Pourquoi les Français ont-ils autant de difficultés à évoquer la mort? Pourquoi autant de personnes âgées meurent-elles encore seules ? Mais comment accompagner les mourants ? Enquête et témoignages.

Lorsque Jessie Westenholz a lancé l’idée, avec Jean-Pierre Jouet, d’un Salon de la Mort ! (elle tient au point d’exclamation) à Paris, c’est peu dire qu’elle a suscité l’incompréhension. Cette Danoise de soixante-sept ans, qui vit en France depuis 25 ans, n’en était pourtant pas à son coup d’essai. On lui doit déjà des événements artistiques et culturels comme la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), Musicora, le Salon nautique ou le Salon du patrimoine culturel. Loin d’être guidée par l’appât du gain, c’est un événement douloureux qui a conduit Jessie Westenholz à organiser ce salon.

« En 2008, après la mort de ma mère, je me suis rendu compte qu’elle n’avait pas “préparé” son départ : on ne connaissait pas ses dernières volontés ni la manière dont elle voulait être enterrée. J’ai acquis la conviction que chacun devait être responsable de sa mort. Et que la mort d’une personne devait lui ressembler, à l’image de ce qu’a été sa vie. Ce premier Salon de la mort ! a donc réuni les professionnels du secteur, mais aussi des associations. » En organisant un tel événement, Jessie souhaitait briser un tabou.

« En France, on peut parler de tous les sujets, sauf de la mort, s’indigne-t-elle. Pourtant, la mort fait partie intégrante de nos vies. Pour ne pas être dépourvu au moment où cela arrive, il faut en parler avec sa famille de son vivant. » A en croire la sexagénaire, ce projet fou n’aurait pas pu se monter il y a seulement 20 ans. Preuve que les lignes commencent à bouger et la parole à se libérer. Mais ce salon est surtout une première mondial, car il n’existe aucun événement équivalent.

Une initiative saluée par les médias et le grand public : le salon a attiré plus de 15 000 visiteurs l’an dernier. Il faut dire que le défi était de taille : réunir à la fois le côté concret (choix du cercueil, de l’urne, organisation des obsèques…) et théorique (accompagnement psychologique au deuil, soins palliatifs…). Cette année encore, des centaines d’exposants seront au rendez-vous. À côté des métiers classiques du funéraire, le salon s’ouvrira aussi aux nouveaux moyens de communication comme les albums de vie virtuelle ou les testaments sur Internet.C’est cette diversité qui plaît aux visiteurs. À l’instar de Cathy, soixante-quatre ans, retraitée, qui est venue, l’an dernier, de Seine-et-Marne spécialement pour le salon : « Aujourd’hui, je suis en bonne santé, mais la vie peut basculer d’un instant à l’autre, je ne voudrais pas laisser mes enfants régler seuls les formalités autour de ma mort. Autant leur simplifier la tâche et choisir moi-même le lieu de mon enterrement et le déroulement de la cérémonie. »

L’ancienne secrétaire de direction s’est dite « bluffée » par les stands qui proposaient des innovations numériques (albums photo, testament sentimental en ligne…). Même intérêt pour Patrick, quarante ans, comptable dans une société de communication qui a tenu à s’y rendre l’an dernier dans l’espoir de trouver du réconfort : « J’ai perdu ma fille il y a quatre ans. À l’époque, personne ne m’a aidé dans mon travail de deuil. Ici, j’ai trouvé une écoute et des regards compatissants. Ce n’est pas la même chose de parler à des proches et à des professionnels dont c’est le métier et qui sont formés à ces problématiques. »

La force du déni

Alors, certes, le salon a suscité la surprise et a levé le voile sur un domaine mal connu, mais la façon d’envisager la mort dans notre société reste marquée par le sceau du déni. Marie de Hennezel a travaillé pendant plusieurs années dans une unité de soins palliatifs en tant que psychologue et sait combien le déni est fort dans notre pays. À ses yeux, refouler la mort a pour conséquence une forte angoisse, une désocialisation et une perte de sens.

« Auparavant, on gardait nos aïeux à la maison, on s’en occupait jusqu’à leur dernier souffle. La mort était vécue aux yeux de tous, l’on portait les signes distinctifs du deuil et la foi religieuse était plus répandue. Aujourd’hui, la mort est sortie de la sphère de l’intime et de notre quotidien. Trois personnes hospitalisées sur quatre meurent sans un proche à leur côté. » Et d’ajouter que de nombreuses maisons de retraite préfèrent envoyer leurs pensionnaires à l’hôpital plutôt que de les laisser finir leurs jours paisiblement, entourés d’amis de leur âge dans un lieu serein. Ainsi, la mort ne se voit pas, n’existe pas. C’est ce qu’a constaté Hanna Shemla, attachée de presse de vingt-neuf ans, dont la grand-mère a été brusquement transportée dans un hôpital parisien le jour où elle a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC).

