Un débat agite la France depuis plusieurs semaines. Un débat instrumentalisé par le gouvernement afin de faire passer le problème des finances publiques et l’annonce de milliards d’euros d’impôts supplémentaires. Il s’agit du projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux citoyens homosexuels.
Parfois un conte de fées, le mariage est souvent dominé par des schémas et impératifs socioéconomiques. Du côté chrétien, il renvoie à un idéal d’amour absolu qui soutient l’objectif de l’Église d’intégrer la famille dans une économie morale. Ces deux lectures méritent d’être contextualisées afin d’exposer un certain point de vue sur le mariage puis sur l’adoption aujourd’hui.
Il ne s’agit pas ici de présenter une étude exhaustive des différents arguments en présence, mais de contribuer autrement à un débat autour d’un projet de loi qui nous semble particulièrement mal introduit, notamment car les deux versants de la loi mériteraient d’être dissociés.

La famille : lignée et biens

 Dans le bassin civilisationnel occidental, l’invention du mariage civil remonte à l’époque romaine et le versant sacramentel apparait dans l’Église chrétienne au moyen-âge.

D’une manière succincte, on dira que le mariage civil est un contrat qui répond à plusieurs nécessités, en particulier l’encadrement des biens des personnes qui s’épousent et de leurs enfants, autrement dit de la répartition des premiers entre les seconds à la mort du père. Qui dit progéniture, dit femme unique, sang unique, lignée pure. Pour ces dernières, hors du mariage (parfois heureux), du veuvage ou des ordres, longtemps il n’y eut point de salut : sorcière, ribaude ou catin. C’est ainsi que les épouses ont vécu sous la tutelle de leurs maris, en France jusqu’à leur reconnaissance comme membre à part entière de la cellule familiale dans les années 1970.

Quant au mariage religieux, il est institué au moyen âge et transcende le civil à travers un engagement de fidélité devant Dieu et la communauté des croyants. Sa raison d’être : inscrire l’union conjugale dans une économie de sens moral et spirituel fondée dans une maitrise des passions humaines au service de la transfiguration (chez les femmes et, surtout, les hommes) d’une polygamie instinctuelle à une monogamie culturelle, affective et psychologique. Dans ce cadre, il concourait à l’objectif du contrat civil : sécuriser l’identification de la descendance et des biens familiaux.

Contrat civil et engagement religieux

Au regard de cet héritage historique, quelle est la place pour un possiblemariage homosexuel ? Aucune. Ce que traduisent les réactions si abruptes de nombre de Français, notamment de sensibilité catholique. Aucune, toutefois, dans la seule mesure où le terme « mariage » conjoint deux versants : le contrat civil et l’acte religieux. Que devient-il une fois ces deux versants disjoints ? C’est paradoxalement déjà le cas en France depuis le mouvement de séparation de l’Église et de l’État qui débute au XVIIIe siècle et trouve son acmé avec leur séparation en 1905.

D’un côté, un contrat civil ; de l’autre un engagement religieux. Depuis 1999, les couples hétérosexuels et homosexuels ont accès au pacte civil de solidarité, le PACS. Mais seuls les ménages hétérosexuels – en principe croyant et en règle avec leurs obligations confessionnelles – ont la possibilité de s’engager religieusement. Seuls ces derniers peuvent donc bénéficier des deux types de mariage. Et plusieurs d’entre eux, avec l’appui d’une grande partie des institutions religieuses, souhaitent que l’institution du mariage demeure ainsi. Or, il est tout à fait possible de respecter ce souhait tout en clarifiant cette situation quasi bicontractuelle.

Le mariage : un problème sémantique à résoudre

On constate que la pomme de discorde autour du projet de loi sur le mariage homosexuel est renforcée par un flottement sémantique. Le terme « mariage » – avec toute sa charge de moment extraordinaire, de décorum exceptionnel et de puissance symbolique qui l’entoure – est clivé en deux versants et significations : pacte d’union civile conjugale et engagement spirituel pour la vie.

