Le peuple grec est anarchique et difficile à apprivoiser. Pour cette raison, nous devons frapper profondément dans leurs racines culturelles : peut-être alors arriverons-nous à les forcer à se conformer. Je veux dire, bien sûr, frapper à la base de leur langue, de leur religion, de leurs réserves culturelles et historiques, de manière à neutraliser leur capacité à se développer, à se distinguer, ou à triompher; les éliminant ainsi comme obstacle à nos projets stratégiquement vitaux dans les Balkans, la Méditerranée et au Moyen-Orient. (propos prêté à Henry Kissinger en 1974)

 Que ces propos aient été ou non formulés, ils conduisent à réfléchir autrement la crise qui secoue la Grèce.

Certes, la responsabilité des politiques dans la crise est indéniable. Aujourd’hui, c’est avec amertume qu’on se rappellera avec quelle joie la gauche politique avait été accueillie après la dictature des colonels. Résultat : 30 ans de gabegie par le clan Papandréou qui aura réussi l’odieux mariage d’une baronnie clientéliste et d’un syndicalisme mafieux. 30 ans à tondre la bête touristique, la seule source conséquente de rentrées financières.

À cela s’ajoute, un libéralisme intempérant marqué par une économie souterraine tentaculaire, une dispendieuse guerre froide sans fin avec la Turquie, un régime d’exception pour les armateurs grecs qui ne paient pas d’impôts (mais n’en va-t-il pas de même avec les grandes entreprises françaises ou avec les plus-values que les banques françaises – BNP, Crédit Agricole et Société Générale – réalisent avec notre épargne dans les paradis fiscaux ?).

Mais il y a aussi l’introduction de l’euro qui a plombé la Grèce (et Chypre) en appauvrissant sa population et en l’obligeant à souvent occuper deux emplois.  Il y a aussi les intérêts exponentiels d’une dette qui renvoient à la question de l’encadrement du taux d’usure. Rappelons que les opérateurs bancaires et autres usuriers ont contribué à faire s’envoler avec la crise une quarantaine de trilliards de dollars. En outre, d’une manière généralisée en Occident, notamment dans les pays méditerranéens, on relève des coûts de fonctionnement sociaux de plus en plus onéreux, une diminution de la richesse industrielle réelle, une baisse des ressources rentières, etc.

Une fois ce sombre panorama dressé, on peut se concentrer sur un autre aspect de la situation. Ne serait-ce pas un combat plus profond qu’incarne aujourd’hui la Grèce : une conception européenne méditerranéenne catholique et orthodoxe en butte à une vison américaine – l’Europe germanique et nordique étant entre les deux tiré à hue et à dia ?

De fait, on peut comprendre la préférence, notamment dans les jeunes générations, pour la conception nordique de l’organisation sociale et politique. Une conception où – largement plus que dans les pays du Sud – la morale civique et le respect de l’autre irriguent les relations individuelles, où la classe politique est sommée et soumise à un principe d’honnêteté et de transparence, où les castes, baronnies, et syndicats mafieux sont rares.

Néanmoins, il faut prendre conscience que l’écrasement de la Grèce – ou quel que soit le nom qu’on lui donne – signerait le sapement symbolique d’un fondement de l’Occident et de sa vision de l’homme et du monde. Ce n’est pas une entreprise qui se trouverait en liquidation, c’est le lieu où est né l’Occident qu’on condamne au chaos. Il en va du devoir de tout humaniste de protéger Athènes, comme Jérusalem, Constantinople ou Rome, quels que soient les fautes ou les péchés de leurs enfants.

Au demeurant, quel serait l’effet de ce démantèlement ? Citons-en seulement deux.

D’une part, la mise en coupe réglée du peuple grecque profiterait à une lecture de l’histoire expurgée de la singularité panthéo-orthodoxe. A la clé, un renforcement de la conception étasunienne de l’organisation de la gestion mondiale. D’autre part, elle faciliterait le contrôle de la ligne stratégique Balkans-Turquie-Iran qui sépare l’Europe et la Russie de la péninsule arabique et pétrolifère. Une solution désirée par les États-Unis, mais dorénavant également par l’Allemagne.

Ah, l’Allemagne. Notre voisin qui demande la mise sous tutelle de la Grèce ! Notre voisin qui vend sans vergogne des sous-marins aussi bien à la Grèce qu’à la Turquie, deux ennemis qui font perdurer une guerre froide depuis des décennies pour le plus grand bonheur des marchands d’armes. Voilà une étrange manière de contribuer à alléger les dépenses de la belle Hélène et à consolider la pax europeana.

Au fait, plus de la moitié du prix de l’achat par la Grèce à l’Allemagne des sous-marins a déjà été réglé, mais les sous-marins ne sont toujours pas livrés. Une mise sous tutelle de la Grèce serait ainsi de bon aloi… pour les industriels allemands.

 

Vers une contribution de l’Église orthodoxe grecque ?
En Grèce, on trouve aussi bien des prêtres roulant en Mercedes que des évêques marchant en sandales usées et vous invitant à venir partager du pain et des olives en toute simplicité. Comme dans la plupart des religions, il y a des fonctionnaires de Dieu et il y a des saints hommes. Dieu reconnaîtra les siens.
En attendant, l’Église orthodoxe occupe une place prépondérante. Son patriarche a longtemps caracolé en tête des personnages influents préférés des Grecs. En outre, elle joue et a joué depuis sa création un rôle de ciment identitaire. Enfin, elle est également le premier propriétaire foncier du pays. Pourquoi ?
Parce sous l’Empire ottoman, les Turcs interdisaient l’héritage et confisquaient les biens personnels à la mort des chrétiens. D’où la tradition de faire des donations à l’Église. Comme disent les esprits forts : « heureusement, cela déjà cela que la bande de Papaandréou n’a pu dilapider ».
L’aura de l’Église s’explique par le fait qu’elle a toujours résisté aux envahisseurs et conservé la culture grecque. Elle a résisté aux Ottomans durant près d’un demi-millénaire de vexations et de spoliations, elle a résisté aux nazis (il y a peu de pays où, dans les maquis, communistes et religieux se cachaient ensemble ; quant aux monastères du mont Athos, haut lieu spirituel réservé exclusivement aux hommes, ils n’ont pas hésité à cacher durant la guerre nombre de résistantes communistes), elle a résisté aux Anglais lors de la décolonisation de Chypre, etc. Aujourd’hui encore, nombre de Grecs regardent la politique étrangère américaine comme une nouvelle forme de tentative de contrôle identitaire.
Voilà donc la réponse à ceux (souvent occidentaux) qui réclament que les biens de l’Église soient taxés. Jamais l’État grec ne parviendra ni n’aura la prétention d’imposer une taxation des biens de l’Église. Par contre, il est bien regrettable que l’Église ne prenne pas elle-même l’initiative de se taxer afin de reverser une rondelette somme à l’État ou à des représentations de la société civile. Elle ferait ainsi profiter son peuple de ce qu’il lui a donné au cours des âges.

 

In hoc signo vinces (léger)

 

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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