Léo Henry revient avec des contes inédits de la ville fictive d’Yirminadingrad qu’il a créée avec Jacques Mucchielli. Après les recueils Yama Loka Terminus et Tadjélé qui regroupaient des nouvelles tournant toutes autour de l’histoire imaginaire d’Yrminadingrad, c’est un nouveau tome intitulé Adar – Retour à Yirminadingrad qui se prépare sous l’égide des éditions Dystopia. Pour patienter, Léo Henry a réservé à Unidivers un entretien inédit.

Cela fait plus de dix ans que Léo Henry promène sa plume dans le milieu de la SF francophone. Un roman publié en 2011 par la maison d’édition indépendante La Volte, Rouge gueule de bois, et surtout un grand nombre de nouvelles. Entretien avec un amoureux de la forme courte qui a créé le concept de « nouvelle par mail » ! Inscrivez-vous et vous recevez une nouvelle par mois jusqu’en 2023. Ce touche-à-tout des mots est l’un des auteurs français à suivre et à lire. En outre son deuxième roman dont le thème central est l’inclassable sainte  Hildegarde de Bingen,  est en cours d’achèvement et devrait voir le jour prochainement !

Unidivers : Peut-on dire que le jeu de rôle vous a mis le pied à l’étrier en ce qui concerne l’écriture ?…

léo henry
Léo Henry

Léo Henry : On peut ! Se mettre à écrire, je pense, n’est facile pour personne, même avec un background socioculturel assez idéal. La littérature pèse d’un tel poids symbolique, en France, qu’il est super difficile pour qui que ce soit de se lancer là-dedans tête baissée, en mode « je serai Chateaubriand ou rien ». J’y suis venu un peu en crabe, et écrire du jeu de rôle a été une première étape importante. À l’adolescence, ça a été ma principale activité d’écriture. J’ai bricolé des fanzines, j’ai participé à ceux de camarades qui sont devenus des copains. Et puis, sur la fin, on a commencé à bosser tous ensemble en mode pro. C’était la même chose que le fanzinat, sauf qu’on était parfois un peu payés, et que ce qu’on écrivait était distribué en boutique. J’ai arrêté d’écrire du jeu de rôle à peu près en même temps que j’ai cessé d’y jouer. C’est un peu nul, mais comme pas mal de vieux joueurs c’est la dispersion de ma table et le manque de temps qui ont gagné. En même temps, on m’a proposé d’écrire un scénar Cthulhu pour une convention cet été et, si j’arrive à trouver le temps, j’ai une idée qui me botterait bien d’exploiter.

léo henryUnidivers : Vous rencontrez Jacques Mucchielli via le jeu de rôle, pouvez-vous nous dire comment est né Yirminadingrad et son univers ?

Léo Henry : Jacques fait partie des gens que j’ai rencontrés via le fanzinat. Il était parisien quand moi j’étais strasbourgeois, il tenait la moitié de la rédac de Rôllez Jeunesse, et on s’est croisés une fois ou deux, je crois, au festival de Parthenay. Au départ, j’étais plus pote avec d’autres fanzineux de son entourage et au tournant des années 2000 j’ai rejoint leur petit groupe pour travailler officiellement sur la gamme In Nomine Satanis. Jacques et moi étions ceux qui avaient le plus de temps à y consacrer et on a commencé à beaucoup bosser ensemble. On est devenus très amis. C’était une camaraderie basée sur le boulot, le désir de continuer à bricoler ensemble. Quand je suis parti vivre au Brésil, on a mis au point un protocole d’écriture assez sommaire et une série de contraintes pour continuer à produire des textes en commun, alimenter cette amitié. On a décidé d’un lieu où placer nos fictions, choisi l’Europe de l’Est, inventé un nom imprononçable.

Et puis je suis parti, charge à chacun de nous d’écrire des histoires qui se déroulent dans ce lieu, et de la poster à l’autre le 21 de chaque mois. Yirminadingrad est née comme ça, mois après mois, en 2005 et 2006. Vers le printemps, on s’est dit qu’on irait jusqu’à 21 nouvelles et que ça bouclerait un livre. On a écrit le dernier texte pendant l’été, on a relu, travaillé, coupé, monté, et puis on a proposé Yama Loka terminus à l’éditeur. Il a été publié en 2008 et a été notre porte d’entrée dans le milieu de la SF. Jacques a commencé à beaucoup traîner à la librairie Scylla, Norbert Merjagnan est venu nous voir à la dédicace et nous a rapproché de la maison d’édition indépendante La Volte, Alain Damasio a aimé le livre et nous a invité à bosser sur son jeu vidéo Remember Me où on a rencontré Stéphane Beauverger.
C’est très étrange, maintenant que Jacques est mort, de réaliser que l’endroit où je me trouve dans la SF française est très lié à ce bouquin, dont le seul ressort conscient était de maintenir vivant notre lien à tous deux.

