Black Lilith Records sortait sa première compilation le 18 décembre dernier. Mené par Orane Guéneau, propriétaire du bar La Part des anges, ce nouveau label rennais queer, féministe et anti-raciste, se veut un espace de création libre et libéré. Pour ce premier album, il propose 12 titres percutants d’artistes méconnu.e.s explorant une variété de territoires musicaux.

La première compilation du label rennais queer, féministe et anti-raciste Black Lilith Records sortait le 18 décembre dernier. Lancé pendant la période trouble qui affecte le pays depuis maintenant un an, le projet d’Orane Guéneau s’inscrit dans un mouvement de libération de la parole féminine qui agite le monde de la culture depuis quelques années et qui s’est particulièrement manifesté dans l’industrie musicale l’année passée.

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Après avoir créé un raz-de-marée dans le monde du cinéma, des médias, de la littérature, du sport, le mouvement de dénonciation des violences sexistes et sexuelles ne semble pas prêt d’arrêter sa course et d’éclabousser, à juste titre, le monde de la culture. Dans le prolongement de la vague #meetoo en 2017, le hashtag #musictoo dénonce depuis l’été 2020 le harcèlement sexuel dans l’industrie musicale. La DJ Rebekah a notamment lancé une campagne sur le harcèlement et les violences sexistes que subissent immanquablement les musiciennes.

En fin d’année, plusieurs labels et regroupements aux valeurs féministes et égalitaires ont également vu le jour : Rebecca Warrior, reine sorcière des groupes Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Kompromat, a créé le label queer, transféministe, anti-raciste et résistant, Warrior Records. À Nantes, des rappeuses se sont rassemblées au sein du collectif LA.Club, tandis que leurs consœurs de Zone Rouge, collectif de musique électronique, fêtait récemment son premier anniversaire. À Rennes, le collectif féminin Elemento Records a fait son apparition début janvier et s’apprête à sortir une première compilation. Ce véritable bouillonnement suggère que même à l’arrêt, même immobilisée par la pandémie, la culture fait bouger les mœurs et les mentalités.

Dans cette veine, Black Lilith Records s’engage pour faire bouger les lignes de la domination et mettre au grand jour certaines vérités concernant la discrimination des artistes femmes et transgenres dans l’industrie musicale. « La place de la femme dans le monde de la musique est nébuleuse. Il faut qu’elle colle à une image, un standard », commence Orane Guéneau, propriétaire du bar La Part des anges et fondatrice du label. « Elle est habituée à ne pas broncher, à s’aplatir de peur de ne pas être légitime… L’industrie musicale reste encore très misogyne et voir naître ces projets au même moment dans des endroits différents est à la fois génial et mystérieux. »

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Orane Guéneau, fondatrice du label queer, anti-raciste et féministe Black Lilith Records, et patronne du bar La Part des anges, rue Saint-Mélaine à Rennes.

La Part des anges, un bar « à soi »

Tour à tour scénariste, réalisatrice et photographe, Orane Guéneau baigne dans le monde de la culture depuis des années et en connaît les vices. Elle est également propriétaire du bar La Part des anges à Rennes depuis 6 ans. « Je voulais faire de cet endroit un lieu féministe », explique-t-elle. « Les débuts n’ont pas été faciles. Beaucoup m’ont charrié, mais le phénomène #metoo a tout changé. Aujourd’hui, plus personne n’oserait dire quoique ce soi. » Le bar devient aussi un lieu de rassemblement des personnes LGBT+, une communauté d’ailleurs peu représentée dans la sphère publique rennaise, si l’on excepte l’annuelle Marche des fiertés.

