Au milieu du XVe siècle, l’Angleterre est en guerre, une guerre interne malheureusement aussi violente et meurtrière que les guerres de conquête. Une guerre à mort entre les maisons de Lancastre et d’York, pourtant cousines, qui chacune revendique le pouvoir royal, et bien sûr le trône pour leur héritier. Cette guerre des Deux-Roses (la rose rouge étant l’emblème des Lancastre et la blanche, celle des York) fragilise le pays, et surtout, fait monter de part et d’autre les haines, les jalousies, les désirs de revanche.

reine_blancheAu moment où débute cette histoire, le roi Édouard IV bataille encore pour récupérer la couronne. Au détour d’un chemin, il fait par hasard la connaissance de la jeune Élisabeth Woodville, veuve de Sir John Grey et mère de deux garçons. Un hasard « aidé » car la jeune femme s’est bien postée exprès sur le passage du roi, dans le but de le séduire. Il le sera en effet, autant par sa beauté que par son caractère plus qu’affirmé et ils se marieront dans le plus grand secret. Est-ce vraiment l’amour ? Un sentiment plutôt rare dans les mariages de l’époque, qui sont généralement arrangés, notamment pour les familles aristocrates, ou bien les machinations d’Élisabeth et de sa mère, descendante de la déesse Mélusine, qui n’hésite pas à jeter quelques sorts et envoutements pour que le destin suive ses désirs ? Il semble qu’il y a ait des deux dans cette union.

Élisabeth devient alors reine alors qu’elle est issue d’un milieu bourgeois, une ascension sociale qui va vite lui monter à la tête, car elle tient avant tout à assurer l’avenir de sa famille, une famille du clan Lancastre, plaçant les uns et les autres à des positions enviables (et enviées) et distribuant à tout va titres de noblesse, de propriété et fortune, en commençant par ses enfants, ses parents et ses frères et sœurs, mais cherchant également des alliances dans toute l’Angleterre et dans les pays voisins pour les membres plus éloignés de sa famille, dont elle veut par les mariages arrangés faire une vraie famille royale. Mais Richard Neville, comte de Warwick et conseiller du roi déteste Élisabeth qu’il juge intrigante, et qui surtout supplante l’influence qu’il exerçait auparavant sans faille sur le jeune roi.

Les batailles font rage autour de Londres et dans tout le pays, et au sein même des familles et Elizabeth doit protéger ses enfants et tous ses proches sur lesquels s’abat la vengeance des mécontents. Son propre fils, le prince héritier sera d’ailleurs enlevé après la mort d’Edward et enfermé dans la Tour de Londres, d’où il ne ressortira jamais.

Cette histoire est très romancée et le lecteur ne sera pas tenu de connaître sur le bout des doigts l’histoire de l’Angleterre pour y prendre plaisir. Bien sûr, on s’y perd parfois un peu avec les noms de famille et les titres des nombreux personnages du roman. D’autant plus qu’ils trahissent tous dans un sens ou dans l’autre, se ralliant au plus fort du moment, mais l’histoire est fluide et agréable à lire. Et puis il s’agit beaucoup de la reine Elizabeth, et de ses tourments. Son mariage avec le roi n’est pas reconnu par certains, car il a eu lien en secret. On la soupçonne bientôt de sorcellerie, comme sa mère, en tout cas ce sont les bruits que vont faire courir ses détracteurs pour salir sa réputation. Il faut dire que cette femme est emplie d’un désir inextinguible de pouvoir et que rien ne lui semble jamais assez. Elle était ambitieuse, mais devient au fil des années vraiment dure, et plus encore quand elle se retrouve veuve. Il semble que rien ne l’arrête, jusqu’à prendre des décisions étranges, dangereuses pour ses proches, complotant sans relâche dans l’espoir de reprendre le pouvoir qu’on lui a arraché et de replacer ses pions sur l’échiquier international. Elle n’est pas sympathique, loin de là. De plus en plus manipulatrice et sournoise, mais fascinante dans son obstination, son idée fixe, se durcissant plus encore à chaque nouvelle trahison.

Bref, un condensé d’histoire plutôt passionnant, et facile à lire grâce à son côté romancé. On pourra regretter cependant le côté un ampoulé du texte, qui est écrit au présent, mais dont les dialogues regorgent de passé simple, plus que parfait et de formules « à l’ancienne » qui alourdissent le texte et surtout qui ne correspondent pas à la narration dans l’immédiateté impliquée par l’utilisation du présent.

À noter que ce roman porte le titre de La reine blanche dans la version originale anglaise, un titre qui semble mieux lui convenir, car Elizabeth ne reste finalement quasiment pas dans la clandestinité. Une parfaite lecture de vacances.

