Portraitiste de talent, Madeleine Fié-Fieux semble être restée volontairement dans l’ombre de son maître, l’artiste Émile Simon. Pourtant, comme lui, elle a consacré sa vie à la peinture et son œuvre témoigne de son attachement pour la Bretagne rurale dès le début du XXe siècle. Lumière sur cette artiste aujourd’hui reconnue.

Issue d’une famille aisée, Madeleine Fié voit le jour en 1897 à Varennes-en-Gâtinais (Centre-Val-de-Loire) avant de grandir à Paris. Son père est dentiste, sa mère une future gérante de pharmacie – elle reprend la pharmacie de son oncle en 1903. Comme toute famille bourgeoise, l’enfant reçoit l’éducation alors en usage et multiplie les activités artistiques au lycée Molière jusqu’en 1913 – piano, chant, dessin, etc. Découvrant l’intérêt que sa fille porte au dessin, sa mère l’inscrit à un cours à la mairie de Passy.

Après une première année consacrée à l’art du portrait, Madeleine croque au fusain le portrait du tonnelier-tambour de la commune. Une œuvre réussie puisqu’elle finit sa course affichée dans le café de ce dernier et attire par la même occasion le regard de la fille de la châtelaine de Langesse, Mlle de Bellecour. Grâce à la lettre de recommandation de cette dernière – et un talent de portraitiste en plein développement, la jeune fille entre à l’Académie Julian (Paris), seul établissement privé autorisé aux femmes. Son style classique émerge déjà de ces portraits de la fin des années 1910 empreints de sincérité.

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Madeleine Fié-Fieux, Portrait de vieille femme, 1919 © Musée départemental breton, Quimper

Victime d’une hémoptysie* en 1921, Madeleine, alors âgée de 24 ans, passe trois ans en cure à Arcachon. Elle y réalise les portraits des résiniers. En 1928, elle épouse le prothésiste Philippe Fieux, mais conserve son nom de jeune fille, une audace pour l’époque. La signature « Madeleine Fié-Fieux » s’affiche dorénavant sur toutes ses œuvres.

Exerçant à Nantes, Madeleine rejoint son époux à la belle endormie, une nouvelle ville pour une nouvelle étape dans le chemin de sa vie artistique. Sur les conseils de sa mère, elle reprend le dessin à l’école des Beaux Arts de Nantes, elle y rencontre l’artiste et professeur Émile Simon (1890-1976). Plus qu’une relation élève-maître, Madeleine et Émile deviennent amis. Après cette rencontre, le trio ne se quittera plus. Ils partent ensemble en excursion en Bretagne, notamment dans le Finistère. Ces voyages nourrissent l’œuvre de l’élève d’Émile Simon de portraits de Bretons et Bretonnes des années 30 et 40.

Chacun avec sa sensibilité, les deux peintres témoignent la vie rurale bretonne au travers de portraits ressemblants, mais différents par la touche. Un travail que l’on pourrait rapprocher du reportage ethnographique. Au style classique de la peinture de Madeleine s’ajoute son goût pour le détail. Chaque parcelle de visage et chaque pli du vêtement sont traités avec minutie.

16 septembre 1943, une date historique connue pour être le premier bombardement de Nantes pendant la Seconde Guerre mondiale. La maison Fié-Fieux est détruite. Le couple s’installe chez Émile Simon, mais le deuxième bombardement pousse le trio à quitter Nantes pour le Finistère. Ils achètent ensemble le manoir de Kervao (près de Quimper) où il y vivent jusqu’à la fin de la guerre. Émile Simon retourne alors à Nantes pour devenir directeur intérimaire de l’École des Beaux-arts et les époux Fieux s’installent au Manoir de Squividan (en breton « lieu où abonde le sureau »), vaste demeure bourgeoise du XIXe siècle au milieu d’un parc dans la commune de Clohars-Fouesnant. Émile Simon les rejoint définitivement en 1947.

Dans ce coin de verdure apaisant, une période artistiquement intense commence. Un atelier est installé au deuxième étage et un nouveau chapitre qui durera près de trente ans s’ouvre. Guidé par Philippe Fieux, ils explorent inlassablement le territoire breton à la recherche d’inspirations. Émile et Madeleine peignent les multiples aspects de la Bretagne : le paysage, les pardons**, le travail quotidien et les fêtes. Les portraits de Madeleine Fié-Fieux dégagent un profondeur singulière, le résultat de l’attention qu’elle porte à ses modèles. Elle parle avec eux, apprend à les connaître et retranscrit picturalement l’âme bretonne dans toute sa splendeur. La personnalité de chacun se reflète.