Progressivement, l’établissement d’Orane Guéneau se fait refuge où les langues se délient dans la confiance. La barmaid ne compte plus le nombre d’histoires sordides qu’elle a entendues derrière son comptoir : demandes déplacées, discrimination, harcèlement et abus sexuels, etc. « Rennes semble plus « safe » que d’autres grandes villes, mais ces témoignages prouvent que les violences existent également ici. Il y a des planches pourries partout… »

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De gauche à droite : Léa Schweitzer sur le tabouret, Claire Auffret, Orane Guéneau (fondatrice du label Black Lilith records), Margaux Desailly du groupe Mamel, Cléa Laizé, Roxane, Hélène Bertrand, Maurane Chabot (président de l’association Black Lilith records), Rosa Miller, Eliott Peniguel © Louise Quignon / Hans Lucas

Ces témoignages sur les violences psychologiques et physiques subies motivent Orane Guéneau à s’investir auprès de ces artistes femmes et queer. L’émulation culturelle déjà naissante au bar est renforcée, dans un premier temps, par la création de l’association Roz’ven, qui facilite l’échange de matériel, l’utilisation de lieux et aide au développement artistique. Pendant le premier confinement, des ateliers d’initiation aux logiciels Ableton et Logic Pro ou d’écriture scénaristique sont mis en places. « Roz’Ven cherche vraiment à travailler sur un lieu avec des espaces de répétition, une scène pour se produire, etc. Une vraie maison de la culture à destination des femmes ». Le confinement de mars a malheureusement contrecarrer les plans de ce projet exceptionnel au moment où une attribution de lieu était envisagée par Rennes Métropole. Pour autant, Orane a su tirer du positif de la période. « Black Lilith découle en quelque sorte de l’asso Roz’ven et du confinement. »

« On veut l’égalité, qu’ils et elles soient traité.e.s à talent égal. »

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Le label Black Lilith : queer, féministe et anti-raciste

L’infantilisation féminine permanente, la discrimination envers les femmes et les personnes transgenres, « on est habitué.e.s à avancer avec le poids de la différence », la colère des constats, la rage à l’écoute d’un énième témoignage de jeune fille en pleurs… Ces violences omniprésentes dans tous les milieux de la culture ont nourri le label queer, anti-raciste et féministe Black Lilith Records. « Je me suis longtemps demandée si je devais intégrer le sigle LGBTQI+, mais son absence est justement l’acte militant. Les étiquettes féministe et queer sont politiques et pas sexuelles. Elles n’enferment pas dans une case ». Sans exigence de genre, de sexualité ou de militantisme, les artistes qui se retrouvent dans les valeurs égalitaires du label sont les bienvenu.e.s. « J’aimerais que l’on se concentre sur leur talent plutôt que de les instrumentaliser pour leur physique ou les juger sur leur genre, leur sexualité. C’est la musique qui importe. »

« En août dernier, j’ai demandé aux musicien.ne.s qui fréquentent le bar de composer un morceau. Je les ai un peu orientés, je ne voulais pas d’un discours de victimisation », précise-t-elle. « Le premier album de Black Lilith est né de cette demande ». Devant l’enthousiasme d’Orane Guéneau à l’écoute des premiers morceaux envoyés, un ami de Beast Records l’encourage à créer son propre label. La nouvelle maison de disques rennaise prend alors le nom de la première femme d’Adam dans la tradition hébraïque. « Lilith est la première femme chassée de façon symbolique du Paradis, c’est-à-dire de la société, parce qu’elle était trop sauvage, trop libre. Elle est pour moi la première représentation féministe et son nom revient régulièrement dans les créations féministes. » Clin d’œil aux Rolling Stones, à l’Immaculée Conception et à la vulve, le logo est un concentré de provocation et de transgression habilement mis en dessin par Aurélie. Une identité visuelle a priori choquante puisqu’elle leur a valu une censure de la part des réseaux sociaux hautement prudes Instagram et Facebook…

« Lancer ce label est un acte politique, mais le contenu ne le sera pas forcément. »

ORANE GUÉNEAU

« Le premier vinyle est réalisé à 100% par des anges… »

