Peintre, poète, photographe, Roger Dautais est depuis 1997 largement et humainement inscrit dans l’actif éphémère du land art. Entre résonance viscérale de la nature et souci humaniste de la mémoire minorée, ce pèlerin du quotidien nourrit son art de brindilles et embarque chacun dans une contemplation fugace des traces essentielles.

 

Je n’ai pas de théorie en land art, je le vis. (Roger Dautais)

dautais rogerNé en 1942 à Pontchâteau (44) en Bretagne, ancien élève des Beaux-arts de Rennes, Roger Dautais écrit, dessine, peint, photographie, filme. Également auteur de quelques livres pour enfants [1], il est un artiste accompli. Mais le cœur ardent de sa vie, ce qui la fonde et lui donne sens, est le land art. Son travail artistique a été reconnu en Normandie dans les années 2000. France 3, TV5, quelques chaînes anglaises et allemandes, des radios normandes, Ouest-France et Normandie Magazine lui ont consacré des articles et des reportages. Cependant, en Bretagne [2] où il vit depuis 2013, son travail artistique reste curieusement ignoré.

Le land art, l’art par excellence

Pour Roger Dautais, le land art n’est pas un passe-temps, ni même une passion. C’est sa façon d’être au monde. Son chemin vers le land art débute en 1997. À l’âge de 55 ans, Roger Dautais abandonne alors la peinture et commence à arpenter les grèves normandes et à créer à l’extérieur à partir des matériaux que la nature lui offre. Poreux à l’énergie portée par les lieux, complice de leur puissant magnétisme, il évoque dans son blog « cette vraie jubilation », « cette résonance viscérale de la nature en (lui) ».
roger dautaisDepuis son retour au pays breton et son installation près d’Auray, il a ses sorties rituelles  et ses lieux de prédilection dans la campagne de Mériadec et sur la côte morbihannaise, entre Arradon, Etel, Locmariaquer et la forêt de Camors [3], où il sent « le paysage comme prolongement de (lui) — même ». Marcheur infatigable malgré les aléas de l’âge et de la santé, le « coureur des grèves » revient aux origines de l’art et compose son œuvre à la manière des premiers artistes de la préhistoire qui intégraient les aspérités de la roche, ses couleurs, ses strates et sa texture dans leurs fresques pariétales. Le sable, la terre crevassée, les rochers, la berge d’un ruisseau, parfois même le courant mouvant de l’eau, font partie intégrante de ses œuvres. Ses créations, tantôt spectaculaires et grandioses, comme ses emblématiques spirales tracées sur l’estran, tantôt discrètes parmi les branchages, composées de cailloux, de feuilles, de brindilles et de baies colorées, comportent les signes et symboles immémoriaux, cercles, spirales, colonnes et cairns, croix, étoiles, mandalas, qui nous rappellent leur permanence depuis des millénaires.

L’humble célébration de l’éphémère

Ses installations, « dont l’entropie est pensée, organisée », évoquent la disparition, la mort inséparable de la vie. Quand Roger Dautais dépose ses délicats ex-voto dans la nature comme une offrande, comme un hommage à la terre, il sait que la marée montante reprendra ses cairns et ses spirales, que les joncs, les brindilles et les graines se disperseront, que les pétales et les feuilles faneront puis retourneront à la terre. Il sait que son œuvre est périssable comme toute vie, fragile à l’image de la mémoire. Il sait qu’il en va de même de la finitude de l’être humain. Épreuve d’humilité extrême, le land art célèbre l’éphémère.

land art robert dautaisDe la brève existence de l’œuvre, il ne reste qu’une seule trace, la photographie au cadrage précis et étudié. Photographe de formation, l’artiste capte la lumière, les contrastes, et parfois inclut l’ombre de sa silhouette et les traces de ses pas dans ses clichés. Puis il les offre au regard du visiteur sur son blog « Le chemin des grands jardins », conçu à la fois comme son journal de création et l’étape ultime de son travail, celle du partage généreux. Ses photos s’incrustent alors dans notre rétine, laissant au plus profond de nous leur écho persistant, comme une musique aimée qui nous accompagnerait à jamais. Son blog, mémoire vivante de son land art, a reçu plus de 260 000 visiteurs. Sur l’ensemble des réseaux sociaux, ses photographies ont recueilli plus de cinq millions de vues.

Il existe une autre trace, étape préliminaire et nécessaire à son travail : ses notes et ses réflexions, ses dessins [4], des poèmes, les siens et ceux qu’il recueille au fil de ses lectures, des citations, qu’il consigne pêle-mêle au jour le jour dans des carnets et des petits cahiers, aujourd’hui au nombre d’une trentaine. Les notes, citations et poèmes de ces carnets de bord nourrissent son blog. « J’ai besoin de cette réserve pour créer. Ils sont ma cueillette au même titre que je transporte dans mon sac à dos les baies d’hiver ». Roger Dautais aime associer à ses œuvres les poètes d’hier et d’aujourd’hui. Il dédie ses land arts à certains poètes avec qui il partage une communauté d’esprit, ceux dont les mots et l’amitié l’accompagnent, mais aussi ceux dont il veut transmettre et porter la mémoire : le marin-poète Alain Jégou, le celtaoïste Paul Quéré, le poète, chanteur et artiste Youenn Gwernig dont il reprend inlassablement comme un viatique ce vers simple et profond : « Car il faut que chacun compose le poème de sa vie ». Car l’art existe aussi pour veiller sur la mémoire de ceux qui ne sont plus.

