Pauvre Guylain Vignolles ! Depuis qu’il est enfant, il doit supporter son nom régulièrement transformé en quolibets en Vilain Guignol… Aussi a-t-il pris le pli de se faire discret, presque invisible et est-il devenu terne, fade… Et maintenant qu’il est adulte, sa vie n’est pas très riante. À 36 ans, il vit seul, ne parle qu’à « Rouget de Lisle », son poisson rouge (cinquième du nom !), a deux seuls amis qui sont des hommes âgés, et surtout déteste son boulot qui le hante même la nuit.

Il faut dire que la machine (surnommée « la chose ») qu’il est chargé de mettre en route et de nettoyer chaque jour est une abomination. Elle est dangereuse et semble parfois être douée de sa propre vie, d’une âme maléfique faite pour blesser ou tuer. Car c’est ce qu’elle fait tous les jours : elle broie des tonnes et des tonnes de papier, de livres qui finissent entre ses mâchoires de métal, qu’elle recrache en une boue immonde qui ira à son tour nourrir la chaine du livre… Un pilon glouton et vivant à la faim insatiable.

Le liseur du 6h27 Jean-Paul Didierlaurent Alors pour s’évader, Guylain Vignolles lit. Dans le RER de 6h27 qui le mène à son travail détesté tous les matins, il extrait quelques pages de sa sacoche et lit à voix haute des extraits de romans, d’essais, de contes, tout ce qu’il a pu sauver de « la chose »… Une page après l’autre, il égrène les mots, et les voyageurs ont pris l’habitude de cet homme étrange qui leur fait la lecture, et y ont pris goût !

À tel point qu’un jour, deux vieilles sœurs l’abordent sur le quai du RER et lui demandent timidement s’il pourrait venir chez elles leur lire quelques rextraits. Sur un coup de tête, il accepte et se retrouvera dans une position qu’il n’avait pas imaginée et qui l’obligera à sortir de lui-même. Sa lecture plaira même tellement à son public qu’on lui demandera de continuer à venir lire chaque semaine, et qu’il entrainera dans cette aventure son ami Yvon Grimbert, le garde-barrière de l’usine qui ne parle ou, plutôt, ne déclame qu’en alexandrins, connaissant par cœur tout le répertoire du théâtre classique.

La découverte d’une clé USB tombée de son strapontin de RER (toujours le même) va le perturber également au plus haut point et lui fait entamer une véritable enquête pour découvrir qui est l’auteur des textes magnifiques trouvés sur la clé, qu’il lit et relit avec passion. L’auteur des textes trouvés sur la clé USB y raconte sa vie de dame pipi d’un grand centre commercial et des anecdotes tirées de son passé aussi bien que de sa profession. Et notre homme s’éprend de ses mots et rêve d’un jour pouvoir la rencontrer… Il sera encouragé par ses vieux amis qui l’aident à garder espoir, tout comme il est garant de son côté du moral de son ami Guiseppe à qui « la chose » a broyé les deux jambes et qui n’a de cesse de les retrouver, tout du moins ce qu’il en reste…

Le liseur de 6h27 est une magnifique histoire, un peu naïve, extrêmement touchante, hors du temps comme un conte, mais par certains aspects terriblement réelle. La solitude, un monde du travail honni, car totalement déshumanisé, des supérieurs et collèges aussi bêtes que méchants, une existence étriquée : la vie n’y est pas très rose et pourtant on y trouve aussi beaucoup d’espoir, une tendresse envers les choses et les gens, surtout les humbles, et surtout un amour infini des livres et des mots, ce qui ne pourra que plaire aux lecteurs !

Ce premier roman de Jean-Paul Didierlaurent est vraiment original. Une pépite à lire d’urgence. Dans le RER ou ailleurs…

Jean-Paul Didierlaurent Le liseur du 6h27, Au Diable Vauvert, 192 p., 15 euros. Sortie le 13 mai 2014.

 

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