La « massaia » est un mot italien désignant la ménagère ou femme au foyer. D’un usage devenu obsolète, le vocable fut sciemment remis au goût du jour par le régime nationaliste et totalitaire de Mussolini attaché à la tradition familiale. Et Paola Masino, la rebelle et féministe, en fit le titre de son roman.

massaia masino

La Massaia, naissance et mort de la fée au foyer est paru en feuilleton dans la revue Il Tempo en 1941 et 1942, et les Éditions de la Martinière nous en offre une très belle traduction sous la plume de Marilène Raiola.

Ce texte revient de loin : la censure mussolinienne en effet en expurgea tout ce qui pouvait renvoyer négativement à l’image de l’Italie fasciste, à la Bible aussi dont les citations, sacrilèges ici aux yeux du pouvoir, ponctuaient les 350 pages du texte, enfin à la condition féminine et familiale corsetée du régime du Duce. Et ce n’est pas tout : un bombardement américain sur Rome en 1943 détruisit l’imprimerie qui avait la charge de fabriquer et diffuser le livre dans les librairies ! Paola Masino, découragée mais pas désespérée, se remit alors à l’ouvrage et le livre parut enfin en 1945 en Italie dans sa version finale.

La Massaia du roman désigne une toute jeune fille, libre et rétive, élevée à l’écart de toute forme de vie sociale et familiale et qui vit sa prime jeunesse…dans une malle, au désespoir de sa mère.

Durant son enfance, notre future fée du logis somnolait, poussiéreuse. Sa mère qui avait oublié de l’éduquer, lui en tenait rigueur à présent.

MASSAIA

La fillette finira par se plier à la volonté maternelle et s’aventurera, sans enthousiasme, à vivre la vie maritale traditionnelle à laquelle sont vouées immanquablement les jeunes filles de l’Italie mussolinienne. Son époux sera un riche et vieil oncle, de trente ans son aîné, pas mauvais homme au demeurant et sincèrement épris de sa nièce.

La jeune mariée vivra désormais dans une immense et opulente maison de maître, entourée d’une armée de domestiques qu’elle devra commander et surveiller pour devenir ainsi une parfaite maîtresse de maison, une fée du foyer, une « massaia » :

Direction de sa maison, organisation de galas de bienfaisance, croisade en faveur de l’éradication des punaises dans les prisons des environs, assistance aux parturientes, condamnation de la frivolité féminine et crises de cafard quand son nouveau chapeau n’est pas prêt à temps pour l’ouverture de la saison théâtrale.

Autant de moments où elle sacrifie, jusqu’à l’outrance et le dégoût, à ces obligations et devoirs imprescriptibles de la société patriarcale italienne, des moments où « elle néglige de veiller sur son esprit ». La malheureuse a compris « qu’une maison, qu’elle soit grande ou petite, était une meule à laquelle on attache les femmes le jour de leur mariage. Certains se plaisent à la faire tourner ; d’autres subissent cette corvée comme un devoir, d’autres y trouvent des jouissances secrètes, mais toutes, depuis la création du monde, l’actionnent comme si c’était une chose naturelle. Pourquoi était-elle la seule à considérer ce supplice comme injuste ? ».

MASSAIA

Dans cette pantomime sociale à laquelle elle se soumet, la « massaia » n’aura de cesse de retrouver sa vraie nature, indépendante et provocante, que ce soit dans ces bals et réceptions dont elle est, dans sa nouvelle demeure, l’organisatrice, l’actrice ou la spectatrice, ou dans les rapports singuliers et saugrenus avec la domesticité dont elle a la charge. La liberté sans limites, la fantaisie stylistique et surréaliste, l’imagination et les sublimes délires et hallucinations de la romancière Paola Masino font alors exploser, d’une prose névralgique, la représentation de la famille « dans une polyphonie narrative, un mélange détonnant d’onirisme, de comique et de grotesque, des images et paysages fantastiques ou métaphysiques, des dialogues théâtralisés, des images fantastiques ou métaphysiques peuplés de présences inquiétantes » nous dit la préfacière du livre, Marinella Mascia Galateria.

Le message de la « massaia », s’il en est un seul, est une leçon à l’adresse de ses pauvres consœurs prises dans le moule d’une vie formatée, contraintes par ces hommes « qui cantonnent les jeunes filles au foyer, dont les boutons de chemise, censés fermer leurs vêtements, finissent surtout par fermer à leurs épouses la faculté de penser […]. Ne vous identifiez pas aux hommes, soyez conscientes de vous-mêmes, n’ayez pas peur de la solitude ; n’ayons pour seul but que de partir en sens inverse et tourner le dos à Adam qui, premier à nous fournir un toit et un grabat, fut aussi le premier à nous demander d’en prendre soin ».

N’en pouvant plus de cette vie sociale qu’elle n’aura cessé de singer et détester, et de cette vie familiale réduite aux seules obligations et obsessions ménagères, la « massaia » n’aspirera alors plus qu’à disparaître,

ployer sous le poids de la vie et toucher à l’échéance suprême.

Humour grinçant et amère ironie finale de ce livre révolté, porteur d’un féminisme roboratif : après son inhumation, la « massaia », ou son fantôme, sortant nuitamment de son mausolée et reprise sourdement par l’obsession du travail domestique, s’appliquera à en astiquer pierres et ornements ! « Il y a toujours tant de choses à faire…Dieu merci je n’ai que mon mari ici, je n’ose imaginer si j’avais eu des enfants ! ».

LA MASSAIA, Naissance et mort de la fée du foyer. Paola Masino, Marilène Raiola – Editions de la Martinière – 352 pages- Parution 30 aout 2018 – 20.90 €.

Paola Masino, Marilène Raiola

À l’instar de son héroïne, Paola Masino (1908-1989) fut une femme moderne et émancipée, très critique à l’égard des valeurs réactionnaires du fascisme. Intellectuelle d’avant-garde, figure des cercles artistiques et littéraires du XXe siècle, elle fit scandale dans son pays par sa liaison avec l’écrivain Massimo Bontempelli, séparé de son épouse et de trente ans son aîné. Francophile, elle fut aussi la traductrice en Italie de Barbey d’Aurevilly, Balzac ou Stendhal.

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