Le 24 février 1704, en son logement de la Sainte Chapelle, s’éteint Marc Antoine Charpentier, alors âgé de 60 ans et très rapidement, ce musicien parmi les plus en vue de son siècle, tombe dans l’oubli pour n’être exhumé que dans les années 50.
On serait bien tenté de croire à la malchance ! En tout cas, ce concours de circonstances l’empêchera de briller au firmament des artistes de son époque et c’est aussi dommage qu’injuste, car l’ensemble Correspondances a démontré avec brio la maîtrise et l’éblouissant talent de ce grand musicien français. Dès l’entame le ton est donné et ce Motet pour les trépassés combine à la fois simplicité, beauté et absolu. On y sent l’influence italienne, ce qui n’est guère étonnant puisque Charpentier fut l’élève de Giacomo Carissimi, cette influence lui fut d’ailleurs souvent reprochée. Quelle injustice, car la complexité des voix qui se mélangent et la maîtrise absolue du contrepoint, rappellent les mélodies inspirées de Giovanni Pierluigi da Palestrina et coupent court à toute tergiversation. On est bien en présence d’un génie !
À la sortie du concert, suivant les opinions, le cœur balançait entre la messe des trépassés ou le Stabat Mater pour savoir quelle œuvre avait emporté les suffrages du public. Qu’importe, les deux atteignaient au sublime et ont émerveillé par leur beauté contrapuntique et leur puissance évocatrice un public qui avait bien eu raison de répondre à cette nouvelle invitation de l’opéra de Rennes.
Alors pourquoi y a-t-il fallu attendre les années 50 pour que l’abbé Carl de Nys, très connu des auditeurs de France musique pour ses interventions lors des émissions « la tribune des critiques », ressorte des limbes le très fameux Te Deum, devenu l’emblématique musique d’ouverture de l’Eurovision. C’est à cette occasion que l’on a redécouvert l’œuvre prolixe et magnifique de Charpentier, lequel avait, en copiant soigneusement chacune de ses œuvres, créé un corpus de plus de 550 pièces réparties en 28 volumes, intitulé « Mélanges ». La session de cet incroyable ensemble autographe par l’un de ses neveux a permis de conserver à la Bibliothèque nationale de France la plus grande partie de sa production. Il est un peu triste de constater qu’oublié dès son trépas, Marc Antoine Charpentier est actuellement le musicien baroque français le plus joué et donc présent sur les catalogues des grandes maisons de disque. L’histoire se montrerait-elle plus juste avec les musiciens qu’avec les autres… à méditer ?
Ensemble Correspondances, Marc-Antoine Charpentier, opéra de Rennes, 8 mars 2016
Direction musicale : Sébastien Daucé