Ikéa, nous y sommes tous allés, une fois ou l’autre, afin d’investir dans un canapé, un bureau ou une étagère. Mais saviez-vous que le célèbre magasin vendait aussi des lits à clous (Kisifrötsipik) ? C’est ce qu’est venu chercher Ajatashatru Lavash Patel, tout exprès d’Inde, après s’être fait offrir le voyage par les habitants de son petit village. Il faut dire que cet homme n’est pas n’importe qui, non, c’est un fakir renommé dont les talents ne sont plus à prouver.

Et aussi un sacré bonhomme qui cache bien son jeu, car le principal talent de cet hindou très moustachu et arborant de grands anneaux aux oreilles est surtout de faire prendre des vessies pour des lanternes à ceux qui l’admirent. Il gobe des clous en sucre, avale de faux sabres rétractables, dort sur un bon vrai lit douillet comme tout le monde et arnaque son entourage depuis des années. Bon, bien sûr, il n’a pas eu trop le choix et cela fut même son seul moyen de sortir de la misère et de l’esclavage et d’oublier sa jeunesse difficile, mais il pousse jusqu’au bout son art de mener le monde en bateau avec ce voyage jusque dans la banlieue parisienne.

L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire ikea Romain PuertolasNotre indien arnaqueur commence par gruger le chauffeur de taxi qui le conduit de l’aéroport au magasin Ikéa, et qui l’arnaque lui-même en choisissant le site le plus éloigné possible… Il se retrouve dans ce temple du kit, abasourdi, estomaqué, bluffé par les présentations des pièces meublées, mais aussi un peu paumé, bien qu’il suive sagement les pas imprimés sur le sol. Il est si impressionné, et également si fauché, qu’il décide d’y passer la nuit : il a tout sur place : un lit, un salon confortable avec télévision en état de marche, une cuisine et même de la nourriture à la boutique près de l’entrée ! Il y fera d’ailleurs la rencontre de Marie Rivière, une femme qui l’invite à dîner après un judicieux stratagème… Quel filou, cet Ajatashatru Lavash Patel !

Bref, notre homme se laisse enfermer dans le magasin Ikéa et s’y installe, plus à l’aise que dans le plus luxueux des hôtels, qu’il n’aurait de toute façon pas pu s’offrir. Mais il doit soudain se cacher, quand le directeur du magasin et des ouvriers arrivent pour modifier l’agencement du mobilier et empaqueter certains meubles qui doivent être livrés dans une autre succursale de la marque. Se cacher, vite, mais où ? Et voilà que notre olibrius se retrouve… dans une armoire Ikéa !

Vous n’en saurez pas plus à moins de lire cette histoire de Romain Puertolas. si ce n’est que notre ami va faire quasiment le tour de l’Europe, et même bien plus loin et rencontrer tout un tas de gens, dont de nombreux immigrés clandestins venus du Soudan ou d’autres pays et qui tentent de passer en Angleterre, et même Sophie Morceaux (sic !). Il va aussi se faire poursuivre de surcroit par un taximan très en colère (eh bien oui, quoi, on n’arnaque pas un gitan sans risquer une terrible vengeance !), par des tas de policiers, bref l’action déboule à toute vitesse dans ce roman et vous n’aurez pas une seconde pour vous ennuyer.

Notre aventurier forcé emprunte de même tous les moyens de transport imaginables, ou presque ! Avion, voiture, camion, montgolfière, malle-cabine, et armoire, rien ne l’arrête pour enfin accomplir le but de son voyage : acheter son lit à clous et le faire ramener chez lui en Inde ! Sauf que les circonstances feront que ce but tant rêvé ne deviendra peut-être finalement plus si prioritaire que cela…

Ce roman est totalement abracadabrant, mais un vrai délice d’humour, avec moult jeux de mots, clins d’oeils, rappels qui font sourire et souvent même éclater de rire. Si vous n’avez toujours pas réussi à prononcer le nom totalement imprononçable de notre héros, l’auteur vous aide en donnant des traductions hilarantes : « J’attache ta charrue, la vache », « achète un chat roux », de même que pour d’autres mots indiens, traduits en phonétique tout à fait spéciale.

