Javier Cercas a écrit Le mobile en 1987. Les éditions Actes Sud viennent de publier ce premier roman, ainsi qu’un recueil d’essais intitulé Le point aveugle. L’auteur espagnol de L’imposteur ou des Soldats de Salamine a-t-il un vrai et bon premier roman à nous offrir ? Parfaitement : ce court récit, en plus d’éclairer l’œuvre romanesque à venir, captive son lecteur en proposant une réflexion implacable sur les rouages de l’écriture.

 

Mobile Javier CercasLe mobile de Javier Cercas se présente comme un court roman à l’intrigue profuse. L’auteur se permet du reste une note pour expliquer le choix d’une publication aussi tardive de son premier roman. Le premier livre comptait cinq récits : Cercas l’a ramené sur un seul en supprimant quelques passages. Par sa fraîcheur et son audace, il le considèrerait néanmoins comme son « meilleur livre ». Il faut dire que l’histoire présente une intrigue très riche : Àlvaro est un écrivain qui entame l’écriture de son Œuvre, un roman sur l’écriture d’un roman. Dans celui-ci, il projette de raconter l’histoire de quatre personnages habitant le même immeuble : celle d’un romancier, d’un couple en déroute et d’un vieil homme solitaire. Le nœud ? Ce que ce romancier fictif écrit, en l’occurrence le meurtre du vieil homme par le couple, prend corps dans la réalité. Le mobile raconte donc comment Àlvaro écrit ce roman, et comment il se prend lui-même au piège des enchevêtrements entre réalité et fiction.

Mobile Javier CercasEn un sens, Le mobile constitue plus une parabole qu’un roman à proprement parler. Si rapidement, le lecteur confond Àlvaro et son double fictionnel, c’est précisément qu’Àlvaro s’abîme dans la création de sa créature. Le livre présente donc deux figures d’auteur, lesquelles en désigne, entre les lignes, une troisième : celle de Javier Cercas lui-même. Car Le mobile alterne avec brio entre deux tendances intrinsèques au roman : le métadiscours et l’intrigue purement romanesque. D’ailleurs, Àlvaro résume dans une brillante ellipse l’histoire du genre depuis ses fondations. On assiste, sous la plume de Cercas, non à l’aventure de l’écriture, mais à la mésaventure de l’écriture.

Mieux, Le mobile fait le portrait de l’écrivain en imposteur. Jouant sur les limites ténues entre mensonge et fiction, Cercas présente Àlvaro et son double comme des écrivains irresponsables, capables de tout sacrifier, et jusqu’à leur morale, pour Mobile Javier Cercasl’écriture de leur roman. Àlvaro, pour bâtir ses personnages, s’inspire de ses voisins. S’il peut aider un couple en difficulté financière, il préfère les voir se détruire pour trouver de la matière romanesque. De même, il les pousse à commettre un crime, celui du vieil homme. Àlvaro, peut-on dire, se prostitue pour soutirer à sa concierge des informations sur le voisinage. Les deux écrivains fictionnels se présentent comme des êtres parfaitement immoraux.

Finalement, c’est en présentant l’immoralité de ces figures d’auteur que Cercas en vient à suggérer une éthique de la forme romanesque. « Malgré tous les revers du siècle, il fallait continuer à croire au roman » pense Àlvaro. Javier Cercas, en mêlant habilement une intrigue presque policière à la mise en place d’une réflexion sur l’acte même d’écriture. « Entre la futilité de la pure créativité artistique et le terrorisme de la négativité, peut-être y a-t-il une place pour quelque chose d’autre, la morale de la forme, le plaisir de l’objet bien fait », écrit Vila-Matas, rapportant les mots de Patrizia Lombardo. Dans cet entre-deux que traverse le personnage d’Àlvaro, Javier Cercas se glisse en romancier. Il met à jour non seulement la difficulté d’écrire, mais aussi et surtout le souci d’allier l’éthique à l’esthétique. En ce sens, Le mobile préfigure tous les romans ultérieurs de Cercas, particulièrement L’imposteur. Le romancier ne ment pas, il donne corps à la fiction.

 

Le mobile de Javier Cercas, publié aux éditions Actes Sud en novembre 2016, 96 pages, 13, 80 euros.

 

 

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