La Marche brisée est une série work in progress créée à quatre mains par Anna-Maria Le Bris et Francesco Ditaranto. Elle fait partie des deux projets retenus par Unidivers au titre de l’Appel à projets artistiques 2015.

 

la marche brisée#9

Cher Professeur,

J’ai été interrogé hier par les inspecteurs du Ministère, concernant le suicide de ma patiente. Ils m’ont posé beaucoup de questions à propos de ses derniers jours au Centre. Ils m’ont aussi demandé les raisons de mes choix thérapeutiques, notamment de la diminution des médicaments.

J’ai répondu que j’avais choisi de substituer en partie la thérapie pharmacologique par la thérapie par la parole, puisque la patiente était affectée par une forme très grave de diabète. J’avais remarqué toute de suite des améliorations et avais donc poursuivi dans cette voie. « Son suicide était quelque chose d’imprévisible », ai-je conclu.

Après cette explication, je m’attendais à davantage de questions. Je pensais qu’ils montreraient au moins des doutes ; comme mes collègues. Ils n’avaient aucune expression sur le visage. Ils m’écoutaient et notaient mes déclarations. Il était évident que les inspecteurs étaient là parce qu’il fallait rédiger un rapport détaillé. Rien de plus. Mais s’il y a un procès contre moi, je suis sûr que les choses ne se dérouleront pas aussi simplement.

Quand les inspecteurs sont partis, Michel Neuille s’est précipité dans mon bureau pour me demander si mon interrogatoire s’était bien passé. Plutôt pour se renseigner, je crois. Il m’a exprimé sa solidarité fausse et visqueuse. Je n’ai presque rien répondu. Les gens comme Neuille ont la capacité de provoquer les autres ; en jouant les victimes au moment de la réaction.

Ce matin j’ai vu Pascal. Désormais, il vient dans mon bureau et nous sortons tout de suite après. Nous nous sommes baladés un peu, cette fois jusqu’à la terrasse d’un bar qui n’avait pas l’air d’un lieu très fréquentable.
Nous nous sommes assis et nous avons voulu commander du vin. « Ici on fait juste service au comptoir » a dit le tenancier que l’on distinguait à peine, assis à l’intérieur dans l’obscurité.

Je suis parti prendre nos verres et, à mon retour, il y avait une femme, âgée d’une quarantaine d’années, qui parlait avec Pascal en lui caressant la main. Ils semblaient se connaître depuis longtemps. Je me suis approché très doucement. J’étais indécis, je n’avais pas envie de gâcher ce moment. Mon patient m’a fait signe de les rejoindre.

« Cecilia. Ravie de faire votre connaissance » a simplement dit la femme, en me serrant la main trop fort. Elle était belle, mais habillée d’une manière voyante. Son parfum, tout comme son maquillage, était excessif. Malgré cela, elle semblait bienveillante, généreuse. En parlant, elle touchait régulièrement l’épaule de Pascal avec une sorte de tendresse.

De son côté, mon patient donnait l’impression d’être heureux, ou plutôt fier, je ne sais pas. Je ne l’avais jamais vu comme ça.

Pascal souriait et tout en parlant, ne retirait pas la main de celles de Cecilia. Quand elle est partie se chercher à boire, Pascal m’a regardé, à la fois fier et embarrassé, comme s’il attendait de connaitre mon avis.
« Bravo, Pascal. Bravo » ai-je dit, en tournant le regard vers le comptoir où Cecilia attendait son verre.
Il est devenu tout rouge.
« Qui est-elle ? Ta petite amie ? » ai-je continué, en le taquinant.
Il a bégayé quelque chose, mais elle est revenue, et nous avons décidé, sans parler, que mon jeu puéril était terminé.
Elle nous a souri et s’est assise. J’ai considéré que c’était le moment pour moi de les laisser bavarder seuls. J’ai pris congé de Pascal et Cecilia, et je suis retourné dans mon bureau avec beaucoup d’interrogations. Et j’ai pensé, encore une fois : « Bravo, Pascal. Bravo ».

Mes meilleurs sentiments,

Joseph Calvez

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