« J’ai vite compris que la maison de retraite préférait la voir mourir dans un couloirs aux urgences que dans ses murs ! Nous avons trouvé cela d’une extrême brutalité, d’autant qu’aucun accompagnement psychologique n’avait été prévu. » À en croire Marie de Hennezel, il y a toujours beaucoup de fantasmes et de craintes archaïques autour de la mort. Comme si les gens avaient peur de mourir rien qu’en en parlant ! « La mort reste quelque chose de sale, de honteux.

Les gens évitent souvent d’employer le mot et préfèrent parler de départ. C’est symptomatique de notre malaise. De la même façon, on doit dire la vérité aux enfants et ne pas les écarter des cérémonies funéraires. En les faisant participer au deuil, ils comprennent la portée de cet événement dramatique, mais constatent dans le même temps que les gens se soutiennent mutuellement. »La thérapeute anime aujourd’hui des séminaires sur le bien vieillir. Un débat crucial à l’heure où l’Insee prévoit qu’en 2050 une personne sur trois sera âgée de soixante ans ou plus.

Dans son dernier livre, coécrit avec son fils, Marie de Hennezel ouvre le débat entre deux générations. Avec un mot d’ordre : rétablissons le dialogue autour de la vieillesse et de la mort.Alors, la société serait-elle malade de son jeunisme ? C’est le sentiment de François Michaud-Nérard, directeur général des Services funéraires – Ville de Paris (SFVP), une société d’économie mixte créée en 1998 à la fin du monopole des pompes funèbres. « Nous sommes dans un schéma paradoxal. D’un côté, on n’a jamais vu autant de morts sur les petits et les grands écrans, on scénarise la mort des personnalités (Lady Di, Mitterrand). De l’autre, on occulte la vraie mort, celle qui pourrait nous toucher à titre personnel. Un sondage Ipsos/Services funéraires – Ville de Paris réalisé en 2010 a montré que 18 % des 40-50 ans n’avaient jamais vu un mort. »

Une révolution nécessaire

Le responsable va même plus loin en faisant un parallèle entre la place du sexe et de la mort dans nos sociétés. « La mort a le même traitement que le sexe il y a une cinquantaine d’années. À l’époque, il était inconcevable de se dénuder.

Aujourd’hui, le sexe est d’une totale banalité. C’est la même chose pour la mort qui, depuis Mai 68, a été totalement écartée de la société. Cette mise à l’écart nous cause beaucoup de tort. » Et d’affirmer que la « révolution de la mort » que nous vivons sans le savoir passe par une réflexion globale et un travail de normalisation sur le plan symbolique et social. C’est notamment la mission de la Fondation Services funéraires – Ville de Paris qui vient d’être lancée officiellement par la Ville de Paris.

Marinette Bache, conseillère de Paris, reconnaît qu’elle a longtemps évité de se confronter à la mort… avant d’être projetée à la présidence de la Fondation. « Aujourd’hui, la mort est aseptisée. Elle se déroule à l’hôpital de manière technique. Chacun s’en conforte, sauf quand ça nous tombe dessus ! On se dit alors que l’on n’y est pas préparé.

Toutes les composantes de la société doivent amorcer le changement des mentalités. On pourrait même imaginer que la télévision fasse un travail de fond sur la perception de la mort dans notre pays. » Pour Marie de Hennezel, on ne pourra pas faire l’impasse sur un grand débat de société autour de la dépendance. Et de rappeler que la canicule de 2003 n’a été qu’un avertissement face à ce qui nous attend à l’avenir. « Nous devons réintroduire cette réalité dans nos vies et méditer sur notre condition de mortels. C’est la clef pour bien vivre. » Et de citer Jacques Prévert : « La mort aidant la vie, la vie aidant la mort. »

À lire

Qu’allons-nous faire de nous ?

Marie de Hennezel 
et Édouard de Hennezel
Carnets Nord
368 p., 20 €.

Y aller

Salon de la mort !
du 12 au 14 avril 2012
Carrousel du Louvre, Paris
01 53 75 00 17.
www.salondelamort.com

Source : Fanny Bijaoui Protestants.org

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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