Dur parfois de passer les fêtes de Noël sans coup de gueule ou prise de bec ? Cette année, vous avez juré (comme la première des premières résolutions) de ne plus faire la même erreur et pour la fois prochaine de vous blinder pour cette attaque ? N’hésitez plus et suivez donc les conseils du maître en la matière, le docteur et expert en psyché humaine Théophraste Barbebulle.

 

Cher père Noël,

Je vous le confesse, vous nommer père aurait tendance à me mettre légèrement mal à l’aise. J’ai cette impression passablement désagréable de devoir vous vouer respect et obéissance, au mieux de chercher une ressemblance physique et morale avec vous. La pensée de porter une longue barbe blanche, d’afficher ma myopie à travers une grande partie du monde et de me remettre à porter de la fonte pour réussir à soulever votre hotte me laisse, croyez-le, incroyablement perplexe. Roux, de surcroît, de nature, les vêtements rouges jurent horriblement avec ma chevelure. En ces temps de crise économique, de précarité, j’ai des prétentions de jeune révolutionnaire quant à la refonte complète de la valeur travail. Croyez bien que l’idée de travailler toute l’année en vue de distribuer en une nuit 717 millions de cadeaux, sans compter le service après-vente, contrarie un tantinet mes velléités anticapitalistes.

lettre ouverte noelJe n’ai en somme aucune prédisposition à prendre votre place. Ma mère était paternatalophobe – une peur dont vous êtes le sinistre objet – et j’ai moi-même en horreur tout ce qui peu ou prou ressemble à un cervidé. J’exècre les lutins et je digère mal les bûches glacées. Arrivé à cette période de ma vie, que mon psychologue en chef nomme l’adulescence, Noël ne représente pour moi qu’un triste rituel, au mieux nostalgique, au pire déprimant. Trop vieux pour croire encore en vous, trop jeune pour être le père ou l’oncle, émus, pour ne pas dire larmoyants, du bonheur innocent de leur enfant, trop pauvre qui plus est pour accéder au suprême plaisir d’offrir, trop geignard hélas pour me faire inviter par des amis, votre petite sauterie, je le crains, me laisse de marbre.

Face à une telle lettre de démotivation, vous l’aurez compris, je ne cherche pas à me faire embaucher dans votre multinationale. Non, ma frustration me conduit à vous écrire pour critiquer sournoisement, mais lucidement, votre entreprise hivernale. Voyez-vous, à Noël, chacun joue proprement son rôle. Les enfants trépignent puis recouvrent le salon de papiers. Et les adultes gèrent la crise à leur manière. Entre la mère stressée (stressante), le père lacrymal, le grand frère en pleine crise de Foi et qui menace de colporter à la petite sœur votre inexistence, votre attente suscite des émotions fortes. Sans parler de ce grand-oncle à l’alcoolisme plus immonde que mondain, qui chaque année embarrasse tout le monde par son imitation ratée de Serge Lama. Pour ma part, j’ai choisi un rôle à la mesure de ma haine : le critique blasé, pince-sans-rire, froid, qui chaque Noël depuis sa première poussée acnéique amène sur la table décorée l’éternelle controverse du petit papa Noël.

lettre ouverte noelChaque réveillon sa composition. Je m’invente le 23 décembre des Chemins de Damas sur la route du retour. Je me fais chrétien. Je réclame la messe de minuit. Je dis, en joignant les mains, détruisons mes frères les idoles païennes. Je dis, célébrons Jésus. Je me crée des guerres de religion. J’écris une bubulle papale : contre la connivence entre protestantisme et capitalisme. Je me fais communiste. Je me fais altermondialiste. Je conchie le Stars and Stripes. Je laisse pousser dès le mois de septembre ce collier de barbe pour déposer sous le sapin ma diatribe virulente d’anarcho-syndicaliste enfiévré. Je me prends pour Célestin Baptistin Freinet. Je m’insurge, l’enfant ne doit pas être infantilisé, ni l’adulte adulé, et il est inconcevable qu’à notre époque nous tolérions le mensonge. Je m’écrie, Révolution ! J’attends d’un père Noël qu’il soit noir enfin. J’enjoins la mère Noël à s’émanciper, les lutins à réclamer des congés payés. Bref, vous l’aurez compris, dans ce jeu de société, mon rôle à moi est celui du trouble-fête, de l’indécrottable rabat-joie.