Pour mettre fin à ce flottement, ne suffirait-il pas que le Législateur se cantonne à son obligation d’encadrement et de gestion des pactes d’union conjugale en abandonnant le mariage aux institutions confessionnelles ? Certes, cet abandon sémantique ne sera pas chose facile au regard des mentalités. Pourtant, que se passerait-il s’il n’y avait plus ni mariage civil ni femmiage civile, mais une union conjugale ? Le cas échéant, l’État généraliserait un contrat d’union conjugale (en le dotant de toutes les prérogatives de l’actuel contrat de mariage) à destination de tous les couples hétérosexuels et homosexuels. Un contrat civil, qui comme tout contrat, peut être rompu.

Ensuite, libre aux couples hétérosexuels de conférer à leur union une dimension religieuse par la célébration du mariage religieux – chrétien, juif, musulman, bouddhiste, etc. Un sacrement qui, tout au moins dans le christianisme catholique et orthodoxe, ne saurait être rompu. Ainsi fait, chaque confession serait en mesure de traiter l’administration du mariage en accord avec ses convictions. De sorte que des couples homosexuels pourraient (et peuvent déjà) se marier selon certains rites, déjà pratiqués dans quelques expressions protestantes ou bouddhistes.

La conception traditionnelle de la famille

Une fois énoncée cette proposition sur l’évolution possible de la notion de mariage, penchons-nous sur la question de l’adoption par un ménage homosexuel. Après et en parallèle de l’histoire, c’est l’anthropologie qu’il convient ici de convoquer.

En résumé, nous dirons que l’inscription du règne humain dans une nature héritée invite à respecter sa logique : l’enfant est le fruit de la reproduction de l’acte sexuel complet d’une femme et d’un homme féconds. La relation de la mère-femme et du père-homme s’impose comme le cadre idéal-naturel pour ce faire ainsi que pour le développement de l’enfant. Aussi, l’adoption par un couple homosexuel fait-elle figure de transgression de cette conception anthropologique, sacralisée par la plupart des textes religieux. Rien ne justifie qu’une relation conjugale stérile en matière de reproduction puisse donner lieu in fine à une cellule familiale par l’intermédiaire de l’adoption.

Qui plus est, l’adoption par des homosexuels résonne dans cette conception théorique comme la perspective d’une révolution copernicienne anthropologique fondée sur une subversion du règne naturel, de sa logique et de ses repères, au profit d’une construction humaine artificielle, voire postprométhéenne. La société humaine s’affranchirait alors de son ancrage dans les lois naturelles, anthropologiques, symboliques et cosmiques. Ce faisant, elle s’éloignerait encore plus de son origine fondatrice au risque de chuter dans une déstructuration anarchique du sens et du devenir humain.

En quelque sorte, l’adoption d’un enfant par des homosexuels serait à la nature ce que sont les OGM et Monsanto aux graines naturelles et à l’agriculture classique.

Une revendication posée par des couples homosexuelles

À cette crainte qu’inspire cette révolution copernicienne où l’enfant ne tourne plus autour d’un homme et d’une femme, mais deux hommes ou deux femmes autour d’un enfant, les personnes favorables à l’adoption par un couple homosexuel (certains hétérosexuels et certains homosexuels, mais pas tous) répondent par plusieurs arguments de différentes natures. L’objet de cet article n’étant pas d’exposer les arguments de chaque bord, nous n’en retiendrons que deux : le premier pointe une contradiction technique d’ordre légal, l’autre prend en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en le revisitant.

Si l’adoption conjointe par des pacsés ou des concubins n’est pas autorisée, l’adoption plénière est ouverte aux célibataires depuis 1966 sans qu’ils aient besoin de faire état de leur orientation sexuelle. Tout célibataire homosexuel de plus de 28 ans est ainsi autorisé en théorie à adopter un enfant. Certes, si l’homosexualité du candidat est révélée lors de la procédure d’agrément, les organismes gestionnaires des procédures réagissent souvent par la négative. C’est pourquoi, depuis le 1er janvier 2005, la loi condamne toute discrimination liée à l’orientation sentimentale et sexuelle en la matière. D’où aujourd’hui une étonnante contradiction : une femme ou un homme célibataire hétéro- ou homosexuel(le) peut adopter en France mais pas un couple homosexuel pacsé et engagé dans une vie stable et durable ! On s’étonnera du reste que le vaste débat actuel n’ait pas été lancé lors du projet de loi autorisant les célibataires à adopter en 1966, lequel constituait  une première entorse au modèle traditionnel.