La reine clandestine, Philippa Gregory, Éditions l’Archipel – 3 janvier 2013, 443 pages, 22€

 

Extrait

J’ai pour père sir Richard Woodville, baron Rivers, noble du royaume, propriétaire de bonnes terres et partisan des véritables rois d’Angleterre : la lignée de Lancastre. Ma mère tire ses quartiers de noblesse du duché de Bourgogne. Dans ses veines coule le sang de Mélusine, qui fonda cette auguste maison avec le premier des ducs, son amant. La voix de la déesse se fait encore entendre quand, par-dessus les toits du château, elle avertit d’un long cri plaintif que le fils héritier se meurt, que la famille est maudite.
Du fait de cette ascendance contradictoire, de cette solide terre anglaise à laquelle se mêlent les eaux françaises, on me tient tantôt pour une fille ordinaire, tantôt une enchanteresse. Certains affirment que ces deux qualités me dépeignent d’égale mesure. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, alors que je brosse ma chevelure avec soin, la couvre de ma plus haute coiffe, puis prends la route de Northampton avec mes deux fils à la main, je donnerais tout ce que je possède pour être simplement irrésistible.
Il me faut attirer l’attention d’un jeune homme qui s’apprête à livrer une énième bataille contre un ennemi invincible. Peut-être ne m’apercevra-t-il même pas. Son humeur ne le portera ni à l’écoute d’une requête ni au badinage. Je dois susciter sa compassion pour qu’il mette un terme à mes tourments. Cet homme, au cou duquel se pendent chaque soir des femmes magnifiques, doit également choisir parmi des centaines de postulants dès qu’il lui plaît d’octroyer un poste.
Ce personnage est un usurpateur, un tyran, mon ennemi tout comme son père l’était avant lui. Mon propre père s’en fut combattre à Towton ce gamin vantard qui se proclame roi d’Angleterre. Jamais je ne vis chevalier plus brisé que lui lorsqu’il revint de cette bataille, livide, la chemise imbibée de sang. Il balbutiait que ce jouvenceau surpassait les plus grands commandants, que notre cause était perdue. Vingt mille hommes périrent à Towton ; aucun champ de bataille anglais n’avait jamais été jonché d’autant de cadavres. Mon père qualifia la victoire yorkiste de véritable «fauchée de Lancastriens». Dans son sillage, le roi Henri, notre souverain légitime, dut s’enfuir en Écosse avec son épouse, la reine Marguerite d’Anjou.
Ceux d’entre nous demeurés en Angleterre ne se rendirent point sans combattre. Les échauffourées se succédèrent contre ce faux roi, cet enfant d’York. Mon propre époux, sir John Grey, périt à la tête de notre cavalerie à la bataille de St Albans, il y a trois ans, me laissant veuve, dépossédée de mes terres et de ma fortune. Ma belle-mère s’en est alors emparée, avec la bénédiction du véritable vainqueur. Celui que l’on surnomme le «faiseur de rois» : Richard Neville, comte de Warwick. Ce talentueux marionnettiste, maître de l’enfant-roi yorkiste, est parvenu à transformer en monarque un gamin vaniteux de vingt-deux ans. Il s’emploie aujourd’hui à convertir l’Angleterre en antichambre de l’enfer pour les partisans de la maison de Lancastre.
Les Yorkistes occupent à présent toutes les positions dominantes du royaume, tirent profit des places fortes, des commerces et des impôts les plus lucratifs. Les amis du jeune souverain forment la nouvelle cour. Quant à nous, les vaincus, nous sommes devenus des étrangers dans notre propre pays, tandis que notre reine ourdit sa vengeance avec un vieil ennemi de l’Angleterre, Louis de France. Il nous faut accepter les conditions dictées par le tyran d’York, priant en notre for intérieur que Dieu s’en détourne et assiste notre souverain légitime lorsqu’il guidera son armée vers l’ultime confrontation.
Dans l’intervalle, je m’applique à recoller les morceaux épars de ma vie. J’ambitionne de récupérer ma fortune, sans pouvoir compter sur l’aide de parents ni d’amis car j’appartiens à une famille de traîtres, pardonnes mais honnis, dépouillés de tout pouvoir. Seule avocate de ma cause, je m’apprête à la défendre devant un homme qui respecte si peu la justice qu’il osa prendre les armes contre son cousin, un roi oint. Comment me faire entendre d’un tel sauvage ?

Biographie de l’auteur

Née au Kenya en 1954 mais élevée à Cardiff, Philippa Gregory, diplômée d’histoire, a été journaliste puis productrice à la télévision. Traduit dans 22 pays, Deux Soeurs pour un roi (Archipoche, 2009), son roman le plus célèbre, a été adapté au cinéma par Justin Chadwick, avec Natalie Portman et Scarlett Johansson. Elle est également l’auteur de L’Héritage Boleyn (Archipoche, 2011). La Reine clandestine est le premier volet d’une trilogie en cours d’adaptation par la BBC.


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