Avec ce livre, Philippe Sands mène une enquête étonnante sur la vie, la fuite et la mort d’un haut dignitaire nazi. Avec l’assentiment de son fils. Étonnant et passionnant.

FILIERE SANDS

Quelle attitude avoir quand vous naissez enfant de nazi ? Cette question apparaît comme le point de départ du nouveau livre de Philippe Sands, La Filière, qui revient sur le sujet de la Seconde Guerre mondiale, après avoir publié en 2017 le remarquable Retour à Lemberg dans lequel l’avocat recherchait les racines de sa famille exterminée par le régime allemand. Deux connaissances de l’auteur répondent.

HANS FRANK
Generalgouverneur Dr. Frank Hans Frank. (Wikimedia commons/Archives fédérales allemandes)

Pour Niklas Frank, fils de Hans Frank, Gouverneur général de la Pologne, pendu à Nuremberg pour avoir provoqué la mort de quatre millions d’individus, la réponse est claire : « je suis contre la peine de mort sauf dans le cas de mon père ».

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Archives d’Otto von Wächter. 1948.

Pour Horst Wächter, fils de Otto von Wächter, Gouverneur du district de Galicie, théâtre d’extermination des juifs, son père n’est pas coupable, seulement acteur d’une mécanique décidée ailleurs, dont il a respecté simplement les ordres. Pourtant, il ne l’a pratiquement jamais vu ce père décédé en 1949, lui qui est né en 1939, mais le lien familial emporte tout. Figé dans ce soutien, dans une totale ambivalence, naïveté ou inconscience, il va ouvrir son exceptionnelle armoire à archives à l’auteur, pour l’aider à reconstituer la vie d’Otto.

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Archives d’Otto von Wächter

Ils sont uniques, imposants, passionnants, ces documents constitués du journal de sa mère, de centaines de lettres de correspondance de ses parents, de cassettes audio, des textes qui disent beaucoup de choses par leurs détails, mais aussi par leurs manques. Si le sujet n’était pas aussi grave, on pourrait écrire que le livre se déroule comme un véritable roman policier. On va suivre ainsi Otto dès son enfance, marqué par sa famille d’extrême droite, et rapidement son épouse, Charlotte, aussi déterminée dans ses convictions politiques que son mari, dont elle ne cessera de protéger la mémoire.

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Archives d’Otto von Wächter

Nazis tous les deux de la première heure, on lit en détails leur parcours physique, affectif, idéologique, des débuts d’Otto dans la tentative de coup d’État autrichien, de son irrésistible ascension dans la hiérarchie nazie à sa mort mystérieuse en 1949 à Rome. À travers ce parcours l’histoire d’un destin individuel rejoint l’histoire universelle. Otto et Charlotte ne sont pas de simples acteurs, mais aussi un couple indissociable, malgré les nombreuses infidélités du Gouverneur. On perçoit chez elle des brisures intimes, mais jamais de doutes quant au déroulement de l’histoire.

Aussi marquant que le parcours de l’officier, ses convictions et ses arrangements avec la réalité dans les centaines de pages qu’elle laisse, interrogent et laissent parfois pantois. L’idéologie s’accommode des faits, les expurge, les plie selon sa volonté. Aucun remords, aucun doute véritable pour le couple, comme pour ces nazis en fuite que la deuxième partie de l’ouvrage va décrire. Otto va s’enfuir après la défaite allemande, passer trois ans dans les Alpes avant de rejoindre Rome.

Otto von wächter
Archives d’Otto von Wächter

Là débute une autre partie de l’ouvrage, extravagante, étonnante, incroyable qui démontre le rôle du Vatican dans l’extradition des nazis vers l’Amérique du Sud notamment, motivé par un anti communisme viscéral, le changement d’attitude des services secrets américains qui après avoir chassé dans un premier temps les criminels de guerre vont rallier et protéger les survivants pour lutter contre l’URSS.

L’enquête devient vertigineuse, montrant alors le caractère trouble d’une période qui abandonne la guerre militaire pour entrer dans l’ère de la guerre froide. Agent secret, agent double, secrets de famille, Philippe Sands investigue, fait même appel aux conseils de John le Carré, pour trouver les raisons de la mort d’Otto. Victime d’un empoisonnement par les Russes, les Américains, un ancien collègue allemand ? Mort d’une infection virale ?

Otto von wächter
Archives d’Otto von Wächter

Tout au long de cette minutieuse et passionnante enquête, les dessous nauséabonds de la petite comme de la grande histoire surgissent. Le moins fascinant n’est pas l’attitude de Horst, le fils, qui « oubliera » des investigations, que paradoxalement il encourage souvent, les charges terribles et avérées contre son père, pour ne retenir que le caractère d’un homme bon et loyal. Un aveuglement qui en dit long sur la difficulté de renier ses parents, aveuglement accru par l’amour qu’il porte surtout à sa mère. Peut-être est-ce la nécessité de sauvegarder la mémoire d’une génération et les preuves ultimes d’atrocités en train de disparaître, le monde de l’édition multiplie les ouvrages témoignages sur la Seconde Guerre mondiale.

LIKSOM LA COLONELLE

La BD se consacre notamment à la mémoire active des Klarsfeld. Svenja O’Donnell est allée à la chasse aux souvenirs de sa grand-mère adolescente en Prusse orientale à l’ouverture du conflit. Gallimard publie La Colonelle de Rosa Liksom qui trace le portrait d’une Finlandaise devenue nazie par la volonté de son mari (1).

Avec La Filière, Philippe Sands contribue lui aussi de manière indiscutable à établir et maintenir la vérité historique. Essentielle par les temps qui courent.

La Filière de Philippe Sands. Éditions Albin Michel. 490 pages. 22,90€. Traductrice : Astrid von Busekist. 30 septembre 2020.

(1) La Colonelle de Rosa Liksom. Editions Gallimard. Collection Monde Entier. Paru le 15 octobre 2020.

https://vimeo.com/462666545

Consultez ici les archives personnelles d’Horst von Wächter, le fils d’Otto von Wächter, données au United States Holocaust Memorial Museum en 2015

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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