Et cette année, monsieur Noël, je sors clairement l’artillerie lourde pour pourrir l’ambiance de votre petite liturgie impie. Je ne parlerai ni de votre dévoiement à Coca-Cola entreprise. Je ne citerai pas entre les huîtres et la dinde les vindictes de Philippe Muray :

C’est une inondation, Noël, et c’est un éboulement. Les guirlandes sont des muscles démesurés qui s’enroulent et gonflent pour étouffer le peu qui restait de la réalité. Les lumières clignotantes rampent vers les immeubles et les escaladent pour les aveugler. Des éboulis de boules hétéroclites deviennent des giboulées de grêlons impitoyables. Les vitrines se couvrent de mille chiures d’étoiles. Des étages sans fin de fausse joie pétillante s’empilent au-dessus des rues. […]. Dans les centres-villes meurtris de sonorisations, il ne reste plus qu’à marcher courbé entre des magasins fardés de neige empoisonnée et remplis de post-humains qui se ressemblent tous parce qu’ils sont habités de la même peur qu’ils camouflent en allégresse.

Non, cette année, mister Claus, j’axerai ma critique sur la pire des armes : les statistiques. Comme à mon habitude, la stratégie au cours du repas consistera à alterner silence glacial et assertions répétitives. S’entend : dès que l’un de mes proches parents parlera de la pluie, du beau temps, ou de la joie que vous procurez chaque année le 25 à nos enfants, eh bien je balancerai une statistique (rédigée au préalable sur un pense-bête dans la doublure de mon veston).

L’oncle Georges arrive bruyamment dans le vestibule en criant un excellent joyeux Noël et bananier ? Vous lui rétorquez qu’environ 6,5 millions de sapins sont vendus en France chaque année. Profitez-en pour rappeler à l’assemblée familiale que le sapin sert aussi à fabriquer les cercueils.

La tante Germaine vous dispense une leçon de philosophie entre les œufs de lump et les crevettes en marmottant un traditionnel et maritime tant qu’on a la santé, hein ? Répondez-lui que selon une étude récente du Times, on meurt plus et on se sépare plus à Noël. C’est, comment dire ? Prouvé scientifiquement. Faites en sorte que Germain, son mari, l’entende également.

Au moment de la distribution des cadeaux, votre mère s’écrie avec une hystérie feinte qu’évidemment, fallait pas ? Pas de panique. Calmez son ivresse naissante par une bonne grosse statistique désacralisante. On mange l’équivalent de 41 dindes toutes les minutes le mois de décembre en France. Ça non plus, fallait pas.

lettre ouverte noel« Tu reprendras bien une part de Chrischtstolle ? » Dit votre grand-mère alsacienne pour la quatrième fois. Ne jamais, au grand jamais, faire dans la fausse pudeur. Détournez la conversation d’un air docte et légèrement méprisant en lui affirmant qu’environ 300 millions de bouteilles de Champagne sont vendues chaque année dans le monde. Cela assiéra définitivement votre culture et vous permettra en outre de glisser plusieurs sous-entendus mesquins : grand-mère, vous êtes ivre ! Et vous pourriez tout de même célébrer Noël autrement qu’avec du Kritter.

Voilà donc pour vous et votre gueuleton, père Noël. L’année prochaine, quand vous descendrez du ciel, avec vos jouets par milliers, vous connaîtrez la chanson. Pas de contrat aidé ou première embauche pour moi. De toute façon, j’ai en horreur la neige, l’altitude et mon parcours professionnel ne m’a pas formé au ramonage.

Au plaisir, monsieur Noël, de ne pas être des vôtres.

Votre inaliénable et acariâtre non-serviteur,

TB.

 

Thibault

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