Le cercle des derniers libraires de Sylvie Baron puise, à l’image de ses romans précédents, sa raison d’être dans une cause à défendre, que ce soit un terroir, une profession, comme dans Les ruchers de la colère, ou des valeurs humaines, comme dans Rendez-vous à Bélinay.

Elle demandait des convictions, de la persévérance, de la résistance, de la combativité. Tout ce qu’il fallait en somme pour faire vivre une librairie indépendante et s’imposer face aux sirènes trop faciles de la vente en ligne. » (Le cercle des derniers libraires, pp. 32-33).

Le style de Sylvie Baron se caractérise par une fluidité qui rend l’histoire très accessible. Le vocabulaire est riche, parfois familier en fonction du personnage qui parle, mais jamais vulgaire. Sylvie Baron est une grande dame qui sait se tenir ! Les nombreux dialogues sont vivants, parfois drôles, percutants ; bien construits, ils font réellement progresser l’enquête. Pas de blablas inutiles…

sylvie baron
Sylvie Baron

L’auteure possède le sens de la formule, comme en témoigne cet extrait :

« Interroger les libraires, ce n’est pas non plus interviewer les lauréats du Goncourt. Et puis tu m’emmerdes avec tes minauderies de dame patronnesse. » (Le cercle des derniers libraires, p. 17).

Contrairement aux précédents romans, les descriptions de paysages sont beaucoup moins présentes dans Le cercle des derniers libraires, mais toujours aussi lyriques :

« Derrière les maisons hautes et sévères percées de rares ouvertures, derrière les portes fières solidement fermées se cachaient en fait de nombreux hôtels avec d’admirables fenêtres à meneaux, des échauguettes en encorbellement et des cours Renaissance entourées de splendides balustrades. Quelle harmonie entre le vieux pont de la ville basse, les maisons agrippées au rocher et toutes les ruelles de la ville haute qui convergeaient vers la place d’Armes, où se trouvait la cathédrale ! » (Le cercle des derniers libraires, p. 32)

… et poétiques :

« En cette fin d’après-midi automnale, les pâles rayons du soleil jetaient des traînées de lumière qui ruisselaient comme des diamants sur les pierres grises des façades. Sur la montagne, en quelques jours, les arbres avaient sorti le grand jeu en répandant partout leur flamboyante chevelure ponctuée d’or. » (Le cercle des derniers libraires, p. 105).

sylvie baron cercle libraires

L’intrigue  : Adrien Darcy, cycliste de haut niveau et journaliste sportif, victime d’un grand accident qui l’empêche de remonter sur son vélo, se voit confier par son rédacteur en chef une mission pour le moins insolite : mener une enquête sur les trois meurtres de libraires perpétrés ces trois derniers mois à Aurillac, Brioude et Chamalières. La police, qui ne semble pas avoir abouti dans ses investigations, n’a ni suspect ni piste sérieuse. Les trois victimes, propriétaires de librairies indépendantes, appartenaient toutes au Cercle des Derniers Libraires, association créée par Emma, libraire à Saint-Flour. Hasard ? Vengeance ? Jalousie ? Les mobiles ne manquent pas, tout comme les suspects, malgré la difficulté d’établir un lien entre les trois meurtres. Si Adrien veut obtenir des informations de la part d’Emma afin de démêler cet écheveau inextricable, il n’a pas le choix : l’associer à son enquête. C’est à prendre ou à laisser !! Et les voilà embarqués dans une sordide histoire de jalousie… Sauront-ils démasquer l’assassin avant que celui-ci ne tue sa quatrième victime, le 20e jour du mois de novembre ? Rien n’est moins sûr…

Les personnages, peu nombreux, sont toutefois bien affirmés, avec de l’épaisseur, notamment les portraits féminins, très humains, revendiquant, chacun à leur manière, leur liberté d’esprit. Le cercle des derniers libraires présente des portraits psychologiques d’hommes et de femmes dont l’auteur décortique habilement les motivations, les passions, les peurs et les blessures. Ce que j’aime dans les personnages de ce roman est qu’ils sont très humains, avec leurs qualités et leurs défauts.

Les thèmes : les librairies, la culture littéraire, la lecture, remparts contre un monde de plus en plus dépersonnalisé, anonyme et indifférent.

Les lieux  : Dans ce roman que je qualifierais d’intimiste, les descriptions de paysages sont moins présentes. Ce sont les villes qui sont privilégiées, dans des aperçus loin des descriptifs formels, comme Saint-Flour, « cité de caractère pleine de clins d’œil architecturaux, de détails insolites, de secrets cachés. Un véritable tableau d’histoire pour qui savait prendre le temps de la découvrir. » (pp. 31-32).

La plume de Sylvie Baron est comme le vin, elle se bonifie avec le temps. Ses romans précédents étaient déjà appréciables, malgré une petite tendance au manichéisme dans la conception de ses personnages. Mais avec Le cercle des derniers libraires, Sylvie Baron a su gommer ces petits défauts et faire éclore de sa chrysalide un magnifique papillon !

De nombreuses qualités pour Le cercle des derniers libraires : son discours objectif quant au métier de libraire et au marché du livre. Bien qu’elle défende la profession avec chaleur, elle ne mâche pas ses mots, comme à son habitude :

« Une librairie est un commerce si particulier, un lieu de vie, de rencontres, de partage, un relais pour les événements culturels, un lieu d’exposition, d’idées, d’annonces… L’indifférence des politiques à leur égard la révoltait. Certains élus ne se rendaient même pas compte qu’ils perdaient là un trésor inestimable… » (Le cercle des derniers libraires, p. 36)

Sylvie Baron n’hésite pourtant pas à présenter les arguments adverses, dans un esprit de fair-play remarquable.

Le + : La mise en avant très rafraîchissante de personnages ou de lieux qui ne suivent pas les canons de la mode, mais qui affirment leur personnalité propre, leur tempérament atypique, dans un monde où l’uniformité est loi. L’aptitude de l’auteure à mettre en mots les émotions les plus intimes sans jamais émettre de jugement.

Le ++ : Les nombreuses évocations littéraires, que ce soient des œuvres, des personnages, par exemple le patronyme d’Adrien. Et l’immense clin d’œil à la reine du crime sans qui le canevas de ce roman n’aurait pu exister.

 « Il fallait agir, arrêter l’hécatombe, se battre, s’aider, se serrer les coudes, organiser des manifestations, sensibiliser le public, faire prendre position aux élus. » (Le cercle des derniers libraires, p. 37).

Sylvie Baron, Le cercle des derniers libraires, Éditions De Borée, 13 septembre 2018, 260 p., 20€.

Catherine Louvet

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