Le groupe rennais la Terre Tremble est un « film déguisé en musique ». Il sera à Bruz le dimanche 14 décembre. Dans le cadre du festival national du film d’animation, il donnera une nouvelle interprétation de son ciné-concert Tom & Jerry (non, non, rien à voir avec le chat et la souris !). 

 

 la terre trembleAprès sept ans d’existence et deux albums  détonants (Travail, 2009 / Salvage Blues, 2012) le trio peu commun La Terre Tremble!!! s’est discrètement imposé comme une formation musicale rennaise sur laquelle il faut compter. En projetant un ciné-concert autour de six cartoons des Studio Van Beuren Julien Chevalier, Benoît Lauby et Paul Loiseau ont confirmé l’aspect iconique de leur projet, l’importance de la découpe syncopée et du montage divergent dans leur musique. Blues électro-tectonique, prog-rock décalé et hypnotique, free-jazz volcanique – autant d’éléments aussi réjouissants que frénétiquement sautillants qui s’intègrent à la projection sans éviter la surprise et le décalage.

Unidivers : La Terre Tremble, la terra trema… Film de Visconti ? Le choix du nom, déjà une référence au cinéma…

La Terre tremble – Faut d’abord savoir que La Terre Tremble!!! est un groupe de cinéastes frustrés ! Au fond, nous aurions tous les trois voulu faire des films, mais n’avons jamais franchi le pas et avons préféré une voie plus à notre portée ! Ça n’engage que moi, mais un plan de John Ford me fascine autant, voire plus, qu’une chanson des Beatles, et dieu sait que je vénère les Beatles, mais une seconde de La Soif du Mal ou de La Horde Sauvage vaudra toujours plus que les discographies complètes des Stones et de Bowie réunies ! Un des rêves d’enfance de Benoît et Julien, c’était d’être directeur des effets spéciaux à la grande époque du cinéma gore, du coup j’imagine qu’ils doivent transférer ça sur leur jeu de guitare ! Moi j’aurais rêvé d’être monteur, et ça doit probablement se ressentir sur les chansons de la Terre Tremble!!!. Bref, faire de la musique, c’est presque comme un magnifique substitut au cinéma.

pPAFLaTerreTremble-3163Les échéance sont plus rapides, les enjeux financiers sont moindres, il y a cent fois moins d’intermédiaires entre ton impulsion originale et le résultat, mais il y a des points communs, comme la faculté de pouvoir jouer avec le temps, de pouvoir faire figurer dans un cadre une chose et son contraire, d’utiliser la technique pour tenter d’arriver à une profondeur de champ, il y a des manières de « cadrer » une mélodie, il y a aussi tout le jeu d’interprétation, doit-on être dans l’exubérance, la distanciation ou le maniérisme ? En délirant un peu, il y aurait par exemple de gros parallèles à faire entre la musique de CAN et les films de Buster Keaton, cette idée de la ligne droite horizontale que l’on suit, parsemée d’accidents. Donc oui, le nom du groupe c’est surement une manière inconsciente de dire que tout ça n’est qu’un film, mais déguisé en musique. Après bon, Visconti a un penchant pour la fresque romanesque et naturaliste qui me semble assez éloigné de notre musique.

: La Terre Tremble c’est trois multi-instrumentistes et trois voix. Les instruments sont plutôt électriques et bruyants. Une étrange configuration pour un ciné-concert, non ?

Le fait d’être multi-instrumentistes, c’est justement une force pour le ciné-concert, ça nous permet d’avoir un spectre large qui rentre en consonance avec les différents tons du film. Par rapport aux concerts classiques de La Terre Tremble!!!, on s’est même permis d’élargir la palette sonore en incorporant des instrument moins électriques ou des synthés analogiques. Il fallait pour nous que ce ciné-concert reste dans la continuité de ce qu’on fait avec La Terre Tremble!!! – donc quelque chose de très électrique, avec pleins de contrastes et de ruptures de ton –, mais en restreignant un peu le côté rock et bruyant. On se serait mal vu tenir tout un film en restant sur le schéma rock « guitare-batterie ».

: Le dessin animé Tom et Jerry date des années 30, mais il est vif, plein de danses. C’est un des éléments qui vous a motivé ?

