Céline vécut à Rennes. Dans les années 1980, bien rares étaient les profs de français des lycées rennais qui étudiaient Céline en classe de terminale. Monsieur Rocaboy, professeur engagé à l’air désengagé au collège Anne de Bretagne, passait outre la charia académique. Mais savait-il que, à deux pas de son établissement, l’écrivain habita durant quelques années ?

La bouillonnante et enivrante Rennes n’a jamais inspiré les écrivains, petits et grands. Ville délaissée des romans, capitale mal-aimée des poètes, elle est restée la belle discrète. Dans ses murs, elle abrita pourtant deux des plus grands auteurs français, Chateaubriand et Céline. On connaît la vie rennaise de l’auteur d’Atala et René un peu moins celle de Mort à Crédit.

Arrivé à Rennes le 11 mars 1918 dans les « bagages » de la mission Rockeffeler, le jeune médaillé militaire Céline mène campagne contre la tuberculose. Au théâtre, en présence des notables rennais, il donne sa première conférence sur l’hygiène… non sans un certain trac. En revanche, dès le lendemain, au cinéma Omnia, il est déjà plus à l’aise devant un public féminin du lycée rennais et de l’école normale d’institutrices.

Prenant de plus en plus d’assurance, le jeune conférencier poursuit les allocutions ici où là, le 18 à l’école de la rue de Paris et le 19 à l’école de garçons du faubourg de Nantes. Les Rennais le retrouvent le 21 à l’école Quineleu, le 22 à l’école de la rue Papu devant 100 filles puis devant les ouvrières de la rue de Brest et du faubourg du même nom. Revenant au théâtre, une semaine plus tard, Louis Destouches tient une énième conférence devant le maire Jean Janvier et des syndicalistes. Le discours fait mouche contre « l’alcool, le lit où se couche la tuberculose ». Dans la salle, la jeune Édith Follet, fille unique de l’organisateur et âgée à peine de 19 ans, tombe sous le charme du galant orateur revêtu de l’uniforme américain.

« Il séduit la fille et le père »

Après avoir séduit la fille, le jeune homme charme le père. Mais futur beau-papa veille au grain… Son beau-père, répondant au rare prénom d’Athanase et au nom plus commun de Follet, lui accorde la main d’Édith en contrepartie d’un marché qui en dit long sur les mentalités des deux hommes. La dame contre le poste de directeur de l’école de médecine…de Rennes qui est décroché par l’intervention de l’oncle de Céline, Georges, lui-même secrétaire de la Faculté de médecine de Paris.

À Rennes, on voit d’un très mauvais œil la promotion du « professeur désormais surnommé Follichon ». Mais rien de grave pour le docteur Follet, qui chose promise chose due donne sa fille au jeune Destouches. Le 19 août 1919, à Quintin, le jeune homme passe la bague au doigt à la jeune femme, avec en dot une pension viagère de 12000 francs. La cérémonie fait enrager le prêtre…qui découvre avec effroi le beau-père chapeauté dans son église et demande… en vain les deux alliances.

Fraichement titulaire du baccalauréat sous les bons conseils de l’abbé Pihan du lycée Saint-Vincent, le futur Céline commence à étudier en face de chez lui (6, quai Richemont) à la Faculté des sciences où il obtient le certificat de physique, chimie et histoire naturelle le 1er mars 1920. Entre les cours, il rejoint le bel hôtel particulier de la famille Follet où il lit les auteurs classiques. « Je travaille comme un cheval… le matin, tel le vertueux Achille, je vois se lever l’aurore, et l’astre des Nuits m’accompagne dans mes studieuses veilles. »

En 1920, la fille de Louis, Colette, naît le 15 juin. Elle est baptisée avec la longue robe de la progéniture du fils de Napoléon, provenant de la collection personnelle de Marguerite Destouches, mère de Louis. Le bonheur familial n’est pas loin. Le jeune père entre à l’école de médecine, monte à cheval, au polygone militaire de Rennes et pilote un side-car avec sa femme sur les routes de Bretagne.

À cette époque, Louis n’écrit que très peu. On ne lui connaît qu’un conte pour enfants, Le petit Mouck, illustré par sa femme et publié dans la Semaine de Suzette. Mais hormis cette « passade » littéraire, le futur Céline s’adonne à ses chères études, étudie au laboratoire de biologie marine de Roscoff, remplace le docteur Porée au 5, quai Lamennais durant tout l’été 1923 puis au mois de février de l’année suivante.

« Il urina sur les bestioles »

En septembre et octobre 1923, changement de programme, il remplace son beau-père, dans son cabinet de la rue Duguesclin et à la clinique de La Sagesse. Il se penche également sur la géologie de l’île de Pâques, se lance dans l’étude du sirop d’escargot et cultive un bacille du typhus… Il publie même deux publications dont l’une Observations physiologiques sur Convoluta roscoffensis (ver de sable) rapporte les expériences peu scientifiques de Céline. D’après les infos, il se contenta d’uriner sur les bestioles…

À Rennes, Céline s’embourgeoise, au coin du feu. Il y apprend les bonnes manières, fréquente la maîtresse attitrée d’Athanase et noue des relations amicales. Déjà anticonformiste dans les manières, dans les propos ou dans l’habillement, le gai Louis fait sensation dans les salons rennais. Coiffé d’un chapeau de cow-boy, il manie bien volontiers le bon mot, voire l’invective.

