En 2013, la sépulture de Louise de Quengo, noble dame bretonne décédée en 1656, se révélait au monde lors de fouilles préventives de l’Inrap, réalisées en précision de travaux pour le futur centre des Congrès. Qui était-elle ? Que raconte-t-elle de la société noble de l’époque ? Cette découverte, curiosité fascinante scientifique et médiatique, fait aujourd’hui l’objet d’un livre, Louise de Quengo, une Bretonne du XVIIe siècle, publié aux éditions PUR. Celle qui fut inhumée dans l’ancien couvent des Dominicains a plus d’un secret à révéler…

Pendant 358 ans, Louise de Quengo, noble dame bretonne, a reposé sous un lieu emblématique du centre-ville de la capitale bretonne. Qui aurait cru que sous l’ancien couvent des Jacobins reposait une découverte d’exception, révélée près de quatre siècles après sa mise au tombeau ? Certainement pas l’équipe de l’Inrap. « Il faut admettre que nous n’attendions rien de la sépulture de Louise de Quengo que nous connaissions grâce à l’étude documentaire. Elle ne soulevait aucun intérêt particulier avant la fouille, parmi le millier de sépultures repérées au couvent », souligne le responsable du chantier, Gaétan Le Cloirec, qui a donné le premier coup de pelle en 2007. D’autant plus qu’aucun document ne mentionnait un cercueil en plomb…

Aux prémices du projet, il était question d’une rencontre qui rendrait compte des résultats des fouilles. Puis, l’idée d’un colloque en décembre 2017 a rapidement fait son chemin. De ces deux journées, organisées par la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine (SAHIV), l’Inrap et le musée de Bretagne, est finalement né le livre Louise de Quengo, une Bretonne du XVIIe siècle, publié aux éditions PUR.

Sous la direction de Daniel Pichot, professeur émérite d’histoire médiévale, Éric Crubézy, professeur d’anthropobiologie et directeur de laboratoires à l’université Paul Sabatier de Toulouse, et Rozenn Colleter, archéo-anthropologue à l’Inrap, une quarantaine d’auteur.rices aux spécialités diverses – médecins légistes, palynologues, muséographes, carpologues, archéologues, historiens, archivistes, juriste, etc. – rendent compte de leurs recherches et délivrent les secrets de cette découverte remarquable dans un ouvrage richement documenté et illustré.

louise de quengo

Au temps du couvent des Dominicains…

L’établissement de 8000 m2, qui constitue aujourd’hui le centre des Congrès, place Sainte-Anne, n’en est pas à sa première vie. Les multiples secrets enfermés sous terre et mis au jour lors des fouilles préventives menées par l’Inrap en précision des travaux du futur centre, entre novembre 2011 et juin 2013, racontent sans discontinuité son histoire, du 1er siècle à nos jours. La fonction religieuse des lieux ne représente qu’un quart de ce récit, mais c’est au cœur des strates de cette courte période qu’était renfermée une surprise de taille.

« Le travail des archéologues ne consiste pas seulement à retrouver la chronologie d’un lieu. Il s’intéresse aussi aux personnes qui ont vécu à cet endroit et qui l’ont fréquenté, à leur quotidien et à leur mode de vie », GaÉtan Le Cloirec.

Fondé au XIVe siècle et devenu le lieu d’inhumation de la haute société rennaise au XVIIe siècle, ce qui était autrefois le couvent des Dominicains a révélé lors du chantier de fouilles un millier de tombes. Parmi ces défunts d’un temps jadis, quatre cercueils en plomb, ainsi que quatre cardiotaphes. Objets peu étudiés et peu connus à ce jour, ces urnes en plomb en forme de cœur viennent d’une vieille tradition de la seigneurie qui remonte au Moyen-Age. Elle consistait à déposer le cœur de l’époux ou de l’épouse dans la tombe du défunt et de la défunte et inversement.

À la fin du chantier seulement, un cinquième et dernier sarcophage en plomb est découvert. À la tête du cercueil reposait un cinquième et dernier cardiotaphe avec l’inscription : « Toussaint Perrien, Chevalier de Brefeillac ». Cette mention devint le point de départ qui permit de dérouler le fil de l’histoire de celle qui fut inhumée en 1656, et de son époque : Louise de Quengo, celle qui raconte aujourd’hui « toute la vie provinciale du XVIIe siècle de la société aristocratique rennaise avec son lot de religion, de religiosité et de dévotions ».

Nul doute que la noble dame bretonne ne pensait pas être la « star » des médias au moment de sa découverte… La découverture de sa sépulture fut aussi épique que l’étonnante préservation de son corps naturellement momifié.

Une nouvelle histoire de la mort

Ébréché par un engin de terrassement au cours du démontage du mur qui la gardait prisonnière, le cercueil respirait de nouveau un oxygène dont il était privé depuis près de quatre siècles, réactivant ainsi le phénomène de décomposition. L’excavation devint alors inéluctable, sous trois ou quatre jours pour éviter une détérioration trop importante. Les archéologues découvrent alors beaucoup de vêtements ainsi qu’un habit de religieux. Et sous ce volume de textile encore souple, des mains parfaitement modifiées tenant un crucifix… « La profondeur d’enfouissement du sarcophage de Louise, environ deux mètres, et l’absence de recoupement postérieur ont permis la conservation exceptionnelle du corps de la défunte », précise Gaétan Le Cloirec.