Petit à petit, il semble que l’élève ait dépassé le maître. Pour autant, elle restera en retrait jusqu’à la fin de sa vie, toujours reconnaissante envers Émile Simon de lui avoir tant appris. Aux cotés des portraits, les compositions florales et études de la statuaire religieuse de Marie Madeleine Fié-Fieux sont omniprésentes : des peintures colorées, toujours naturelles. La facture classique de l’artiste persiste avec réalisme. On se demande parfois quelle odeur peut avoir cette fleur.

Son compagnon de route meurt au manoir de Squividan en 1976. Madeleine Fié-Fieux se lance alors dans un travail de valorisation des œuvres de ce mentor et ami qu’elle admirait tant. Elle crée un musée privé afin de faire vivre sa mémoire et expose leurs tableaux côte à côte.

À sa mort en 1995, Madeleine Fié-Fieux lègue la totalité de sa collection au département du Finistère – 1000 tableaux d’Émile Simon et 200 de ses oeuvres personnelles, le manoir et le mobilier à une condition : le département doit ouvrir un musée public et valoriser le travail de son mentor. Elle veut laisser derrière elle un témoignage de la Bretagne telle qu’ils l’ont connue. Conformément à ses volontés testamentaires, la fondation Fié-Fieux-Émile-Simon est créée en 1998 et soutient les activités et fonctionnement du musée Émile Simon au manoir du Squividan.

Le public commence l’immersion dès l’extérieur. Des reproductions de portraits de Bretons, remplaçantes des fenêtres, l’accueillent comme une invitation à découvrir l’intérieur des lieux. Chaque année une nouvelle exposition permet de (re)découvrir le travail d’une vie. La conservation et mise en valeur du site ont été confiées au musée départemental breton de Quimper. Ces dernières années, en partenariat avec l’association Les amis du Squividan, des expositions ont été proposées dans plusieurs communes du Finistère.

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Les 211 œuvres de Madeleine Fié-Fieux issue du fonds Squividan sortent à tour de rôle à l’occasion d’expositions temporaires comme Une collection dévoilée (du 30 novembre 2019 au 26 avril 2020). 80 tableaux mis en miroir révélaient une nouvelle fois la connexion de ces deux artistes et le lien autant amical qu’artistique qu’ils ont entretenus.

Il semble impossible de dissocier l’œuvre de Madeleine Fié-Fieux de celle d’Émile Simon. Celle qui a conservé un reconnaissance éternelle envers son mentor et pour qui l’art est finalement resté un passe-temps, demeure à jamais l’élève et lui le maître.

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Madeleine Fié-Fieux, Le Poupon, 1951 © Musée départemental breton, Quimper

Géré par le Musée breton, le domaine de Squividan (Clohars-Fouesnant) a été légué au Département du Finistère par le peintre Madeleine Fié-Fieux (1897-1995) qui y accueillit l’artiste Émile Simon (1890-1976). Véritable lieu de charme, le parc et la galerie de peinture sont ouverts au public.

Manoir de Squividan
Route de Squividan
29950 Clohars-Fouesnant
Tél : 02 98 54 60 02 / 06 86 23 96 08 / Mail : selma.theron[@]finistere.fr

* L’hémoptysie désigne le fait de cracher du sang ou du mucus teinté de sang en toussant.
** Forme de pèlerinage principalement rencontrée en Bretagne.

Émile Simon naît à Rennes en 1890, dans une famille modeste, d’un père typographe et d’une mère couturière. En 1908, diplômé de l’École régionale des Beaux-arts de Rennes, il intègre l’atelier de Fernand Cormon à Paris. Il enseigne ensuite le cours supérieur de dessin et de peinture à l’École Internationale du Caire, entre 1913 et 1914.

Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, il officie en tant qu’infirmier militaire, mais ne sera jamais envoyé au front. En 1919, il est nommé professeur à l’École des Beaux-arts de Nantes, où il enseignera jusqu’en 1947. À partir de 1920, il expose régulièrement à Paris au Salon des Artistes français, où ses envois furent plusieurs fois récompensés : son talent est consacré en 1970 par la médaille d’honneur. Attaché à la peinture figurative, Émile Simon voulut s’inscrire dans la tradition classique du paysage français, marquée par l’impressionnisme. Sa manière est tantôt précise, tantôt vague, à la façon d’une esquisse. Il peignait en effet « sur le motif », sans retouche, afin de saisir la spontanéité d’un mouvement, d’une lumière ou l’expression d’un visage.

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