En mai 1924, il publie sa thèse, portant sur la vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis, un médecin austro-hongrois du XIXe siècle. À cet instant, le nouveau docteur peut prendre la succession de son beau-père, devenir médecin sur un paquebot, chargé de mission auprès du docteur Rajchmann ou directeur de la section d’hygiène à la Société des Nations.

Destouches opte finalement pour cette dernière mission. Il quitte Rennes pour trois ans de missions dans le monde et abandonne sa femme. Résultat : Édith obtient le divorce le 21 juin 1926 devant le tribunal de Rennes.

Aucune plaque
Le jeune médecin Céline remplace en mai et juin le Dr Cardot à son cabinet de Montfort-sur-Meu qu’il estime peu consciencieux. Une plaque, apposée en 2004 sur la maison, évoque ce séjour. À Rennes, en revanche, aucune plaque ne commémore le souvenir du créateur de Bardamu…

Dès lors, Louis Destouches devient Céline et commence la rédaction de L’Église. Il revient toutefois à Rennes pour voir sa fille et passer ses vacances avec elle à Dinard. Plus tard, en 1943, Hans Grimm, membre du SD à Rennes fournit à Louis Ferdinand Céline une autorisation pour se rendre en villégiature à Saint-Malo. En contrepartie, l’auteur lui cède un exemplaire d’une première édition d’un de ses romans… On est là malheureusement dans une autre histoire et non celle de Rennes qui faillit faire de Louis Destouches un bourgeois rennais bien tranquille.

Une promenade proposée sur les traces de Céline

Etienne Nivelleau, spécialiste indépendant de l’auteur et auteur d’un bulletin célinien non moins indépendant… propose une jolie promenade sur les traces de Céline… Peut-être qu’un jour l’office de tourisme s’en inspirera… En voilà le tracé : « Le Rennes de Céline est vite parcourue. Du quai Richemont, laissant à l’Ouest le quai Lamennais où il fit ses premiers remplacements (au 5, chez le Dr Porée, l’été 1923 et l’hiver 1924), on monte la rue Gambetta. On passe devant l’archevêché (3, Contour de la Motte), où le Dr Follet, quoique franc-maçon, était seul autorisé à “ausculter (sic) tous les orifices de Monseigneur”, et par les rues de Fougères, et Lesage, on arrive à l’Hôtel-Dieu (joli fronton allégorique), où il parsemait sa consultation de citations latines.

Rompant avec Édith en 1924, Céline ne quittait pas Rennes pour toujours. Dans les années trente, il prend facilement le train à Montparnasse, avec Elizabeth Craig pour aller voir sa fille Colette, ou pour quelques semaines de vacances à Saint-Malo. En 1943, il s’acoquine à Rennes avec l’architecte Olier Mordrel, et l’Oberscharführer Hans Grimm, chargé des contacts avec les autonomistes, afin d’obtenir un permis de séjour à Saint-Malo, en mars, puis de juin à septembre.

Voilà qui nous fournit prétexte à retourner sur le lieu des exploits de Mordrel : l’Hôtel de Ville. “La niche du soubassement est vide, écrit le Nouveau Guide de Bretagne de Michel Renouard (éd. Ouest-France). Avant la Révolution, elle était ornée d’un groupe de statues : Louis XV entre la Bretagne et la Santé. Puis un horrible monument, élevé en 1911, symbolisa l’union de la Bretagne à la France, la Bretagne étant une femme à genoux. Au petit matin du 7 août 1932, quatrième centenaire du rattachement, le monument sauta.” C’étaient Célestin Laîné et ses amis.

Une fois à l’Hôtel de Ville, on peut pousser jusqu’au 3 rue Duguesclin, et vérifier que “l’escalier sombre” où se trouvait le cabinet de consultation du Dr Follet, est toujours là. Au 17 , quai d’Ille-et-Rance, la clinique de la Sagesse, où il était chirurgien en chef, a disparu. En rentrant, rue Hoche, près du Parlement, on trouvera chez M. Corre, l’excellent bouquiniste, quelques volumes de Ferdinand, si l’on est en manque. On ira les lire au Thabor, où Céline, grand amateur de jardins, promena peut-être sa fille. »

Garnier fit le portrait de la fille de Céline…
François Garnier naît à Paris le 27 avril 1914 et meurt à Rennes le 8 juin 1981. Élève à l’Ecole des Beaux-arts de Paris (Atelier Roger) de 1933 à 1939, il obtient le prix Chenavard. Devenu professeur au lycée, à Mont-de-Marsan puis à Rennes, il est nommé au début des années 50 professeur titulaire à la chaire-maîtresse de dessin, anatomie et perspective (cours supérieur) à l’École des Beaux-arts de Rennes, et professeur titulaire de dessin, ornement et antique à l’École régionale d’Architecture de Rennes jusqu’à la fin des années 70. Ses œuvres, figuratives, utilisent de nombreux types de supports et procèdent de techniques diverses. Il réalise principalement des paysages, des portraits – dont celui de Colette Destouches, fille de Louis-Ferdinand Céline, en 1938 – et des nus. Ses thèmes de prédilection sont la Bretagne, en particulier le Vieux Rennes, les côtes bretonnes (nombreuses marines), la campagne d’Ille-et-Vilaine et l’Espagne. Une de ses œuvres fait partie des collections du musée des Beaux-arts de Rennes.

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