Dans Les Corps inutiles Delphine Bertholon transcrit l’histoire sensible d’un mal indicible qu’on enferme dans sa chair, dans son corps. Un virus muet et invisible qui finit toujours, malgré tout, malgré les années, par abîmer son hôte.

 

les corps inutiles delphin bertholon histoire poupee casseeDelphine Bertholon, scénariste et écrivaine française, est l’auteur de Twist, L’Effet Larsen, du très remarqué Grâce et, plus récemment, du Soleil à mes pieds, tous parus chez Lattès. Ce nouveau roman confirme son talent.

Clémence, cheveux longs roux et yeux vairons, a quinze ans et ce soir, exceptionnellement, elle sort rejoindre ses amis pour fêter la fin du collège. Dans une rue au nom d’oiseau, un homme blond aux « yeux pâles, délavés, opaques et froids » l’agresse et tente de la violer.

Le corps servait à rire, à courir, à danser. À manger, à nager, à vivre. Mais le corps maintenant avait un poids, bien diffèrent de celui de la balance. Le corps, une fois souillé, encombrait.

Clémence refuse d’en parler. « Allons, Clémence, ce n’est pas si grave ! Ce n’était même pas un viol. » Inutile de raconter aux parents, « elle verrait dans leurs yeux que tout était sa faute. »

Enfermer le mal en soi crée des traumatismes du corps. Clémence est désormais insensible. Lorsqu’elle décide que plus personne ne lui prendra rien et qu’elle préfère se donner, elle perçoit son insensibilité. « Vide, absente, incolore, inodore. »

Quand on ne sent pas physiquement la chaleur de l’autre, aimer est impossible.

les corps inutiles delphine bertholon histoire poupee casseeMaquilleuse dans le cinéma, elle continue ses nombreuses aventures d’une nuit, jusqu’à Tristan. Lorsqu’il la quitte, Clémence redescend dans le Sud et travaille comme maquilleuse de poupées sexuelles, des corps inutiles pour des hommes trop seuls. La solitude, elle connaît. Tous les 29 du mois, elle revêt sa robe en lamé, et part en chasse. Ses rencontres ne sont que « des baises d’un soir réglées en fin de mois comme on le fait des factures. » Elle n’est elle aussi qu’un corps insensible, grimé qu’elle offre aux hommes solitaires.

Les récits alternent entre la Clémence de l’adolescence, et celle qui est devenue une femme de trente ans. D’un côté, il y a Damien, un flic qui l’a sauvée d’une mauvaise passe, qui a compris son histoire et qui lui a promis de retrouver l’homme qui a ruiné sa vie. De l’autre, il y a Christophe, l’idiot de village, le seul bel homme qui l’attendrit.

Entre eux, il y a ses parents qui « veulent tout contrôler mais… ne remarquent rien » et sa sœur Suzanne, celle qui réussit, va faire un beau mariage et qu’elle aime profondément.

Y a-t-il encore quelqu’un dans l’enveloppe de Clémence ? Qui pourra lui rendre les sensations corporelles ? Tel Pinocchio, y aura-t-il un jour un Geppetto qui pourra donner vie à son corps de bois ?

Delphine Bertholon construit un roman sensible qui décrit les errements psychiques et physiques d’une jeune femme traumatisée par un acte indicible. Le récit se révèle aussi essentiel sur la nécessité du témoignage, tant pour la libération du corps meurtri que pour la punition et la neutralisation du coupable.

Toutefois, l’auteur ne tombe jamais dans le jugement ou le voyeurisme. Elle parvient avec brio à nous émouvoir du malaise de Clémence, à nous faire espérer qu’au contact des personnes bienveillantes rencontrées, la jeune femme retrouvera enfin le bonheur. Sensations à fleur de peau, analyse des perceptions, personnages sensibles et attachants, le corps du lecteur, lui, ne peut rester inerte face à ce récit.

Les corps inutiles Delphine Bertholon JC Lattès, 2015, 300 pages, 19€

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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