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Descendante de la puissante famille des Bourgneuf de Cucé, la dépouille est envoyée à Toulouse pour un large éventail d’analyses médicales, expertises, imageries et prélèvements, dont certain.e.s sont encore en cours.

La qualité de conservation du corps permit de reconstruire une personne, une personnalité, et de récolter des informations qui échappent habituellement aux scientifiques en raison de la dégradation des éléments organiques, telles les plantes nécessaires à l’embaumement souvent impossibles à analyser. L’autopsie virtuelle a notamment permise une vision complète de l’ensemble du corps : les os, les tissus, les pathologies. « Louise avait des calculs rénaux assez importants », précise le docteur Fabrice Dedouit, spécialiste de l’autopsie virtuelle. Et de poursuivre : « Nous sommes dans un autre archéologie. L’analyse de tissus mous, d’organes est une grande première en archéologie ».

Louise de Quengo : femme dévote et d’affaires

« Ce n’est pas étonnant qu’une femme de sa condition, au XVIIe siècle, soit aussi engagée sur le terrain religieux. Elle est contemporaine de Louise de Marillac [aristocrate française, fondatrice avec Saint Vincent de Paul des Filles de la Charité, ndlr.], connue pour ses activités caritatives », renseigne Georges Provost, maître de conférence, université Rennes 2. En découvrant le corps de Louise de Quengo enveloppé dans son habit de religieuse, c’est d’abord la présence d’une femme discrète et pieuse qui est saisissante. Pourtant, cette apparente discrétion dans le mouvement dévot rennais du XVIIe siècle laisse rapidement place à un profil de femme laïque certes dévote, mais qui se révèlera également, au travers des documents d’archives retrouvés, femme d’affaires :

« Veuve pendant sept ans, elle avait la capacité juridique de signer des documents, de signer ses biens »,

enrichit Bruno Isbled, conservateur général du patrimoine aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Au total, vingt-trois documents seront signés de sa main, malheureusement il ne reste aucune archive privée.

Du vivant de son époux, Louise ne venait que ponctuellement à Rennes, mais après le décès de son mari, la veuve séjournait plus régulièrement dans la capitale bretonne, dans une maison rue Saint-Sauveur, en tant que locataire. Et ce jusqu’à son décès à l’âge de 65 ans, en 1656.

La dernière curiosité qu’elle laissa derrière elle, et qui reste en partie inexpliquée, fut la présence du cardiotaphe renfermant le cœur de son mari, parti sept ans plus tôt et enterré au couvent des Carmes, à Saint-Sauveur, près de Carhaix. « Les deux époux ne sont pas enterrés en même temps, mais ont choisi volontairement d’échanger leurs cœurs, un fait qui reste très rare. Certains ont voulu y voir une histoire d’amour », précise Daniel Pichot. Après tout, pourquoi pas ?

Ses homologues, Louis de Bruslon du Plessis et Thomas Craven

Au même moment, et dans des conditions similaires, le cercueil en plomb de Louis de Bruslon du Plessis fut découvert de manière fortuite et isolée, pendant les travaux de réfection des sols de l’église de Toussaint à Rennes.

Il y a aussi l’Anglais Thomas Craven, mort de la peste en 1636 et découvert dans les ruines d’un temple protestant à Saint-Maurice (Val-de-Marne), en 1986. Comme Louise, des analyses ont été faites, mais depuis, ses restes sont malheureusement conservés dans un frigo… « C’est pour cette raison que les juristes entrent également dans la boucle. Après les examens, personne, ni les Anglais ni les Français, n’a voulu payer l’inhumation », déclare Daniel Pichot.

thomas craven
Sarcophage de Thomas Craven lors de sa découverte en 1986 à Saint-Maurice

Morte sans héritier, Louise repose quant à elle à Tonquédec, dans les Côtes d’Armor, aux côtés de ses neveux. « Un dossier comme celui-ci n’est jamais clos. Pendant quelques années encore, des données peuvent être remises en cause, modifiées ou nuancées », laisse entendre Daniel Pichot. Ainsi, Louise de Quengo n’a peut-être pas fini de révéler ses secrets…

En attendant, le Musée de Bretagne envisage d’intégrer à la collection permanente un dispositif numérique pour rendre compte de cette découverte exceptionnelle. « Nous sommes en pleine réflexion sur le scénario. Les cardiotaphes seront certainement présentés, mais il faut se demander comment les magnifier pour qu’en termes de collections matérielles, ces objets nous amènent à parler du contexte, de l’environnement historique et archéologique », conclut Céline Chanas, directrice du Musée de Bretagne. « On espère une mise en place courant 2022. »

Louise de Quengo, une bretonne du XVIIe siècle, sous la direction de Rozenn Colleter, Daniel Pichot et Éric Crubézy, éditions PUR, collection Art&Société, 368 pages. Date de parution : 28/10/2021. Prix : 35 €

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