Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes médiatisé par des images.  (Guy Debord, La Société du spectacle)

À l’époque où « Le Petit Journal » était une chronique au sein du Grand Journal, l’équipe de Yann Barthès faisait sourire, parfois rire. Mais voilà que la nouvelle formule étendue dérive vers des procédés et amalgames douteux, voire malhonnêtes, une carence d’esprit critique, une instrumentalisation du personnel politique au profit… au profit de quoi ? Au profit d’un refermement onaniste sur lui-même d’un système médiatico-politique toujours plus réduit à son anecdote.

 

 Plus que l’amalgame entre journalisme et divertissement qui tend à décrédibiliser toute expression politique minoritaire (les petits candidats, les militants de province, ceux qui sont contre… le petit journal), c’est cette manière systématique de traiter les invités de l’émission et de fustiger certaines catégories de la population qui est devenue agaçante.

Yann Barthès invite une personnalité, soit pour répondre à un fait d’actualité, soit pour vendre quelque chose (un livre, un film, etc.). Dans le premier cas, les questions devraient laisser place à des réponses, mais la manière de les poser interdit cette possibilité. Au contraire, la question met en valeur l’intervieweur en rabaissant l’interviewé, du moins lorsque celui-ci n’entre pas dans le moule imposé par le Petit Journal. L’équipe a ses têtes et ne réserve pas le même traitement à tous les invités. Cela étant, il y a bien une constante : impossible à l’invité de prononcer une phrase intelligente, il est immédiatement coupé dans son élan.

En pratique, le mécanisme est rodé : l’invité vient vendre quelque chose, le Petit Journal montre rapidement son produit à l’écran puis interroge son auteur sur toute autre chose durant quelque dizaines de secondes entre deux chroniques assassines. Chroniques à destination des cibles préférées : les extrémistes de gauche et droite, les vieux, les fans de musiques, les souverainistes, les centristes, le Modem… Pour résumer, tout ce qui sort de la normalité, de leur normalité. (Une normalité au petit soin avec les baronnies de la classe politique régnante, il faut bien se placer pour l’après-présidentielle…)

Oh bien sûr, ça tape parfois sur Sarkozy. Histoire de passer pour des rebelles… Allez, en veux-tu en voilà de la pseudo-critique sans réflexion ni profondeur. Ah oui, il y a aussi le seul exercice journalistique de l’émission (vague caution réduite désormais à peau de chagrin) : établir un parallèle entre déclarations présente et passée. Le Petit Journal devient de plus en plus petit…

Le paroxysme est atteint le 16 mars. Durant son émission, le Petit Journal oublie volontairement de mettre en lumière contradictions et double discours pour ne s’intéresser qu’à la forme, aux lapsus et aux dérapages. Remisé le vague style critique initial de l’émission au profit du tout spectaculaire. Du pur divertissement de tabloïd. L’équipe du Petit Journal pourra objecter que cette émission avait fait l’objet d’une répétition. Le cas échéant, c’est pire encore : l’invité a accepté d’être entrainé dans ces vespasiennes médiatiques.

Pour les têtes de turcs préférées, le traitement est loin d’être un exemple de partis-pris réfléchis et de nuances subtiles : c’est tout simplement du matraquage. De la descente en flamme par des membres du Petit Journal faisant figure de grands adolescents d’une vingtaine d’années qui passent leur temps à se moquer de leurs benjamins. Ouah, trop nul, c’est pas chanmé :  être fan de Jpop, de boysband ou de hard rock – o la teuhon !

Bien sûr, vous ne verrez jamais la jeuniste équipe s’attaquer à un concert du consensuel Coldplay ou de la branchée Madonna ou du populaire Yannick Noah. Forcément, ça, c’est bien ! Ben ouais, c’est populaire ! C’est populo-chic bobo branché parisien, c’est forcément bien. C’est ainsi qu’un nouveau stade de collusion entre onanisme médiatique et manque de courage politique est atteint dans un spectacle où fou du roi et courtisan s’unissent dans un consensus mou et stérile.

Didier Ackermann et Nicolas Roberti

N.B. Pour la partie politique de l’émission, on conseillera la lecture d’un article du site Acrimed qui en a fait un bon décryptage.

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