry : « La carte de crédit est à Frédéric [Beigbeder bien sûr] adulte ce que le camion de pompier devait être à Frédéric enfant » (p. 33). « Madame, à nous deux nous rendons une sorte d’hommage à Bret Easton Ellis, car vous poinçonnez frénétiquement mes Berlutti avec vos stilettos Drisoni » (p. 77). « Mais au stade où on en est de la foultitude il n’y a que Chabal qui pourrait arriver jusqu’au buffet » (p. 84), etc.
(3) Si encore nous pouvions prétendre que le livre de Marin de Viry est d’une plume irréprochable, d’une vraie audace stylistique voire, tout simplement, d’une belle tenue d’écriture, mais il faut, sur ce point aussi qui est la structure essentielle de toute œuvre, vite déchanter devant cette accumulation simpliste d’énumérations sous la forme a), b), c), etc. (cf. pp. 68, 74-5, 114…), de lourdeurs aussi comiques que grossières (« C’est surtout ce volet que j’aimerais développer dans ce récit », p. 17), de vagues retranscriptions de conversations, dont le résultat le moins navrant est « Ah ha ha ha qu’est-ce qu’on est cons quand même. Aïe Ouille Aïe, oui, nous sommes des merdes parfois traversées d’un rire méchant », p. 65). Enfin, citons ce dernier passage, où l’ironie fonctionne à vide, elle qui applique des catégories sémantiques pour le moins inadaptées à des faits d’une banalité absolue : « Oooooh, Jésus Marie Joseph, ça sent la soirée de merde prélude à un crash nerveux et même spirituel, je sens venir une crise dont je sortirai définitivement vaincu… Le début d’une errance sans but… Je crains comme une absence de Moïse… J’ai besoin d’un Moïse en jupons, je n’y renoncerai pas comme ça, salope d’existence ! » (p. 135).
(4) Certains s’amuseront peut-être à imaginer quel personnage peut bien se cacher derrière David Spoken (cf. p. 178), l’agent littéraire invisible et patron du site L’Anneau qui a décidé de prendre en charge la carrière fumeuse de Marius de Vizy. Du reste, l’auteur donne tellement peu d’épaisseur à son personnage, comme à tous les autres (l’éthéré le plus pur étant celui avec lequel Marin de Viry a façonné sa belle brune, Caroline), qu’il équivaut à un ectoplasme.
(5) Lequel n’a pas manqué d’écrire dans Marianne (16 janvier 2012) tout le bien qu’il pensait du livre de Marin de Viry.
(6) Lequel n’a pas manqué de dire et faire dire tout le bien qu’il pensait du livre de Marin de Viry (sur France Inter, émission de Colombe Schneck intitulée Les Liaisons heureuses du 21 janvier à 15 heures).
(7) Lequel n’a pas manqué d’écrire tout le bien qu’il pensait du livre de Marin de Viry (dans le Figaro Littéraire du 2 février 2012).

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