p5022718180_e8622f206eAvant de choisir ces films, on a passé longtemps à se demander quel film dialoguerait avec notre musique. Parce que faire un ciné-concert pour faire un ciné-concert, il n’y a a priori rien de plus simple : tu plaques ta musique sur un film, et basta, c’est dans la boite ! Sauf que ça ne marche pas comme ça, il ne s’agit pas d’ambiancer ou de simplement orner un film que tu aimes bien. C’est un exercice pas du tout naturel et assez délicat : il s’agit de faire une relecture d’un film, c’est donc une trahison. Car autant dire que les films de Chaplin, de Fritz Lang ou de King Vidor, même muets ils se passent volontiers de la musique live jouée par le premier venu. Et à l’inverse, tu peux vite te faire emprisonner en jouant sur un film que tu respectes trop, et donc faire quelque chose d’un peu trop timide et « au service de ». Donc l’intérêt pour nous, c’était de choisir une oeuvre un peu mineure, qui laisserait de la place à une complète réinterprétation sonore, et dont le rythme pourrait dialoguer avec le nôtre. Dans le cas de ces cartoons, il y avait toutes ces ruptures de ton, cette frénésie de contraste, ce flux continu de mouvements. Ça nous semblait être un terrain parfait pour notre musique. Ca nous donnait la possibilité d’accompagner – voire parfois souligner – tous ces mouvements, mais aussi et surtout d’aller contre le film, contre l’action, d’être à l’opposé de l’illustration pure. Et effectivement, le côté danse et comédie musicale de ces cartoons était justement le terrain parfait, car il nous permettait de tout réinterpréter musicalement, d’entrer en confrontation avec le nostalgisme qu’on aurait pu attendre de ces films.

: L’aspect cocasse et burlesque de ce film, de ces personnages mal assortis, ce n’est pas ce qui vient tout de suite à l’esprit quand on écoute les disques de La Terre Tremble… Ce projet est-il une bonne manière de sortir de votre univers ?

la terre trembleAu fond, ces deux personnages effectivement burlesques ne nous ont jamais intéressés plus que ça. Je trouve qu’ils ne sont pas si importants, ils sont plutôt le prétexte à autre chose. C’est tout ce qu’il y a derrière eux qui nous semblait le plus parlant. Ces cartoons sont modernes dans le sens où l’image ne va pas de soi, il faut aller gratter derrière pour comprendre. Les personnages principaux de ces films, ce serait plutôt les lieux, l’espace dans lequel évoluent les personnages, un peu comme chez Dario Argento, l’affect l’emporte sur les personnages. Les lieux y sont toujours mouvants et menaçants, les objets prennent vie, les murs changent de forme… Il y a même un peu de perversion dissimulée. Donc en focalisant notre point de vue sur tout ça, on n’a pas eu trop de mal y intégrer notre univers musical. S’il avait fallu jouer principalement sur le côté comique et burlesque de la chose, effectivement, on se serait senti un peu ridicule et pas à notre place ! Mais il y encore autre chose de plus important, c’est le hors-champ de ces films. Derrière ce petit divertissement ce cache tout ce que l’Amérique du début des années 30 refoulait. Il faut avoir à l’esprit que l’on est pendant la Grande Dépression, juste avant la Seconde Guerre mondiale. Et pour couronner le tout, le « Code Hays » était en vigueur à Hollywood et interdisait toute représentation « immorale » –  qu’elle soit d’ordre sexuel ou politique. Ce cadre très stricte et puritain fait que tout devait se faire dans le sous-texte, dans le hors-champ. Et en voyant ces cartoons, on se rend bien compte que l’Amérique est dans une période de peur, et que ces troubles – politiques et sexuels – débordent de l’image. On sent que le pays se cherche, qu’il n’est pas à l’aise avec sa propre histoire, avec ses fantômes, ni avec son rapport complexe à l’Autre – qu’il soit noir, indien, communiste, européen… C’est une période sombre de l’histoire, et c’est cela même qui engendre le fantastique. Donc musicalement, c’est toutes ces choses dissimulées qu’on a cherché à mettre en lumière, en bons fanatiques du Morricone des 70’s devant l’éternel ! Dans La Terre Tremble, on a toujours eu ce petit penchant pour tout ce qui est dissonant, menaçant et martial… donc on n’est pas si éloignés que ça de l’univers secret de ces cartoons.

: Imaginez-vous reproduire cette expérience autour d’autres films ? Quel film muet (ou non) vous inspirerait ?

En général quand on regarde un film – et qu’il est bon – on n’a pas envie d’y toucher, non ? Donc c’est assez dur de répondre. Et puis on est assez fiers du boulot qu’on a fait avec ce ciné-concert. On l’a aussi énormément tourné, donc on préfère rester sur une bonne impression. Il ne faudrait pas que ça devienne un truc habituel qui sente le déjà-vu. À moins de tomber sur une idée complètement folle, je ne sais pas, imaginer bosser en direct avec un vidéaste ou un cinéaste… On n’y a pas vraiment réfléchi, ça reviendra peut-être un jour…

: Et en dehors des concerts et des ciné-concerts, un nouvel album se profile ?

Ça se profile, oui. On est en train de bosser dessus. Nous en sommes à l’étape où il nous faut casser “Salvage Blues” afin d’y voir plus clair ! Et puis notre travail sur “Tom & Jerry” nous a apporté plein d’idées neuves, une autre manière de jouer, et ça risque de se ressentir sur les nouvelles chansons.

Dimanche 14 décembre, 16 heure, durée 1h (Tarif unique 6 €, tout public à partir de 6 ans)
Tom & Jerry, La Terre Tremble!!!, ciné-concert dans le cadre du Festival National du film d’animation, Le Grand Logis, Bruz

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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