Un auteur a parfois la sensation d’être Dieu manipulant la vie de ses personnages. La plupart du temps, le lecteur est spectateur. Parfois, il imagine, interprète, ressent différemment mais rarement il n’intervient dans le destin du personnage principal. Pierre Raufast offre une expérience unique de construire les possibles chemins d’une vie. Un peu à la manière d’un jeu vidéo. Same player, play again !
Lorenzo est le fils d’un professeur d’histoire-géographie né à Toulon et d’une enseignante d’espagnol d’origine madrilène. Il est le fruit d’une rencontre mille fois revisitée. Une rencontre, un amour, une naissance. Qu’importe les détails ! Mais une vie ne peut se résumer à quelques points de passage quand tant de petites choses la pimentent.
« Les rencontres annexes, les petites réussites sans lendemain, les voies sans issue, les infimes détails, les aléas sans conséquences » sont le sel de la vie, les opportunités de bifurquer vers une voie non banalisée. Telle une boule de flipper, le personnage est ballotté par les aimants du plateau. « Nous vivons dans une marmite bouillonnante et nos vies ne sont qu’une succession de décisions, d’évènements subis, de probabilités de rencontres, de coïncidences, de conséquences d’évènements passés qui se croisent et s’entrecroisent au gré de nos interactions accidentelles. »
Vous connaissez cette histoire de l’homme qui aperçoit la faucheuse, fuit au bout du monde et se retrouve finalement là où il devait la rencontrer ? Y a-t-il un destin ou sommes-nous ce que nous faisons ? Lorenzo commence sa vie d’adulte par un non-choix. Doué pour les études, mais incapable de choisir sa carrière, il opte pour une classe préparatoire. Les opportunités le conduiront vers une école de commerce ou une école d’ingénieurs. Il quitterait la vallée de Chantebrie pour la région parisienne. Il pourrait choisir un stage à l’étranger ou vivre à Paris avec sa petite amie ou encore faire de l’humanitaire.
Quel vol de papillon le conduira au Mexique plutôt qu’à Lyon ou dans sa vallée ? Au gré de cette lecture déroutante, hors du commun, Pierre Raufast nous plonge dans un labyrinthe où l’on peut tourner en rond, revenir en arrière, corriger la toile. On s’amuse des aventures extravagantes de Lorenzo, effaroucheur sur un aéroport mexicain, de son périple dans les églises pour reconstituer un voile saint, de son cambriolage d’une galerie d’art pour plaire à Marie, une spécialité de l’histoire de l’art ou de ses piratages informatiques involontaires.
Au-delà de ces aventures pittoresques, le plaisir de ce roman réside dans la construction et la réflexion qu’elle sous-tend. Peut-on influer sur sa vie ou n’est-ce qu’une illusion ? Et puis, comme dans tous les romans de Pierre Raufast, le charme tient aux personnages. Hédonistes, aventuriers, atypiques, ils nous émeuvent et nous font sourire. Que de belles rencontres avec Marie qui aime se mettre en scène à la façon de portraits peints par des artistes du XIXe siècle, l’équipe sauvage des effaroucheurs mexicains ou les détenus de la prison de Chantebrie.
On retrouve même avec plaisir, au gré des chemins quelques personnages d’autres romans de l’auteur. Car Pierre Raufast vit avec cette famille de personnages de la vallée de Chantebrie, ces tendres marginaux qui illuminent ses romans. Tout s’imbrique dans le monde de l’écriture. N’hésitez pas à vous perdre sur les possibles chemins d’une vie et parfois à vous égarer volontairement, « le nez au vent, la démarche badine, comme l’on flâne dans les rues piétonnes un premier samedi de mai. »
Les Embrouillaminis de Pierre Raufast paru Aux forges de Vulcain, 351 pages (ISBN : 9782373051063). 20 €. Parution : 21/05/2021.
Pierre Raufast est né à Marseille en 1973 et vit aujourd’hui à Clermont-Ferrand. Quand il n’écrit pas, il travaille dans la cybersécurité. Depuis La fractale des raviolis (Alma, 2014), il se plaît à jouer avec les structures narratives. Les embrouillaminis est son sixième roman.