Si ce roman de Romain Puertolas est très drôle, il a aussi un fond plus sérieux, et vraiment intéressant. En effet, l’auteur, au travers des voyages non programmés de son indien, va le confronter au monde, et notamment au sujet de l’immigration. Entre le pays de cocagne rêvé et les galères quotidiennes, les aberrations des politiques européennes en la matière, les conditions sanitaires et humaines difficilement supportables, Ajatashatru découvre une facette de la vie occidentale qui n’est pas celle des magazines et des agences de voyages. Il s’ouvre au monde et aux autres, et se met même à réfléchir sur sa vie et son activité de fakir et ses nombreuses arnaques pour entuber son entourage. Bref, c’est aussi une sorte de voyage initiatique qui transformera notre homme.

Les personnages sont tous à croquer, souvent caricaturaux, hauts en couleur, mais on s’en régale, car malgré l’aspect amusant de leur caractère ou leurs turpitudes, ils ont tous des personnalités complexes et attachantes, souvent généreuses, parfois colériques, plutôt instables, un peu paumées et très déjantées !

Alors oui, ce voyage est vraiment extraordinaire, et ce roman une pépite de drôlerie, totalement loufoque. Voilà un cadeau tout trouvé pour Noël !

Romain Puértolas, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IkeaLe Dilettante – Août 2013 – 256 pages – 19 €

Extrait

Le premier mot que prononça l’Indien Ajatashatru Lavash Patel en arrivant en France fut un mot suédois. Un comble !Ikea.Voilà ce qu’il prononça à mi-voix.Cela dit, il referma la porte de la vieille Mercedes rouge et patienta, les mains posées comme un enfant sage sur ses genoux soyeux.Le conducteur de taxi, qui n’était pas sûr d’avoir bien entendu, se retourna vers son client, ce qui eut pour effet de faire craquer les petites billes en bois de son couvre-siège.Il vit sur la banquette arrière de son véhicule un homme d’âge moyen, grand, sec et noueux comme un arbre, le visage mat et barré d’une gigantesque moustache. De petits trous, séquelles d’une acné virulente, parsemaient ses joues creuses. Il avait plusieurs anneaux dans les oreilles et sur les lèvres, comme s’il avait voulu refermer tout cela après usage à la manière d’une fermeture Éclair. Oh, le joli système ! pensa Gustave Palourde, qui vit là un fantastique remède contre les papotages incessants de sa femme.Le costume en soie grise et brillante de l’homme, sa cravate rouge, qu’il n’avait pas pris la peine de nouer mais d’épingler, et sa chemise blanche, le tout horriblement froissé, témoignaient de nombreuses heures d’avion. Mais étrangement, il n’avait pas de bagage.Soit il est hindou, soit il a un sacré traumatisme crânien, pensa le chauffeur en voyant le gros turban blanc qui entourait la tête de son client. Mais son visage mat et barré d’une gigantesque moustache le faisait plutôt pencher pour un hindou.- Ikea ?- Ikea, répéta l’Indien en laissant traîner la dernière voyelle.- Lequel ? Heu… What Ikea ? bafouilla Gustave qui se sentait aussi à l’aise en anglais qu’un chien sur une patinoire.Son passager haussa les épaules comme pour dire qu’il s’en fichait. Djeustikea, répéta-t-il, dontmatazeoanezatbetasiutyayazeparijan. C’est à peu près ce qu’entendit le conducteur, une suite confuse de gazouillis palataux incompréhensibles. Mais gazouillis palataux ou pas, en trente ans de métier passés chez Taxis Gitans, c’était bien la première fois qu’un client fraîchement débarqué du terminal 2C de l’aéroport Charles-de-Gaulle lui demandait de le conduire dans un magasin de meubles. Car il n’avait pas souvenir qu’Ikea ait récemment ouvert une chaîne d’hôtels à son nom.Gustave en avait eu des requêtes insolites, mais celle-là décrochait le coquetier. Si ce gars-là venait vraiment d’Inde, alors il avait payé une petite fortune et passé huit heures dans un avion, tout cela dans le seul but de venir acheter des étagères Billy ou un fauteuil Poäng. Chapeau !

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