Unidivers : Vous semblez avoir une préférencebifrost_leo-henry_revue-sf pour la forme courte, ou bien est-ce un hasard ?

Léo Henry : Pas un hasard, non. J’ai toujours aimé la nouvelle comme lecteur. Depuis tout petit.
En règle générale, j’aime le court, le ramassé, le tenu. Les choses qu’on peut mettre dans un coin de sa tête et ressortir plus tard pour y ruminer. Les belles formules, les dialogues qui pètent dans les films américains, les chansons bien balancées, les blagues. Ce sont des formes du langage que j’aime particulièrement, parce qu’elles atteignent une sorte de perfection en terme de design. C’est beaucoup plus difficile à faire, disons, avec un roman russe du XIXe (et aussi beaucoup moins utile).

Après, en tant qu’écrivain, il y a aussi le temps qui m’est imparti. Plus ça va, plus j’ai envie d’écrire des choses différentes. La nouvelle est parfaite pour ça : elle permet d’aller au plus vite, de raconter l’histoire, de passer à la suivante. On peut expérimenter sur la forme, sur les voix. On est plus libre. Et puis, à nouveau en tant que lecteur, la nouvelle se relit. J’ai pas beaucoup relu de romans dans ma vie, mais il y a plein de nouvelles que je redécouvre tous les cinq ou dix ans. C’est aussi très intrigant, ce qu’on garde de ce qu’on a lu, ce qu’on oublie, ce qu’on réinterprète. Ça laisse aussi entrevoir la fragilité de nos jugements littéraires.

YirminadingradUnidivers : L’année dernière vous étiez en résidence à la librairie Charybde, pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

Léo Henry : Écrire est depuis un petit moment mon activité principale, et je rumine pas mal autour de ça : le geste d’écriture, les conditions matérielles de production, les violences symboliques, l’obsession du langage, etc. Ce n’est pas nécessairement très profond et rarement solide, mais c’est mon boulot et ça m’intéresse.

À l’une ou l’autre reprise, j’ai été tenté de mettre par écrit quelques-unes de ces réflexions, et renoncé à chaque fois, d’une part parce que ce n’est pas ma tâche, d’autre part parce que j’ai beaucoup de mal à fixer mon opinion. Autant j’adore les penseurs catégoriques, autant je suis mal à l’aise à l’idée d’affirmer une chose en excluant son contraire. Du coup, la résidence à Charybde m’a permis de vider mon sac théorique en public, sans trop, j’espère, asséner de credo, et avec la plus-value des échanges, dans la salle et par mail ensuite. J’avais sous la main le travail en cours et pouvais me référer à la matière concrète du livre que j’écrivais. Et puis j’ai pu convier trois personnes pour essayer de creuser tout ça avec moi au cours de trois blablas informels. Tout a été capté, son et vidéo, et peut être retrouvé en ligne. Il y a un index ici. Je crois que je suis tranquille, au niveau théorie, pour une petite décennie. On en recausera en 2025  !

Unidivers : Vous pourriez, sans trop en dévoiler, nous dire quelques mots du projet Adar, qui fait actuellement l’objet d’un appel à financement avec les éditions Dystopia ?

léo henryLéo Henry : Adar est le quatrième et dernier bouquin du cycle de Yirminadingrad. Quelque temps après la parution de Yama Loka terminus, Xavier Vernet a fondé les éditions Dystopia avec Olivier Treneules et Clément Bourgoin, et nous a proposé à Jacques et moi, d’y faire un nouveau livre. On a profité de cette opportunité pour remettre le couvert à Yirminadingard en intégrant le dessinateur Stéphane Perger dès le début de l’écriture. Ca a donné Bara Yogoï, qui est paru en 2010. On a enchaîné peu de temps après sur Tadjélé, sur lequel est venu s’ajouter Laurent Kloetzer, lui aussi lecteur de Yama Loka avec qui on a fait connaissance aux Utopiales. Jacques est mort alors qu’on venait de finir les corrections. Le livre est paru en 2012.

