On a volé le cerveau d’Einstein ! Pierre-Henry Gomont nous emmène dans les pas du voleur grâce à une BD pleine d’humour, de tendresse. Et de poésie. Un vrai bol d’air.

fuite du cerveau pierre henry gomont

Le grand savant Albert décède. L’anatomopathologiste (oui je sais…. ) Thomas Stolz qui est chargé de l’autopsier, décide dans un moment d’égarement de subtiliser son cerveau pour l’étudier ou le faire étudier. Écris ainsi, le synopsis n’a pas de quoi déchaîner les foules. Mais, si on ajoute que le corps du grand Albert ressuscite et accompagne Stolz dans ses pérégrinations. Si l’on précise ensuite que le récit et le dessin sont confiés à Pierre-Henry Gomont, je sens que votre intérêt grandit d’un cran. Et vous avez bigrement raison. Ce n’est pas en effet la fuite de cerveau vers l’étranger de sommités intellectuelles qui est en jeu, mais la véritable balade du cerveau d’Albert, un spécimen unique doté de facultés exceptionnelles! Devançant la poursuite du FBI, commence un étrange road movie qui va emmener Stolz, Albert, Marianne, spécialiste neurologue, travaillant sur « la plasticité corticale chez les souris » dans des contrées les plus étranges, dont au final la clinique d’un spécialiste un peu bizarre: le docteur Seward.

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On comprend rapidement à la lecture de ce récit jouissif que l’histoire mêle fiction et réalité. Les situations les plus invraisemblables sont mises en images avec virtuosité par des procédés déjà aperçus avec Pereira prétend (voir chronique) ou encore Malaterre (voir chronique) : pensées ironiques dessinées dans des phylactères, sens de lecture modifié, dessins au dynamisme incontrôlé, texte en voix off délicieusement décalé, Gomont utilise tout son talent pour donner une lecture cinématographique haletante, placée sous le signe du second degré. Pourtant, quelques planches ou explications scientifiques délicatement placés montrent fort à-propos qu’une solide documentation a soutenu le projet d’écriture. On fait connaissance avec les cellule gliales, les dendrites qui agissent dans les cerveaux efficacement stimulés. Stimulé, celui d’Albert l’a été tout au long de sa carrière scientifique achevée dans l’Hôpital de Princeton le 18 avril 1955.

Et puis la tendresse humoristique de Gomont fait que l’on s’attache à ces personnages. Stolz d’abord, qui s’est appelé réellement Thomas Stolz Harvey, professeur raté dont sa femme dit qu’elle se demande « s’il n’est pas boucher-charcutier », amoureux transi, médiocre, mais sympathique dans son indécision, sa faiblesse chronique et à qui Albert se promet d’ouvrir les yeux en lui déclarant :

– Oh. Tu veux faire machine arrière à cause de ta bonne femme ? Tu l’as bien regardée ? Franchement ?

– Oui. Bon. Soit. Mais j’ai des enfants, quand même.

– Sans vouloir te vexer, mon petit Thomas, il me semble qu’ils ont plutôt pris de leur mère.

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Ce bon Albert justement qui a envie de savoir ce que contient effectivement son cerveau et dont on aime la silhouette de vieux Davy Crockett avec sa casquette à oreilles, ou de pompiste à la casquette de base-ball. Un homme génial, mais en fait ordinaire, à l’opposé des icônes fabriquées par nos sociétés qui souhaitait dans la réalité que ses cendres soient dispersées pour éviter tout phénomène d’idolâtrie. Il est tendre en bon vieux Papy débordé qu’il a été toute sa vie par son intelligence et ses fulgurances qui se sont imposées à lui, sans aucun effort. Ainsi est le talent de Gomont d’illustrer par des métaphores dessinées les pensées les plus complexes: les idées révolutionnaires d’Albert prennent la forme d’un cheval au galop dont les courses coïncident avec les mots du savant, pour une explication magnifique de l’Épiphanie, cette forme « d’explication soudaine ». On aime cette relation entre le vieil homme décédé (car il est bien décédé) et le professeur raté, cette tendresse toujours présente dans les BD de Gomont. Thomas Stolz Harvey a ainsi gardé le cerveau d’Albert pendant près de 40 ans sans organiser de sérieuses recherches. Pierre-Henry Gomont suggère que le docteur voyait surtout dans ce cerveau une relique magique plus qu’un objet d’étude. Une tendresse donc presque filiale qui fait toute la beauté de cette BD qui vous fera souvent sourire, voire plus.

Mais au fait le déglingué Seward évoque un virus qui propagerait une maladie dégénérative. Le nom de ce virus? Perdu ! Il s’agit du … LANGAGE. Malheureusement pour Seward, la BD utilise à la fois des images et des mots. Et c’est très bien ainsi.

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La Fuite du cerveau, de Pierre-Henri Gomont. Éditions Dargaud. 192 pages. 25€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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