Le livre de Philippe Le Guillou, Le Chemin des livres, publié en février 2013, est un texte qui prend racine dans cette enfance et adolescence passées dans le petit village du Faou, à mi-chemin entre Brest et Quimper. Ce village fut le berceau de l’auteur, vers lequel, récit après récit – Le passage de l’Aulne en 1993, Les Marées du Faou en 2003, L’intimité de la rivière en 2011, il revient, fidèlement et indéfectiblement.

Philippe Le Guillou a grandi dans l’ombre, ou plutôt la lumière, tutélaire de ses deux grands-pères. « Dès que j’ai commencé à écrire, j’ai dit publiquement la dette que j’avais à l’égard de ces deux hommes. » Quand Philippe naît, ses deux aïeux sont retirés de leur vie professionnelle et vivent tous les deux au Faou, à quelques pas de la maison de ses parents. Les apparences les opposent. L’un, Gabriel, parle peu – « bon, généreux, intimidant, il n’était jamais si heureux que lorsqu’il pouvait s’écarter et lire, […], ce qui comptait c’était son silence, sa concentration, la frontière qu’il avait passée, et qui faisait qu’il n’était plus de la compagnie des vivants. » L’autre, Jean, a le verbe riche, imaginatif, et foisonnant du conteur – « La faconde de mon grand-père […]  n’avait pas de limite. Les récits étaient une sorte de pâte vivante qu’il pétrissait à loisir, sans souci de rigueur ou de vraisemblance. […]. La terre, la nuit, la mort, les eaux […] alimentaient sans fin ses contes de veillée et de mémoire, de crépuscules de novembre quand la porosité avec l’Autre monde se fait totale. »

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Le Faou vue aérienne, Editions d’Art Jos Le Doaré (Editeur) © Musée de Bretagne

Tous deux, démunis de tout diplôme et étrangers à toute formation littéraire, ont le don de fasciner très tôt le jeune Philippe qui voit en eux des passeurs qui éclairent et des sources qui abreuvent. Philippe écoute l’un, observe l’autre, qui l’aident, tous les deux à leur manière, à lui ouvrir les portes d’un imaginaire qui ne le quittera plus et contribuera définitivement à bâtir l’univers de ses fictions romanesques. Bien mieux que ne le feront ses professeurs qui, du collège à l’université, nous dit Philippe Le Guillou avec une certaine férocité, ne lui apporteront que « des usages, des techniques, une connaissance froide et codifiée, […] un enseignement d’entomologiste, sec et désincarné qui avait en horreur, le talent, la connivence, la virtuosité langagière ».

Cette virtuosité du langage, Philippe Le Guillou la retrouvera dans la lecture de Patrick Grainville, véritable révélation, apparue au hasard d’un emprunt à la bibliothèque municipale de Morlaix de « La Lisière », premier roman d’un auteur, bientôt auréolé du Goncourt avec « Les Flamboyants ». Après la découverte, Le Guillou osera l’échange épistolaire avec Grainville, puis la rencontre au domicile de l’écrivain, conclue par une belle amitié, et les encouragements du romancier vers ce jeune admirateur que taraude le désir d’écrire dans la même richesse et exubérance stylistique.

D’autres figures l’aimanteront: Malraux, le gaulliste, qu’il admire, seul point de divergence avec Grainville qui le trouve pompeux, mais aussi Gide dont il lit L’Immoraliste, récit trop rapidement évoqué au lycée à son goût, « cette histoire d’esthète malade, convalescent et jouisseur, […] une émotion littéraire et bien plus, la confirmation d’une orientation singulière, et de goûts dont je ne doutais plus ».

Quelques autres entrent également dans son Panthéon des Lettres : Proust – « Des larmes me venaient à la fin du Temps retrouvé… », Tournier aussi et ses « Météores ». Et puis Julien Gracq, bien sûr, l’écrivain adulé, « l’incarnation même, érémitique et inaccessible, du classique vivant ». Quand il lit la prose d’Un Beau ténébreux – «  Un pâle soleil irréel s’est levé sur les crêtes des vagues. Le grand corps de tristesse de la Bretagne sort des brumes, avec ses articulations dures, noueuses, lavées. Quelle côte solitaire ! Le cri emportant des mouettes, si dépaysant, tombe du haut de leur royaume sauvage, agrandit  l’étendue de ses prolongements rauques… », la phrase gracquienne « qui ouvre des portes dont on ne soupçonnait pas l’existence » l’envoûtera à jamais.

Les chemins de lecture de Le Guillou passent également par une librairie qu’il se met à fréquenter quand notre écrivain n’est encore que le khâgneux rennais du lycée Chateaubriand : « Les Nourritures terrestres ». Véritable institution rennaise, dont il parle avec attendrissement et reconnaissance, « sorte de cocon qui m’avait comblé », Philippe Le Guillou viendra régulièrement y puiser son aliment sur les conseils précis et précieux de ses deux fondatrices, Yvette Bertho et Jeanne Denieul.

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Capture d’écran d’un vidéo de l’INA, « Présentation d’une librairie rennaise »

Son premier manuscrit publié, L’inventaire du vitrail, paraîtra en 1983 au Mercure de France, sous le regard plein d’attention de Simone Gallimard. L’écrivain était né. « Au moment d’entrer dans une nouvelle vie, tissée de mots, de titres et de dates, j’acquiesce, de manière intime et secrète, au surgissement d’un signe jailli du Faou et de l’enfance lumineuse », écrit-il pour conclure ce court récit, magnifiquement écrit.                        

Philippe Le Guillou, Le chemin des livres, 144 pages, Mercure de France, 2013, 118 p. ISBN : 9782715233782, prix : 14 euros.

Découvrir la vidéo sur la librairie Les Nourritures Terrestres, à Rennes

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