Adar était prévu dès ce moment-là, né d’une suggestion de Xavier appuyée par Jacques, qui voulait proposer à d’autres écrivains de participer à notre aventure. Je n’étais pas super convaincu, parce que je me voyais mal demander à des gens que j’admirais et ne connaissais pas personnellement de poursuivre mon petit boulot. Mais les loustics avaient fait courir le bruit, et ce qui m’a retourné c’est quand Stéphane Beauverger est venu nous demander si ça se faisait, parce que ça l’intéressait. Ça changeait tout à fait la donne pour moi, que des gens puissent en avoir envie. Au final, tous ceux qu’on a contactés dans le milieu de la SF ont dit oui. Les seuls refus qu’on a essuyés c’est en essayant de convaincre des auteurs de blanche de s’y coller. Mais ça a aussi été marrant. On a eu un chouette mot de Volodine et c’est aussi comme ça que je suis entré en contact avec Céline Minard. Ensuite, ça a pris du temps.

On a dû commencer à causer d’Adar en 2011, lancer le projet en 2012. Il a fallu laisser aux auteurs le temps d’écrire, relancer les retardataires, combler les désistements. Craindre le moment où tu reçois un mauvais texte et ne pas savoir qu’en faire (ça ne s’est pas produit). Discuter avec les auteurs. Au final, Adar est, je crois, un très bon livre. C’est aussi, avec Yama Loka terminus, une bonne porte d’entrée dans le cycle. On y trouve 13 histoires, écrites à la première personne, racontées par des étrangers venus à Yirminadingrad. Ces 13 textes sont l’œuvre de Stéphane Beauverger, David Calvo, Alain Damasio, Mélanie Fazi, Vincent Gessler, Sébastien Juillard, Laurent Kloetzer, luvan, Norbert Merjagnan, Jérôme Noirez, Anne-Sylvie Salzman et Maheva Stephan-Bugni. Ils sont chacun inspirés par une illustration originale de Stéphane Perger.

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Sérigraphie de Stéphane Perger

Dans Tadjélé, une jeune femme qui a consacré sa vie à l’étude de la tétralogie de Yirminadingrad, prétend avoir relu Adar cent une fois. « C’est celui-ci qu’elle aime le mieux ». (p.260)

Unidivers : Travaillez-vous toujours sur votre projet Hildegarde, sera-ce votre prochain roman ?

Léo Henry : Hildegarde est fini, ou quasi. Il me reste à entrer les quelques corrections des trois derniers relecteurs dans le manuscrit final, mais c’est une question d’heures. Le premier jet est en réalité bouclé depuis mars dernier. Ce qui prend du temps, ce sont mes atermoiements et mes cas de conscience éditoriaux.

Pour la première fois, je suis confronté à la question de la nature de mon texte (littérature de genre ou littérature générale ?) et aux conséquences qu’une publication ici ou là pourrait avoir. Pas tant sur moi en tant qu’auteur que sur le livre et sa possible réception. Je sais que le bouquin plaira à un certain nombre de gens qui lisent de la SF, je sais aussi qu’il peut être lu bien au-delà (comme la majorité des bouquins qui paraissent en genre, à vrai dire). Et j’ai passé beaucoup trop de temps dessus pour m’en foutre complètement. Bref, c’est compliqué, mais ça devrait se résoudre bientôt. Et j’ai vraiment hâte que ce livre-là paraisse.

Pour soutenir le projet Adar Retour à Yirminadingrad

La bibliographie de Léo Henry

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Si vous souhaitez vous aventurer dans le cycle de la ville imaginaire d’Yirminadingrad, vous pouvez télécharger gratuitement une nouvelle extraite de Yama Loka terminus de Léo Henry et Jacques Mucchielli, premier des  recueils de ce cycle : Demain l’usine.

Les originaux de Stéphane Perger seront mis en vente le samedi 27 février à 12 h.

La Volte :

Fondée en 2004, La Volte est une maison d’édition indépendante qui publie chaque année trois à cinq romans ou recueils de nouvelles d’auteurs français ou étrangers. Animée par une horde, sans cesse mouvante, d’amis et de passionnés – « les voltés » – La Volte crée des objets-livres originaux, mêle les expériences émotionnelles grâce à l’association d’ouvrages et de musiques, avec, toujours, une approche d’artisans. La ligne éditoriale croise les littératures de l’imaginaire, en particulier la science-fiction, et la littérature dite « blanche ». L’exigence d’écriture et d’imagination incite, en effet, des auteurs à créer des œuvres singulières, parfois inclassables, récits qui trouvent une place naturelle dans les parutions de La Volte.

 

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Tarik Messelmi
Depuis longtemps passionné de littérature, avec une préférence pour le roman noir et la science-fiction, la liste est longue et les découvertes toujours intéressantes.

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