Le second argument s’ancre dans la constatation que, depuis un demi-siècle, la place de l’enfant s’est vue reconnaître une place toujours plus singulière et l’éducation moderne s’est de plus en plus attachée à son autonomisation. Dès lors, en quoi la pratique et la construction d’une relation d’amour dans un couple homosexuel empêcheraient-elles de contribuer à l’éducation et à l’autonomisation d’un ou plusieurs enfants ? C’est d’autant plus justifié que l’homosexualité n’est plus taxée de maladie mentale ou comportement contre nature par la société civile depuis 1981 en France et depuis 1993 par l’OMS.

Loi et adaptation : la logique du moindre mal

Une majorité de nos concitoyens comprennent les points de vue des deux parties en présence (une fois mis de côté les extrémistes dégénérés d’un côté comme de l’autre : ceux qui voient dans tout homosexuel un pédophile zoophile en puissance et ceux qui affirment que l’avenir de la relation humain-nature passe par son homosexualisation, pour certains au profit de… sa disparition). Au final, ce qui se joue ici, c’est finalement l’un des principaux moteurs de l’histoire : la tension entre théorie et pratique. Une tension productrice d’évolution.

Une fois pris acte que notre société n’expérimente pas in concreto la réalisation d’un idéal d’harmonie absolue entre nature et humanité, entre femmes et hommes, entre parents et enfants, entre ce qu’est l’individu et ce qu’il devrait être, peut-on interdire l’évolution de certaines pratiques collectives au nom d’un idéal vers lequel on tend ? Oui. Oui, c’est possible. Mais l’économie du réel semble aujourd’hui se rappeler à notre société et à ses conceptions plurielles.

Nous entendons ici par économie, l’adaptation des rigueurs de la loi (qu’elle soit civile, morale ou religieuse) aux cas pratiques et singuliers. Et voilà bien un cas pratique auquel est confronté notre monde qui n’est pas idéal : des millions d’enfants sont orphelins sur terre, leurs parents les ont abandonnés ou sont morts. La France compterait à ce jour 500 000 enfants orphelins de moins de 21 ans et 800 000 jeunes de moins de 25 ans. Des milliers d’enfants orphelins sont élevés à la DASS par des adultes auxquels il est demandé de refouler leurs sentiments d’affection pour éviter qu’une relation d’attachement se mette en place entre les enfants et eux.

Ne serait-il pas dès lors préférable qu’une partie de ces milliers d’enfants soient aimés pour eux-mêmes, choyés dans leur singularité et éduqués vers leur autonomie par un couple, dût-il réunir deux femmes ou deux hommes ? Et ce, bien sûr, dans le respect des conditions qui réglementent actuellement le cadre de l’adoption simple ou plénière en France.

Autrement dit, la défense d’un modèle théorique ne doit-elle pas se relâcher devant la possibilité de contribuer à sortir un enfant d’une trajectoire existentielle, psychologique et affective peu enviable ? Nous posons ici la question.

A quand un débat de fond ?

Dans le cadre de cette contribution à la réflexion sur le projet de loi relatif au mariage et à l’adoption par des homosexuels, il nous parait utile d’ajouter une remarque plus générale, mais non négligeable. Doit-on légiférer sur ces deux questions aussi capitales sans les inscrire dans un débat plus global autour de l’engagement, de la coopération et des responsabilités, en tant qu’humain et citoyen, à l’égard de la communauté et des membres qui la composent ?

Si le temps semble venu de réfléchir à la redéfinition du mariage et de la famille ainsi qu’à leur place dans la société du XXIe siècle, il s’agit avant tout de contribuer à la consolidation des différentes structures familiales collectives contemporaines dans l’intérêt des enfants comme des adultes. Pour l’heure, le débat nous semble aussi passionné que mal introduit par le législateur. Ne mériterait-il pas de véritables Assises nationales afin d’élaborer de concert une vision de la société dans laquelle tout un chacun pourrait retrouver une véritable espérance ?

Nicolas Roberti

Article précédentLe long cortège de Notre-Dame-des-Landes contre l’ayraultport
Article suivantSecret Chiefs 3 > Les chevaliers théophaniques au Jardin Moderne le 25 et 26
Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici