L’édition 2015 de La Route du rock aura dû essuyer moult infortunes ! Annulation « loufoque » d’une tête d’affiche internationale, météo désastreuse… Malgré une préparation au cordeau et enthousiaste, nul n’est à l’abri de telles calamités. Toutefois, loin de ces considérations, ces conditions pessimistes auront eu l’avantage de mettre plus encore en avant l’intelligence sourcilleuse d’une programmation ambitieuse…

 

Route du Rock – Jour 1 – Objectif gadoue

Ça se profile mal, à l’arrivée au fort Saint-Père. Malgré les prières, la météo a vu juste… Sur la route qui mène à Saint-Malo comme au Fort, le déluge est torrentiel. De violentes bourrasques déchirent l’air et soulèvent les tentes. Les voitures s’embourbent en rentrant sur le parking. Qu’on se le tienne pour dit, on va en baver… Mais qu’importe les tempêtes, le festivalier est une espèce rare que rien au monde ne pourrait arrêter. Il a son billet en poche depuis des jours, des semaines, des mois, et ce ne sont pas les caprices du temps breton qui vont l’empêcher de profiter de son festival ! On sort les bottes, les ponchos et on mouille le maillot. C’est parti !

route du rockIl y a vraiment de quoi être impressionné. Non pas par la tempête. On a l’habitude ici. Mais par la ferveur des gens qui s’activent vivement pour poser leurs tentes sur le terrain boueux et courir s’en mettre plein les tympans. Il y a quelque chose de quasi religieux, du moins de cathartique dans ces instants qui précèdent l’ouverture de la Route du Rock, quelque chose qui tient du pèlerinage, qu’extérieurement on aura du mal à saisir, mais que comme festivalier, on ne connait que trop bien et qu’avec impatience, on attend chaque année : ce moment de fuite du monde réel, du relâchement de la conscience, de fièvre sonore partagée à laquelle on abandonne pendant trois ou quatre jours sa vie et ses vicissitudes. Bon, vous nous direz aussi que lorsqu’on a acheté son billet et qu’on se rend compte la veille pour le lendemain que Noé et son arche seront peut-être de passage sur le festival, on prend son courage à deux mains, un ciré et on y va ! Il faut l’avouer, ça joue aussi. Mais qu’importe les raisons pour lesquels nous sommes ici, l’important est qu’on y soit et mauvais temps ou pas, il s’agit d’en profiter. Que les festivités commencent !

Le Fort se remplit timidement quand Wand prend possession de la scène des remparts. C’est au jeune groupe garage qu’incombe la lourde tâche d’ouvrir le festival, alors que la pluie vient tout juste de s’arrêter. Même s’ils conservent leurs capuches par peur qu’elle ne reprenne, les festivaliers s’amassent doucement devant cette première curiosité. Les Californiens distillent leur son parfois psyché, parfois grunge avec ces hésitations d’écriture qui distinguent les jeunes groupes, mais qu’on leur pardonne aisément. Les premiers pogo sont lancés et des mares de boue se forment devant la scène. Passée pourtant la première moitié du concert, le groupe peine à nouer avec le public et les compositions se perdent dans les expérimentations guitaristiques. Des deux côtés de la scène, on commence à se lasser et une dernière ballade solo – ou complainte, on ne saurait dire – vient expédier le concert. Wand quitte la scène en nous laissant sur notre faim. Triste final pour ce premier live…

Mais serait-ce à cause du temps que les groupes triment pour que la sauce prenne ? The Thurston Moore Band, pourtant tête d’affiche de la soirée côté rock, lance difficilement ses premiers riffs sur la foule. Le premier morceau passe comme un ange. Mais comme un bon vieux diesel qui prend son temps pour démarrer puis rugir, Thurston Moore lance Speak to the Wild et la machine est lancée. Le rock métallique et les riffs surabondant et mathématique du quatuor envahissent le Fort. Qu’on aime ou qu’on aime, on ne pourra en vouloir à T. Moore de rester fidèle à lui-même. Les nuages commencent à se dissiper. Devant, on commence sérieusement à headbanguer et à laisser la musique prendre le dessus. la-route-du-rock-2015-algiers-foals-fuzz-ty-segall-spectresLe final, masturbatoire – pardon il n’existe aucun autre mot dans la langue française pour décrire le jeu des musiciens – laisse les festivaliers exténués, mais rassurés. Le festival, cette fois-ci c’est certain, a vraiment commencé.

Et les amateurs de riffs n’ont pas fini de savourer ! Car c’est au tour de Fuzz, dernière émanation de Ty Segall, de s’emparer de la scène du fort et d’y déverser son stoner endiablé. Distorsion crasseuse, cheveux longs et une batterie furieuse, un instant on a cru revoir Led Zeppelin ou Black Sabbath s’inviter à La Route du Rock. Ty Segall, pour notre plus grand plaisir, ne mâche pas ses coups sur ses fûts. Une ode bluesy surgit à la volée, mais ce sera le seul répit pendant de ce concert. On headbangue à l’envie pendant que les trois compères, maquillés à la Marylin Manson, martèlent leur rock 70’s et décrassent les oreilles vierges des retardataires. On en peut plus à la fin, mais on en redemande encore.

Algiers2Difficile après ça d’assurer la suite, mais la programmation ce soir est décidément bien faite et pour succéder à la déflagration Fuzz, Algiers s’invite sur la scène opposée. Et là, que dire… ? Que dire vraiment de la performance d’Algiers ? Sinon que ce live possédé et frénétique aura donné des frissons à n’importe quelle âme de passage, qu’elle a laissé le parterre des festivaliers en transe, que cette soul grunge et tribale n’avait rien d’humain et tout de l’incarnation. Un concert rare, que l’on a cueilli avec délice et dont on se souviendra longtemps.

Algiers1Pas encore tout à fait remis du live d’Algiers, on se dirige vers la scène du fort, mais la foule se fait très vite compacte. Mis à part quelques récalcitrants, Timber Timbre, avant même avoir joué a déjà conquis le festival, la multitude des festivaliers s’étendant devant lui comme hypnotisés par la lumière fantomatique qui s’échappe des spots scéniques. Les turbulences soul et hantées du crooner post-moderne se délient sans fausse note, mais rendent le choc suivant, Girl Band, d’autant plus difficile à supporter. Il aurait peut-être fallu être sous substance pour apprécier le concert des Irlandais, mais sobre – cela relevait de l’exploit. Alors que le clip de « Why they hide their bodies under my garage ? » laissait présager une performance post-punk survoltée, le live, certes énervé, était bien vide de sens. Faute est de constater qu’il ne suffit pas de s’habiller comme Kurt Cobain, hurler dans le micro et feinter la rage du mythe pour en avoir le talent. La rage, sans message et sans raison, n’est rien d’autre que du bruit. Girl Band 2On n’aura pu en avoir un aperçu ce soir. Mais enfin, la performance a su trouver son public dans une fosse elle-aussi enragée, sans doute sans trop savoir pourquoi.

Heureusement, pour conclure la soirée – la programmation est vraiment bien faite – Ratatat a sorti le grand jeu. L’électrorock illuminé des New-Yorkais a embrasé le fort et littéralement enseveli son public sous les lasers et ses rythmiques. De quoi rassasier ceux qui ne l’auraient pas été, mais ce n’était que le premier soir.

P.S : Mention spéciale à ce sombre inconnu en salopette qui a exécuté des heures durant la danse de la pluie dans la gadoue, et qui en a entraîné plus d’un avec lui !

Route du Rock – Jour 2 – Surprises et confirmations

La vie de festival a repris ses droits sur le fort Saint-Père en ce deuxième jour de Route du Rock. Sous le soleil défilent quelques nuages épars, de très bon augure pour cette soirée. Seuls vestiges du mauvais temps d’hier, l’odeur de la paille mouillée, jetée en urgence sur les flaques de boue qui s’étalaient hier devant la scène des remparts. Il est 18h et les festivaliers commencent à errer sur le site dans l’attente des concerts. On traîne encore au camping ou on taille le bout de gras aux comptoirs, ici ou là. C’est aujourd’hui que Björk aurait dû fouler la scène du Fort, mais il n’en sera rien, l’artiste islandaise ayant décidé de ne plus jouer son dernier album sur scène. Elle s’en expliquait sur Facebook. Les nouvelles compositions seraient trop douloureuses pour elles à chanter. Si elle laisse les organisateurs de La Route du Rock comme les festivaliers écœurés, ils ne sont pas résignés pour autant. L’affluence promet d’être impressionnante ce soir. C’est que ça bouchonnait très vite en arrivant sur le Fort.

La soirée commence doucement, mais sûrement avec Only Real, dont la pop chamallow a tôt fait de faire vibrer les festivaliers encore engourdis par la soirée de la veille et les nouveaux arrivants venus quand même spécialement ce samedi – Non, Björk tu n’emporteras pas ton annulation au paradis. La nonchalance et le je m’enfoutisme adolescent de l’artiste fonctionne merveilleusement bien sur scène. On commence à danser timidement, et on savoure cette mise en bouche un peu sucrée. Tout de suite, on ne regrette pas d’être revenu à Saint-Malo.

kiasmosLe live d’Only Real à peine terminé, les deux musiciens de Kiasmos installent leurs platines et leur son en toute modestie sur la scène opposée. Plus aucun nuage à l’horizon pour ce deuxième concert, comme quoi les dieux savent parfois faire preuve de clémence. Le duo livre une électro hybride, dansante et planante, rêveuse et rythmique, qui a vite fait d’attirer une foule de curieux. Il est à peine 19h30 passée, mais on danse déjà carrément dans la fosse sur cette électro futuriste, parfaite B.O imaginaire de la rencontre improbable entre Dirty Dancing et Blade Runner – oui, vous pouvez crier au blasphème, Dirty Dancing et Blade Runner. Mais essayez d’imaginer et vous aurez une très bonne idée de ce que l’expérience Kiasmos est capable de diffuser.
hindsC’est ensuite au tour de Hinds d’en découdre avec ce public cette fois-ci bien réveillé ! Les Madrilènes déboulent avec un garage insouciant, girly, mais pas trop, teintée de pop et de surf music. Leurs compositions faussement naïves et racées ne mettent pas longtemps à conquérir les festivaliers. Elles ont plaisir à jouer sur scène. Et ça se voit ! La vraie découverte de cette soirée !

The Soft Moon profite de la tombée de la nuit pour installer son atmosphère hantée. Le rock sombre du californien et ses cris doivent s’entendre jusqu’à Saint-Malo, pendant que la basse tambourine de façon oppressante. Dommage que la formule ne s’épuise dans ces textures sonores hallucinées qui siéent au studio, mais peinent un peu en live. Ce climat angoissant, cette ambiance noire et crispée, c’est finalement Spectres qui l’impose et la martèle définitivement ce soir à coup de larsen. La performance du groupe n’est pas des plus communicatives, mais le post-punk lacéré et implacable du groupe, l’urgence paranoïaque de leurs compositions sont sacrément efficaces.

Arrive alors le concert de Foals, finalement autant attendu que la performance de Björk. Il faut croire ce live maudit puisque le bassiste du groupe, tombé malade dans l’après-midi, ne pourra jouer ce soir. Mais coûte que coûte, et comme un pied de nez à la diva islandaise qu’ils remplacent, Foals a décidé que le concert aurait bien lieu ! C’est donc leur backliner qui tiendra la basse. Le quatuor déchire la nuit avec un premier morceau rock bien acéré et s’empare de la scène avec une simplicité effarante, pendant que de l’autre côté du fort, on danse et on se défoule allègrement dans la paille. Rien à redire sur la performance des Anglais qui confirment n’être plus la découverte d’il y a quelques années.

C’est fini pour ce samedi. Mais il ne reste déjà plus qu’une journée. « Quoi ! Déjà ?! »

Route du Rock – Jour 3 – Consécration rock

Troisième journée à la Route du Rock et non des moindres. Festivalier ! Toi qui as déjà survécu à ces deux premiers jours, pour ta dernière soirée, tu seras comblé ! Que tu aimes le rock ou l’électro, encore une fois, la programmation s’annonce riche en émotions.

the districtsOn ne va se mentir la fatigue commence à se faire sentir. Un petit peu. Au moment de commencer, le Fort est encore quelque peu léthargique. Mais qu’à cela ne tienne, les quatre garçons débraillés de The Districts ont bien décidé de nous décrasser les tympans. Le rock illuminé du groupe de Pennsylvanie nous rappelle pourquoi la Route du Rock porte si bien ce merveilleux sobriquet. Les guitares s’excitent sur des refrains d’obédience plus folk. Ça sent les grands espaces, des chansons écrites pour la route. Comme souvent dans le rock U.S, il y a quelque chose de transcendant dans ces refrains comme s’ils n’étaient écrits ni pour les artistes, ni pour le public – on en aurait voulu au groupe de se vendre -, mais pour quelque chose de plus grand, des idéaux, des valeurs, des sentiments… Qui sait ? Fourbure oblige, on écoute timidement d’abord avant d’être conquis et d’applaudir à tout rompre. Merveilleux début de soirée.

Ce premier live terminé, le voyage pour la scène du fort dévoile un public plus dispersé que la veille à la même heure. Pas de Björk, ni de Foals ce soir, mais on attend tout de même Ride encore qu’à un horaire plus tardif. Se réserverait-on au camping pour la deuxième partie de soirée ? Enfin, ce ne semble pas être pour Father John Misty que le fort ne se remplira pas davantage. Le (très) mauvais ersatz du John Lennon période post-Beatles en fait définitivement trop sur scène. Le hipster qui se voulait crooner ne séduira pas grand monde avec ses singeries. VietcongA se demander si elles ne masqueraient pas le supplément d’âme qui manque cruellement à ses compositions. Ce sera la seule élucubration pop de ce début de soirée définitivement consacré à un rock plus méchant, plus sauvage comme celui que Vietcong est déjà prêt à déballer, Father John Misty à peine débarqué de la scène du Fort. Bombes à fragmentation sonore, les Canadiens posent un rock lourd, nerveux, parfait pour se détartrer les neurones. Et même si l’interminable final n’était pas forcément nécessaire, on en retiendra une superbe performance scénique.

SavagesEntre temps, la noirceur s’est installée, et c’est tant mieux tant la nuit semble la condition essentielle pour que le concert de Savages puisse avoir lieu. Les quatre femmes fatales qui montent sur scène pourraient sortir tout droit du Sin City de Frank Miller, on ne battrait pas d’un cil. Leur performance est à l’image de leur musique, primitive, inquiétante, impulsive. Jehnny Beth, chanteuse possédée, se lance corps et âme dans le concert et dans la foule, qu’elle électrise dès le premier morceau. On ne sortira pas indemne de cette rencontre. Incontestablement, LE live de cette dernière soirée.

C’est avec le retour de Ride que l’on conclura en beauté ce festival. Histoire d’en prendre plein la vue et ne pas risquer d’être déçu. Dès les premières notes, on replonge vingt ans en arrière, dans les années Blur et Oasis. La noisy illuminée et entêtante des Anglais doit encore résonner à Saint-Malo à l’heure où ces lignes sont écrites. Jouissif. Il est temps de partir. Il faut reprendre la route. Mais pour se faire pardonner de ne pas chroniquer les concerts de Dan Deacon, de The Juan Mac Lean et de Jungle, on vous laisse ici retrouver tous les concerts enregistrés par Arte TV, des petits bouts de cette 25e édition qui vraiment fut un excellent cru.

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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