Après avoir façonné les statues de marbre avec Michel-Ange dans Pietra Viva, dans Amours Léonor de Recondo dévoile le corps des femmes du début du XXe siècle. Gracieux et touchant…

 

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Victoire, jeune femme mince, corsetée dans ses belles robes d’époque, n’a jamais apprécié les assauts de son mari qu’elle nomme « des enchevêtrements immondes ». Anselme, habitué depuis sa jeunesse à utiliser le corps des bonnes en lieu et place des prostituées, se réfugie dans la chambre de Céleste, une très jeune femme de chambre. Là, sur le lit en fer grinçant, il saccage le corps de cette jeune fille qui, pendant ce sale temps, se réfugie en pensées dans la clairière de son enfance.

Nous sommes en 1908, en Touraine, dans la belle maison du notaire Anselme de Boisvaillant. Cinq ans plus tôt, Victoire, jeune fille d’une famille nombreuse s’est retrouvée mariée par sa mère à Anselme, alors jeune veuf cherchant une seconde épouse pour s’assurer une descendance.

Comme dans Madame Bovary, dont elle apprécie la lecture, Victoire déchante vite à la suite de ce mariage convenu.

Je suis quoi ? Une chose dont on a réussi à se délester en se donnant bonne conscience ? On m’a dit : « Souris, aie des enfants ! » Rien d’autre. Et, tu vois, je n’ai pas réussi. Sans toi, rien. Ni le sourire ni Adrien. Pourquoi nous a-t-on tant menti durant notre enfance ? Sur la vie conjugale, sur tout ce qui est censé faire le bonheur d’une femme ?

Lorsque Céleste se retrouve enceinte, ce corps qui s’arrondit devient pour Victoire une révélation.

 Pendant très longtemps, elle n’avait eu qu’une image fragmentée d’elle-même, une mosaïque avec en bruit de fond la rengaine maternelle qui lui disait que le corps était sans importance, et que l’on n’en faisait bon usage que lorsqu’on était enceinte. Mise à part cette mosaïque maladroitement assemblée dans son esprit, elle n’avait jamais vu personne d’autre nu. Sa mère jamais, les bonnes non plus. Ce n’est qu’après son mariage, et lorsqu’enfin elle avait pu exiger un miroir en pied dans sa chambre, qu’elle s’était vue en entier. Avec pudeur, elle avait d’abord écarté les pans de sa robe de chambre en soie rose, puis, dans un élan soudain, elle avait tout enlevé.

Victoire, maigre et sans formes, surprend le corps nu, rond et sensuel de Céleste. Lentement, cette vision va lui permettre de s’émanciper. Tout d’abord en lui donnant cet enfant qu’elle-même ne peut avoir, mais, surtout, en découvrant le langage de la peau, que Céleste et son fils Adrien parlent si bien.

« Les femmes trouvent leur accomplissement en donnant la vie », mais Victoire va s’émanciper en s’appropriant la maternité de Céleste.

L’abandon du corset qui jusqu’alors entravait son corps est une belle image de la prise de conscience de Victoire. La révélation du corps lui donne aussi cette liberté d’âme et elle ira bien au-delà des convenances de l’époque en découvrant les plaisirs charnels avec la jeune Céleste, apprenant à chérir ce corps qu’elle croyait inutile.

Léonor de Recondo
Léonor de Recondo

Léonor de Recondo, en grande musicienne, nous fait vibrer en nous plongeant dans cette époque et ce lieu de province qu’elle s’est parfaitement appropriés. Mais elle fait de cette histoire une ode intemporelle au corps féminin. Il y a chez cette auteure quelque chose de profond tant dans les descriptions que dans les échanges entre les personnages. Le rythme est autant dans les accords de piano de Victoire que dans les caresses des deux femmes. La sensibilité se glisse dans les échanges entre Pierre, le cocher sourd et muet depuis la guerre et Anselme, en manque de figure paternelle, mais aussi entre Huguette, au service d’Anselme depuis sa naissance et la jeune Céleste, naïve et fervente adoratrice de la Vierge Marie.

Une belle peinture de l’époque sous le rythme, l’émotion et la puissance d’une auteure talentueuse.

Amours Leonor de Recondo publié chez Sabine Wespieser en janvier 2015, 280 p., 21 €

Également disponible en format epub et pdf au prix de 15,99 €

Léonor de Récondo, née en 1976, est violoniste.En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait. Chez Sabine Wespieser éditeur, elle publie en 2012 Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne. Pietra viva (Sabine Wespieser éditeur, 2013), plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange, rencontre une très bonne réception critique et commerciale.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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