La mémoire de l’art contre l’amnésie

Roger Dautais place avec constance la mémoire au cœur de sa démarche d’artiste. À propos d’un de ses « gisants » installé sur un ancien champ de bataille, il écrit : « Je le sens vivant,  porteur de  mémoire de tous ces hommes  morts au combat, valeureux et lâches rassemblés en un ru de sang mêlés ». « Fossoyeur des âmes en peine », il dédie ses « étoiles de David » aux victimes de l’holocauste. Depuis le massacre du 7 janvier 2015 au journal Charlie-Hebdo, il rend un hommage régulier à ses victimes, pour que l’actualité « ne range pas Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et tous leurs amis dans l’armoire des oubliés ». « J’ai toujours su saisir le moment où la musique de  l’amnésie s’installe, avant que tout ne disparaisse. Il est contenu dans ce que je fais », glisse-t-il avec lucidité sur son blog.

mémoire roger dautais
Roger Dautais, Mémoire flottante

Il a pratiqué l’art-thérapie auprès de personnes malades d’Alzheimer, en Normandie, dans la maison de retraite où travaillait Marie-Claude son épouse. Il consacra à cette expérience menée avec la neuropsychologue Marie-Laure Jariel, un film sensible et émouvant réalisé en 2011 avec Jean-Jacques Lion, qui porte ce beau titre, « La mémoire amnésique » [5], nom qu’il avait donné précédemment à plusieurs de ses créations de land art. Quand les repères et la mémoire du quotidien s’effacent, il reste l’être humain, à nu dans la fragilité de l’instant. C’est bien ce noyau irréductible de l’être humain qui mobilise Roger Dautais. C’est aux laissés-pour-compte, aux déclassés de notre société, qu’il veut par son art rendre parole, dignité et un peu d’humanité. Que ce soit les malades, les gens sans-abris, déshumanisés par les trois lettres SDF, dont il entretenait les sépultures à Caen, ou les prisonniers condamnés à de longues peines qu’il a côtoyés pendant plus de six ans en qualité d’artiste-intervenant dans un centre de détention.

En homme debout et indigné, il s’insurge dès que la mémoire et la dignité humaine sont bafouées. Sa série de land art sur les « exilés de Lampedusa », dont Guy Allix témoigne et rend compte avec justesse et sensibilité dans cet article, s’inscrit dans cette démarche initiée dès le début de son chemin en lard art. Sa colère contre le drame des réfugiés et des exilés, contre l’indifférence et le rejet, n’est pas dictée par une compassion passagère coutumière à certains artistes et écrivains, à l’affût des catastrophes pour trouver de nouvelles sensations pour leur inspiration essoufflée. Son attention au sort des exilés n’est pas un sujet plaqué qui lui viendrait par le bruit de l’actualité. Elle fait tragiquement suite à sa longue fréquentation des exilés et réfugiés à Caen, tibétains, géorgiens, arméniens, roumains, yougoslaves, algériens, maliens, exclus de la communauté des humains. Chez Roger Dautais, l’homme et l’artiste ne font qu’un. En fraternité avec la souffrance, il nous rappelle que c’est l’art, par « ses soubresauts salvateurs », par sa capacité de mémoire et d’empathie, qui fait de nous des êtres humains.

Le chemin des grands jardins 

Roger Dautais sur landart.fr

 

Notes

[1] : Livres pour enfants dont il est l’auteur : Les anges aux pattes rouges (Illustratrice I. Jibladzé, Éditions du Petit Chemin, 2005), Muze et Potiron au pays des mille lacs (Éditions du Petit Chemin, Condé sur Noireau, 2007) ; auteur également d’un livre d’artiste : Folart (co-auteur Y. Guégan, Éditions Syllepse, Paris, 2002).

[2] : En Bretagne, quatre de ses land arts ont été cependant publiés dans la revue annuelle Spered Gouez / L’Esprit sauvage, en couverture du n° 16 Signe des traces (2010) et du n° 20 Effacement (2014).
Trois autres ont également illustré le livre Petites notes d’amertume de Marie-Josée Christien (Les Éditions Sauvages, collection « La Pensée Sauvage », 2014).

[3] : Parmi ses lieux de prédilection : Le Men Du, l’île de Stuhan, les falaises de Ty Bihan à Carnac, la pointe de Kerpenhir et l’allée couverte des Pierres Plates à Locmariaquer, la baie de Saint-Jean et le dolmen de Luffang à Crac’h, le champ des martyrs et le pont romain de Brech, le lac de Tréhauray.

[4] : Dessin d’un cahier dans la présentation de Serge Mathurin Thébaut

[5] Film documentaire : La mémoire amnésique (auteur R. Dautais, Fag Prod. et Le Chemin des Grands Jardins, 2011). Film sur Roger Dautais : Portrait du land artiste Roger Dautais en performance land art, commande de la ville de Caen (Auteur-réalisateur M. Follorou, AMF Prod, 2003

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Marie-Josée Christien
Marie-Josée Christien est poète et critique. Elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991. Lauréate du prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre, traduite en allemand, bulgare, espagnol, portugais et breton, elle est présente dans une trentaine d’anthologies et d’ouvrages collectifs. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages dont Lascaux & autres sanctuaires (Jacques André Editeur), Conversation de l’arbre et du vent (liste de référence du Ministère de l’Education Nationale en 2013, Tertium éditions), Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Aspects du canal (Sac à mots éditions), et en 2014 aux Editions Sauvages, Temps morts (préface de Pierre Maubé) et Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier).

1 COMMENTAIRE

  1. J’aimais beaucoup son art, sa profondeur, la beauté de ses oeuvres éphémères, et celles qui resteront, sa poésie.

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