Entièrement auto-financée, la première compilation de Black Lilith Records, éditée à 1000 exemplaires vinyles, rassemble 12 titres (10 titres sur le vinyle et deux morceaux bonus en digital). Ils ont été composés exclusivement par des artistes qui ont un jour franchi la porte de La Part des anges, et qui, pour la plupart, débutent dans la musique : Ava (Claire Auffret), Hélène Bertrand, Cléa Laizé, le duo LuXure (Nikita et Mars), le groupe Mamel, Oscar (Rosa Miller), Querelle, le duo Barbara Rivage (Roxane Argouin et Vivien Tacinelli) et Léa Schweitzer. Pour autant, chaque morceau est la promesse de projets artistiques à la fois pointus et originaux. « 98% des artistes sont comédien.ne.s, sauf Ava, chanteuse lyrique, et Roxane. »

Bien que le vinyle porte sans conteste une touche politique, la suite ne le sera pas pour autant. « Je ne veux pas demander aux artistes queer de ne faire que du militant. Black Lilith est un espace de parole libre. D’autres chansons, comme « Alba et Bianca » et « Bras Velours » de NobraKlüb (Léa Schweitzer et Cléa Laizé) parlent juste d’amour. »

Le duo LuXure, formé de la comédienne Nikita et du comédien-musicien Mars, ouvre le bal avec Boys Kkklub, un titre hip-hop résolument féministe et engagé qui dénonce l’emprise des « boys club » sur le monde. Les premières notes de l’hymne féministe des manifestations « Un violador en tu camino » (« Un violeur sur ton chemin ») annoncent la couleur.

Dans un registre plus disco pop et French Boogie, les deux chanteuses Cléa Laize et Léa Schweitzer de Nobraklüb abordent avec simplicité et justesse la rupture amoureuse dans « Bras Velours » et les difficultés au sein d’un couple lesbien dans « Alba et Bianca ». « On est juste des créatures émotionnelles qui avancent. On a tous les même galères », confie Orane Guéneau. Ainsi, Ava, dans « Abysses », nous plonge dans un flux de conscience poétique sur fond de trap atmosphérique.

Place à une session rap sale avec Roxane Argouin qui débite les paroles parfois crues, mais justes, d’« Amazone », pour aborder une situation récurrente pour les couples lesbiens : « les allusions, les dragues déplacées de la part des hétéros. Le vivre régulièrement est quelque chose de violent et dit beaucoup sur le manque de respect envers les couples de femmes. » On la retrouve d’ailleurs quelques pistes plus loin avec « En plein jour », en duo avec Vivien Tacinelli.

« Walk Straight » (« marche droit »), ces mots prononcés parfois de façon réductrice ou pour se donner le courage d’avancer, clôture l’album avec une touche électro. Hélène Bertrand part du constat de l’omniprésence de la peur chez toutes les femmes seules et termine la compilation sur une note positive. « Il s’agit simplement d’une meuf qui marche seule dans la rue. Le titre aborde les violences sexistes et sexuelles la nuit et commence avec une ambiance très anxiogène. Mais au fur et a mesure, différentes voix se croisent : la première est très ironique et rabaisse la personne, la seconde la calme et la troisième, battante, lui donne de la force. La construction du morceau fait que l’ambiance anxiogène du début, dans laquelle on se retrouve tous et toutes, se transforme. »

Cette première sortie ne peut que donner l’eau à la bouche quant à la suite. « Le prochain album proposera des artistes plus connu.e.s. On a aussi pensé à des reprises de classiques lesbiens comme Anne Sylvestre. Je réalise en ce moment une comptine avec Flora et ma fille de 8 ans, Roxane travaille actuellement sur la prostitution. C’est ce que je veux pour le label, une liberté totale de paroles dans les sujets abordés. » Orane Guéneau imagine également une tournée, et pourquoi pas des soirées queer honorant la Rennes militante des années 80/90. Celle-ci semble renaître de ses cendres grâce à une nouvelle génération investie et engagée. Une place à prendre à Rennes que le label Black Lilith Records se fait une joie de combler.

Site Black Lilith Records

Compilation sortie le 18 décembre 2020

Disponible sur les plateformes Bandcamp, Deezer, Spotify, Youtube

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Article réalisé par Jean Gueguen et Emmanuelle Volage

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