Cette semaine connaît un jour spécial : la journée nationale du travail d’intérêt général. Le ministre de la Justice, Michel Mercier a répondu à des questions de journalistes sur l’application des peines pour faire suite à l’affaire Tony Meillon. Il a placé, à l’instar des précédents gardes des sceaux, le travail d’intérêt général (TIG) parmi les mesures participant favorablement à la réinsertion des condamnés à des infractions pénales. Sans le contexte actuel de défiance vis-à-vis du travail des juges et des conseillers d’insertion et de probation et sans présager de la bonne connaissance du sujet par le (les) ministre(s), on pourrait commencer par s’interroger sur l’intérêt réel de cette sanction pénale de substitution à l’emprisonnement…

C’était d’ailleurs un peu le sens de la mission d’évaluation qui avait été confiée par madame Alliot-Marie au député Claude Vanneste.

Cependant, tout en reconnaissant l’utilité du TIG, son rapport insiste davantage sur les défaillances de l’exécution de la peine et de sa mise en œuvre que sur l’impact réel au niveau de la réinsertion et de la prévention de la récidive. Les seules propositions intéressantes sont le TIG pédagogique, l’élaboration d’un système de correspondance entre « la peine d’emprisonnement, le TIG et les jours-amende », et la mobilisation des secteurs associatifs, sportifs, culturels ou hospitaliers pour appliquer les TIG le week-end et en soirée.

En vérité, son travail d’évaluation s’est heurté au manque de chiffres relatif à l’effet du TIG sur la récidive et, plus encore, sur la réinsertion. Aussi Claude Vanneste n’a fait que boucher des trous et n’a pas su se sortir de la dichotomie engendrée par les objectifs recherchés par cette mesure judiciaire, d’être « à la fois une peine punitive, restauratrice de la personne (puisque le tigiste va être reconnu grâce à son travail au profit de la collectivité), mais également formatrice de la personne, susceptible de trouver dans cette action un appui dans une démarche d’insertion ».

En effet, comment peut-on encore penser au 21e siècle que la peine, en étant punitive, est en mesure de restaurer la personne humaine par un travail exécuté au profit de la collectivité ?

Au contraire, on serait ici en plein dans la stigmatisation ancestrale de l’individu puisque ce prétendu « travail » n’est, à vrai dire, pas du tout reconnu par la société. À cet égard, il y a clairement un défaut de crédibilité des postes et un manque de visibilité lors de l’accomplissement ou de l’achèvement d’un TIG. Il manquerait justement une récompense, une cérémonie, une fierté d’avoir justement travaillé pour la collectivité et d’avoir appris quelque chose. Et c’est là que le bât blesse le plus : les TIG ne sont en général aucunement formateurs – à l’exception peut-être pour une partie des délinquants les plus désocialisés – n’ayant jamais connu d’expérience professionnelle.

Malgré tout, la mesure pénale reste très prisée des délinquants, surtout primaires, parce qu’elle leur permet d’éviter la prison, et puis des récidivistes en raison de leur bonne connaissance des possibilités d’inexécution de la condamnation. Pour eux, la reconnaissance et la formation restent d’une manière pragmatique au second plan.

Mais alors pourquoi le TIG est-il tant soutenu par les politiques de droite comme de gauche ?

N’allons pas jusqu’à imaginer que la non-rémunération des condamnés contenterait l’État ! Non, l’incidence en termes d’emplois « dormants » est minime, quoique le nombre d’heures travaillées ne soit pas à négliger en une période moderne où la règle économique se veut prédominante.

En fait, l’intérêt du TIG viendrait avant tout de son originalité première, saluée de façon unanime par tous les acteurs de la société.

C’était la première fois en 1984 qu’on sortait une peine du giron du ministère de la Justice en faisant intervenir des partenaires extérieurs pour l’appliquer.

Par la même occasion, la société s’offrait une sorte de soupape sociale en disposant d’une alternative à l’enfermement – inopérant pour des petites peines – et économisait également de l’argent par la création d’une mesure beaucoup moins chère qu’une journée de prison.

De sorte qu’à la longue, le TIG est devenu un procédé quasi institutionnel. Il n’est pas alors étonnant de voir les hommes politiques, qui sont aussi souvent des maires, le défendre en permanence sans réfléchir à des changements radicaux dans son utilisation et application.

Il est vrai que ces élites politiques ne sont pas là pour penser à l’émergence d’une nouvelle conception de la peine. Les philosophes, écrivains, journalistes et intervenants associatifs sont les premiers concernés par cette réflexion.

Il s’agirait alors, pour redonner de la vigueur à une mesure quelque peu endormie, de réécrire le paradigme de cette pratique à la fois judiciaire et sociale.

Le modèle existant n’est ni exactement celui de certains États américains qui humilient publiquement les condamnés en les faisant travailler devant les automobilistes aux grands carrefours de leurs cités ni celui où l’intéressé en tirerait une reconnaissance sociétale ou un atout pour sa réinsertion.

Notre TIG se situe plutôt entre ces deux pôles dans un no man’s land du sens.

Ni trop humiliant ni formateur, il devrait être exploité à bon escient en conformité avec nos valeurs humanistes. Est-il nécessaire de rappeler que « sans sens de la peine il n’y a pas de sens de la peine ».

Cela dit, il faudrait appliquer cette mesure en priorité à des primo-délinquants de façon à ce que la « peine » exécutée – on pourrait parler ici de « réponse sociale positive » – soit réellement d’une teneur capable «  à la fois d’avertir l’individu et de lui donner une chance qu’il n’a pas eue ou un avantage qui lui manque ».

Le TIG pourrait alors constituer le premier avertissement de la société avant une peine ferme, un processus pour enclencher une mécanique d’insertion, restauratrice d’une raison égarée. L’outil se déclinerait de différentes manières. En établissant un diagnostic, le conseiller d’insertion et de probation pourrait par exemple adapter le dispositif à chaque personne. Le rapport Vanneste va d’ailleurs dans cette voie en proposant un TIG pédagogique et des conseillers d’insertion et de probation spécialisés dans un pôle.

Mais il serait courageux d’aller encore plus loin.

En cette perspective, passer son permis de conduire, s’inscrire à module d’orientation, rechercher une formation, trouver en apprentissage, rembourser sa victime en un temps donné, découvrir un milieu professionnel opposé à ses représentations, se soigner sérieusement d’une dépendance, trouver un appartement, effectuer un travail de service à la personne en maison de retraite ou en hôpital ou tout simplement apprendre s’apparenterait à des travaux d’intérêt général.

Dans cette optique, le conseiller d’insertion et de probation assurerait véritablement un suivi d’insertion. Le logiciel APPI (application des peines, probation et insertion) servirait alors d’outil d’évaluation sur le plan national pour connaître la trajectoire pénale d’une personne ayant bénéficié de ce nouveau dispositif.

Ce TIG s’articulerait ainsi dans une hiérarchisation des peines, laquelle permettrait de donner de la clarté et du poids à la mission du travailleur social, parce qu’à la fin du TIG, c’est lui qui établira un rapport d’évaluation et fera des propositions d’effacement de la condamnation, de prolongation en cas de retard, ou d’un changement de nature de peine en cas d’inexécution ou de mauvaise volonté.

À travers cette nouvelle pratique, le conseiller deviendrait réellement un praticien d’insertion. La profession retrouverait son souffle.

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